Derrière mon handicap est une série de plusieurs interviews filmées de personnes en situation de handicap mais aussi de recruteurs et professionnels des ressources humaines. Tous nous racontent une histoire, un point de vue, des anecdotes. Les mots sont forts mais ils reflètent leur réalité.
Handicap… un bien grand mot pour dire beaucoup. Un mot difficile à définir et qui reste encore tabou. Entre malaise et incompréhension, parler de handicap n’est pas aisé.Ne devrions-nous pas dire handicaps d’ailleurs ? Ils sont multiples et parfois invisibles.
Redéfinissons ensemble la notion de handicap pour la comprendre et l’appréhender d’une meilleure manière.
Samuel
Samuel est atteint de surdité des deux oreilles depuis son plus jeune âge. Une surdité qui accroit en même temps que son âge augmente. Il s’en amuse presque. Pour Samuel, c’est entre 20 et 25 ans que sa surdité s’est prononcée davantage et a commencé à le handicaper.
« Je n’ai pas eu le choix de l’accepter. » confie Samuel. Ce n’est pas toujours simple. Son handicap est congénital et son fils a déjà hérité de ce « don naturel » ironise-t-il. Aucune opération n’est possible car c’est l’oreille interne qui est atteinte.
Difficulté de perception oblige, Samuel a trouvé des artifices de substitution. Il demande à faire répéter ses interlocuteurs… mais même au bout de la deuxième fois, il n’a toujours pas entendu. « On se jette à l’eau et on répond quelque chose ». Bien-sûr, parfois ça mène à des réponses complètement « à côté de la plaque ».
Une solution pour ses interlocuteurs ? Ralentir l’élocution et parler plus fort.
Depuis 12 ans, Samuel porte des aides auditives qui amplifient les sons et lui permettent relativement bien d’entendre ce que son entourage a à lui dire.
Samuel parle de son handicap à ceux qu’il ne connaît pas. Mais il admet que quelqu’un qui n’a pas l’habitude de s’exprimer face à un malentendant n’adoptera pas la bonne attitude.
Est-ce qu’il y a un avantage à être sourd ? Pour Samuel, oui. Sa surdité lui permet une meilleure concentration dans un environnement sonore saturé. « Ça permet aussi de ne pas se réveiller la nuit quand il y a du bruit à l’extérieur ».
Mais évidemment, la surdité de Samuel le conduit à un certain isolement. Dans les déjeuners de famille, il rate plusieurs sujets de discussion. Mais Samuel l’assure, il a le goût du challenge et du risque… alors il fréquente des personnes étrangères. C’est encore moins facile d’entendre et de comprendre l’anglais par exemple, mais ces situations forcent Samuel à surpasser son handicap.
Sa plus grande frustration ? Rater les blagues. Une fois sur deux, Samuel dit qu’il ne les entend pas. Alors s’il voit la foule rire, il en fait de même.
Samuel convient aussi que pendant ses études, et notamment lors des examens, il était un très mauvais voisin. Tout le monde, même les surveillants, entendait quand quelqu’un demandait une réponse. Tout le monde… sauf Samuel.
Samuel a la RQTH, la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé. Le dossier, fastidieux, a été monté et accepté… pour une simple durée de deux ans. « Ce que je ne comprends pas puisque dans deux ans je ne pense pas que je serai moins sourd. » déclare l’intéressé.
Hugues-Raphaël
Il nous raconte son parcours qui, malgré les épreuves, est synonyme d’accomplissement.
En 2000, Hugues se lance dans une formation d’AES (Administration Economique et Sociale). C’est dans l’armée française que Hugues démarre, en tant qu’officier. Suite à son accident, c’est dans l’entreprise familiale, une exploitation forestière qu’il pose ses valises. Là, il était en charge de la gestion et de la partie ressources humaines. C’est donc tout naturellement qu’en 2015, Hugues reprend dans études dans ce domaine, à Dijon. Il fait son retour à l’université… en fauteuil roulant.
« C’était un vrai challenge pour moi »
Hugues l’assure, son retour à la fac s’est très bien passé. Après son accident il n’avait qu’un objectif : se relancer au niveau professionnel et obtenir de nouvelles compétences en ressources humaines. Une formation universitaire de pointe était donc nécessaire. « Les étudiants avaient entre 20 et 25 ans alors que moi, j’en avais 38. » confie Hugues, presque rieur.
Le challenge est double : se remettre dans les études et avec une population bien plus jeune que lui. « On a fait plein d’activités, on est même allé à New-York et c’était un sacré périple. » Des camarades presque protecteurs selon Hugues. Ils lui apportaient de l’aide sans même qu’il ait besoin de le demander.
