Fondée en 2012 par le chef étoilé Thierry Marx, Cuisines Mode d’Emploi(s) propose aux personnes en difficultés professionnelles de se former aux métiers de la restauration. L’enseignement est totalement gratuit et dure 11 semaines. Ces structures sont souvent situées au milieu de cités. C’est le cas de Cuisines Mode d’Emploi(s) à Dijon, où nous nous sommes rendus, à l’entrée du quartier de la Fontaine d’Ouche.
Les bâtiments sont hauts à la Fontaine d’Ouche, les appartements…Innombrables. "C’est un quartier sympa nous dit Mehdy Deriot en boutonnant sa chemise dans le vestiaire. On nous a dit de faire attention au début. Mais depuis que je suis ici, je n’ai pas rencontré plus de problèmes qu’ailleurs."
Tous les matins, il dépose ses affaires dans son casier et finit toujours de s’habiller en mettant sa casquette. Pas de toque, "parce qu’il faut bien se faire à son époque", dit-il en sortant de la pièce.
Mehdy est formateur chez Cuisines Mode d’Emploi(s) depuis 4 ans et il est pâtissier depuis toujours. "Mais je me sens mieux ici, commente Mehdy en nous servant un café au comptoir de l’atelier. Tous les jours je mets près d’une heure et quart pour venir mais j’ai enfin l’impression d’être à ma place, ajoute-t-il. J’enseigne, et surtout, j’apprends."
C’est d’abord pour essayer d’aider des personnes aux parcours de vie accidentés que cette école a été inventée. Les élèves ont quasiment tous trouvé un emploi aujourd’hui. C’est d’ailleurs l’un des avantages de cette formation : son réseau.
"Les 6 semaines sont intensives, mais ils sont sûrs de trouver du boulot après, continue-t-il. Pour te dire il y a déjà un fournisseur qui m’a demandé de lui bloquer des commis de boulangerie."
Tu connais Thierry Marx ?
Depuis le début des histoires de Mehdy, de l’autre côté de la pièce, il y a une silhouette qui va et vient du four à la table de cuisine dans un nuage de farine. C’est Mohammed, il a 25 ans et il est arrivé de Syrie il y a 3 ans.
Ancien élève de Cuisines Mode d’Emploi(s), il a signé un CDD de 6 mois pour s’occuper avec Mehdy de la boulangerie de la structure. "Ils m’ont embauché ici juste après ma formation, raconte-t-il. Toute la préparation c’est moi qui m’en occupe et ensuite on vend ici nos pains et nos viennoiseries comme dans une vraie boulangerie."
Certaines des meilleures pâtisseries des apprentis sont mises en vente. "On a pas mal de clients, rajoute Mohammed. Moi je travaille avec Mehdy. Il m’aide encore sur certaines choses, mais je maîtrise de mieux en mieux les techniques."
Quand on lui demande s’il connaît Thierry Marx, il lève la tête de la grosse pâte blanche qu’il est en train de pétrir, il fait remonter les lunettes sur son nez avec le revers de son poignet, et il nous répond que "non." Comme ça. Il se tapote ensuite la main sur la cuisse pour se dé-fariner les doigts avant de sortir son téléphone. "Mais j’ai fait une photo avec lui." Quand même.
Adda et la chocolaterie
Dans la pièce où pâtissent les apprentis c’est autre chose. Les odeurs sont plus marquées, ça pique le nez parfois. "C’est les coulis de fruits exotiques qui font ça, nous explique un des élèves. C’est vrai que c’est acide."
Adda est sur un des plans de travail du laboratoire. Il porte la charlotte sur la tête comme les autres et il s’est mis du chocolat partout sur les doigts, comme les autres. Il ne fait pas de bruit et sourit timidement quand on passe à côté de lui.
On ne peut pas deviner, en le regardant, l’histoire qui l’a amené ici. Il a perdu ses deux parents à l’âge de 3 ans, en Algérie. Recueilli par une voisine, il n’a jamais retrouvé son grand frère. A 13 ans, à l’âge où la majorité des jeunes français passent leur brevet, il est monté sur une barque pour rejoindre l’Europe. "Là je fais des gâteaux, j’adore ça, raconte-t-il. Je suis content d’être ici aujourd’hui quand je vois tout ce qui s’est passé avant. Je n’ai que 18 ans, j’ai encore beaucoup de choses à faire. Avant ça, j’ai beaucoup travaillé dans des boulangeries au "black". Moi ce que je veux maintenant, c’est une vie normale."
Il nous a demandé de goûter un des gâteaux qu’il préparait, et il a essuyé avec son doigt un bout de crème au chocolat qui dépassait. On ne sait pas si le gâteau était bon, à vrai dire quelle importance, on goûtait autre chose, le goût d’une vie retrouvée.