Ce retour aux études permet à Hugues d’ouvrir son propre restaurant à Dijon en mai 2018. Mais chef en fauteuil, qu’est-ce que ça change ? « Pas grand-chose. Les décisions je les prends en âme-et-conscience avec ma tête ! » et pas ses jambes comprenez donc… Que ce soit pour recruter quelqu’un ou pour appeler les fournisseurs, le handicap de Hugues n’en est plus un.
« Ça demande juste quelques petites adaptations »
Hugues admet ne pas pouvoir aller toujours là où il veut. Les cuisines sont peut-être un peu trop exiguës et il demande à d’autres de faire ses yeux et ses jambes. Cependant, jamais Hugues ne s’est dit qu’il ne pourrait être chef de restaurant à cause de son fauteuil roulant. « Le fait d’entreprendre était une longue réflexion. » Comme un aboutissement même. Hugues a traversé les épreuves : l’accident, la rééducation intensive… Il a fallu se relancer. « Mon corps me met des barrières, mais moi je ne m’en mettrai plus. » Hugues avait le rêve de monter son entreprise avant son accident. Alors même après l’accident, il fallait qu’il atteigne ce rêve.
« C’est presque une revanche. »
Hugues l’assure, sourire étiré sur le visage : il va bien aujourd’hui et est pleinement épanoui.
MAÏTÉ
« Ça peut arriver à beaucoup de monde ! »
Elle a 33 ans et cherche un travail en tant que technicienne hygiène, sécurité et environnement. Les recherches ont démarré lorsque le médecin lui a repéré une hernie discale. Maïté parle elle-même d’une pathologie anodine. Elle a conscience que d’autres sont atteints de handicaps bien plus lourds et plus difficiles à gérer. Il n’empêche que ses problèmes de dos l’ont forcée à quitter son entreprise.
Voilà déjà 11 ans que Maïté était mécanicienne-monteuse. Contrainte donc à porter des charges lourdes. De là à dire que son dos a été abîmé à cause des tâches effectuées à répétition, il n’y a qu’un pas. Le verdict est ensuite tombé. Son entreprise n’a pas pu la reclasser, alors Maïté a été licenciée. Malgré le soutien de son ancien directeur et ex-collègues, la jeune femme n’a eu d’autres choix que s’en aller.
« D’un commun accord sur cette solution-là »
Maïté a besoin d’un temps de convalescence et d’une reprise de travail en douceur. La décision a été difficile à accepter. Son entreprise lui a tout de même proposé une formation, à un poste dans un bureau… loin de ce que Maïté et savait et voulait faire. La jeune femme sortait d’une année difficile et ne savait plus trop où aller. « J’avais envie que ça s’arrête ». Elle admet ne pas avoir très bien vécu la transition. Maïté devait tirer un trait définitif sur la mécanique et le port de charges.
« Un tremplin pour faire autre chose »
Maïté est motivée et va tout faire pour reprendre son avenir professionnel en mains et ne pas se laisser abattre. Elle préfère d’ailleurs prévenir les recruteurs dès le début de son handicap. « Pour éviter tout déconvenue ». Son CV justifie d’une expérience importante en mécanique alors Maïté trouvait essentiel de le notifier pour éviter de se retrouver sur un poste non-adapté.
La jeune femme admet n’avoir jamais ressenti de discrimination mais comprend que ça puisse être une peur pour certains. Qui conseillent même de le faire disparaître du CV… « Peut-être que ça fait peur aux entreprises »
Tout le monde n’est donc pas prêt à faire un effort.
GUILLAUME
Guillaume est infirme moteur-cérébral. Des troubles au niveau musculaire, dûs au handicap l’empêchent d’occuper un poste en situation debout trop longtemps.
Guillaume est né avec son handicap. Il a aujourd’hui 26 ans.
Le jeune homme a déjà eu des emplois saisonniers et a suivi des stages pour obtenir son diplôme. Sans hésitation, il affirme que les expériences ont toujours été enrichissantes. Guillaume a été très bien reçu et entretenait de bons rapports avec ses collègues.
Même si ses collègues étaient toujours prévenus du handicap de Guillaume, il ne l’a jamais précisé de vive voix. Cependant, dans son parcours est mentionné son parcours à l’Institut d’Education Motrice sur le territoire de Belfort. Les recruteurs comprennent donc forcément qu’il est en situation de handicap. Mais Guillaume insiste : « Je n’ai pas envie que ça me mette de barrières ». Alors jamais il ne s’attarde sur son handicap.
Guillaume s’adapte très facilement et pour lui ce n’est pas un obstacle. Il a par exemple travaillé dans une banque à Dijon, à un poste administratif. Mais il n’avait pas besoin que son employeur mette en place une adaptation particulière. C’est Guillaume qui s’est adapté. Comme toujours. Il a cette force et cette capacité.
« Ce n’est pas marqué sur mon front »
Sa philosophie ? Être naturel et si ça ne plait pas « tant pis ». Les expériences négatives, il a assez connu pour ne plus s’arrêter sur un échec. Guillaume admet avoir été refusé sur certains postes à cause de son handicap. « Il ne faut pas se leurrer, le handicap c’est encore tabou » Le jeune homme a conscience des stéréotypes qui trainent dans la tête des recruteurs. Être en situation de handicap rime pratiquement toujours avec l’image du fauteuil roulant.
Guillaume le répète : une personne en situation de handicap peut se rendre à un entretien d’embauche et prétendre à un poste. Il est aussi sûr d’une chose : les personnes handicapées ont, en général, plus de facilité à s’adapter que d’autres et sont très motivées. Leur chemin de vie oblige ? Peut-être.
« Être handicapé ne veut pas dire être incapable de faire une tâche »
Il l’a déjà senti, certaines entreprises émettent une réserve à embaucher une personne en situation de handicap. Guillaume rebondit toujours et tente de les convaincre et de leur prouver toute sa détermination. Il trouve ça d’autant plus dommage de s’arrêter sur une idée reçue alors que des solutions d’adaptation existent. Coûteuses certes, mais « il y a différents degrés de handicap et donc différents degrés d’adaptation ».
Ce que souhaite Guillaume au fond, c’est que les recruteurs laissent les candidats en situation de handicap s’exprimer. Eux qui sont habitués à vivre avec depuis longtemps, parfois depuis toujours, n’envisagent pas leur handicap de la même manière qu’une personne extérieure. Alors si Guillaume n’a pas peur, pourquoi continuer à douter ?
« On est mis dans une case et on en sort plus »
Il passe du « je » au « nous » sans transition et s’érige en porte-parole des personnes en situation de handicap. « Si on ne se rebelle pas, on est mis dans des cases ».
KÉVIN
Kévin a 27 ans. Lorsqu’il avait 12 ans, il a été opéré d’une tumeur au cerveau. « Depuis j’essaie de vivre avec » déclare-t-il, un sourire timide au bord des lèvres.
Difficilement, il admet être « différent », « pas comme les autres ». Une opération aussi lourde laisse des traces. Mais ce qui est le plus difficile pour Kévin, c’est du trouver du travail. Jusqu’à présent, il n’a multiplié que les expériences courtes, souvent en intérim. Son plus long contrat l’a emmené jusqu’à 15 jours de mission, dans un magasin de vêtements à Quetigny. « Je suis lent, quelque chose ne va pas », voilà le retour qui a été fait au jeune homme sur ce de précédents emplois. Cette situation pèse sur Kévin.
« Moi-même je ne sais pas pourquoi je n’ai pas de travail fixe »
Et pourtant rien ne cloche dans son parcours. Après son bac, c’est en BTS MUC (Management des Unités Commerciales) que Kévin s’est inscrit. Un diplôme qu’il a obtenu en quatre ans. Son école a aménagé la formation pour lui permettre d’obtenir son BTS malgré la maladie. « Et pour ça, je les remercie infiniment parce que c’est très difficile de trouver du travail avec juste un bac ».
Lorsque Kévin effectuait ses premières demandes d’emploi, il précisait sur son CV son handicap. Aujourd’hui, il ne le précise plus mais en parle à un recruteur si nécessaire. « Mais cette solution ne m’aide pas forcément à trouver du travail… » Alors si quelqu’un a une solution pour lui…
Au travail, Kévin ne parle pas de son opération. Il ne s’ouvre pas facilement aux gens « surtout quand je vois qu’en face de moi je n’ai pas quelqu’un de confiance ». Alors finalement, Kévin se dit que ce n’est pas plus mal qu’il n’ait pas été gardé par ses employeurs. « Sur le long terme ça aurait peut-être été compliqué »
La vie est un combat, c’est Kévin qui le dit. « Plus on avance et plus c’est difficile ». Et pourtant, chaque matin il se réveille et trouve la force de chercher du travail. Ce n’est désormais plus une option mais bien une nécessité. « Il faut pouvoir subvenir à ses propres besoins ! »
Mais parfois Kévin ne vit plus. Il survit. « C’est un accomplissement de pouvoir payer ses factures, ses impôts, avoir un travail ou une voiture. » Le jeune homme a besoin de tout ça pour se sentir, enfin, en sécurité.
Qu’est-ce que Kévin a envie de dire aux entreprises ?
« RQTH ne veut pas dire ne pas pouvoir travailler ». Lui souligne que malgré sa tumeur en phase terminale, son opération in-extremis qui lui a coûté seulement l’audition, il peut travailler et faire plein de choses. « Je n’ai pas une situation critique. Alors laissez-moi une chance ».
Nadine Guérin, chargée de mission handicap au CHU de Dijon
Mais qu’est-ce que c’est chargée de mission handicap ? Au CHU (Centre Hospitalier Universitaire) de Dijon, c’est la prise en charge de professionnels qui ont besoin d’une reconversion professionnelle ou d’une prise en compte de leurs difficultés sur leur poste de travail et de l’adaptation de celui-ci s’il le faut. Mais Nadine Guérin porte également une mission d’écoute. Elle est à la disposition des professionnels pour toute demande. « Ça c’est le volet en interne » tient-elle à différencier. Le volet en externe lui, consiste à recruter des personnes en situation de handicap dans le cadre du « projet handicap au CHU » mis en place depuis 2009.
Sur un sujet aussi sensible, une question nous brûle les lèvres… « Comment on recrute une personne en situation de handicap ? » Alors sans hésitation Nadine Guérin répond que c’est les compétences qui sont recrutées et non pas la personne. Elle met un point d’honneur quant au refus de procéder à une forme de discrimination positive.
Le recrutement, c’est très simple : un profil de poste bien défini, des qualités recherchées, un candidat avec des compétences qui correspondent ou non à la recherche. Et si besoin, les services du CHU mettent en place une adaptation du poste de travail, ce qui ne représenterait que 20 % des cas.
La chargée de mission handicap collabore avec le médecin du travail et un ergonome pour adapter les postes. Les trois professionnels réalisent une étude et envisagent différentes possibilités d’adaptation : matériel, accompagnement, tutorat, formation… Sur un poste d’agent en blanchisserie par exemple, il est possible de commander une monobrosse ou un chariot de ménage plus ergonome. La direction générale du CHU met d’ailleurs en place des fonds spéciaux à destination des travailleurs handicapés, pour améliorer leur quotidien.
Des sensibilisations générales sont également possibles, à destination des équipes de travail. « Ce n’est pas facile pour la personne mais ça ne l’est pas non plus pour les équipes » tient à préciser Nadine Guérin. C’est vrai… pour éviter toute blague malvenue, il est préférable que les collègues soient au fait du dit handicap.
Le CHU respecte le cadre législatif puisqu’ils sont aujourd’hui à 6,50% de taux d’emploi de travailleurs handicapés. Mais « les chiffres ne suffisent pas. Derrière, il y a l’humain ! » précise Nadine Guérin.
Nicolas Héron, représentant employeur
DRH (Directeur des Ressources Humaines) du groupe Essilor, Nicolas Héron revient sur un programme mis en place dans son entreprise : un robot collaboratif. « Un bel exemple » selon lui.
Le projet, pluridisciplinaire, rassemblait des salariés (équipe maintenance, expertise engineering, RH) mobilisés autour du développement d’un robot qui permettrait d’assister un travailleur en situation de handicap voire de le suppléer.
La mise en place de "Cobot" a permis à ce moment de maintenir dans l’emploi un salarié qui avait la reconnaissance de travailleur handicapé. Au-delà de cette mission, Cobot a aussi pour objectif d’améliorer les conditions de travail de tout un collectif.
Cobot s’est plutôt très bien installé dans l’entreprise. « Il y a même des familiarités qui se sont créées » plaisante Nicolas. Cobot est devenu « Nono », le compagnon de travail de toute une équipe.
Le fait de programmer cet équipement et de l’installer comme un outil indexe à une machine historique nécessitait des programmations spécifiques : capacité à anticiper les différentes configurations de fabrication et dans ce cadre, les équipes de maintenance et d’engineering ont travaillé « main dans la main » avec les équipes de production pour s’assurer que toutes les hypothèses de travail puissent être intégrées dans le déploiement de cette activité.
Le taux d’emploi de travailleurs handicapés dans le groupe atteit pratiquement les 9 %. Loi largement respectée.
Quels conseils Nicolas pourrait donner à un recruteur sur la prise en charge du handicap en entreprise ? « Faire preuve de pragmatisme, de créativité et d’ouverture » afin de définir au mieux les actions les plus aidantes et répondant le mieux aux besoins des personnes en situation de handicap.