"Il a glissé et on ne l'a pas vu, hein ?" : une affaire de violences policières jugée à Dijon

Deux policiers de Dijon étaient jugés ce 12 septembre au tribunal correctionnel. Ils sont soupçonnés de violences lors d'une interpellation, et d'avoir rédigé un compte-rendu mensonger.

Une affaire sensible, dans un contexte tendu. Quelques semaines après les émeutes liées à la mort de Nahel, en parallèle d'une autre affaire de bavure à Marseille, deux policiers étaient jugés à Dijon, ce mardi 12 septembre, pour avoir violenté un homme sur le plateau de Chenôve, près du centre équestre, en mars 2020. L'un d'eux était poursuivi également pour faux en écriture publique, soupçonné d'avoir menti sur le compte-rendu des faits.

Deux dents cassées

"C'est une affaire extrêmement grave. Sans les images de la GoPro, mon client serait parti en taule !" lance Anthony Truchy, l'avocat de la victime, Amine C. En effet, il apparaît au cours de l'audience que l'issue aurait pu être bien différente sans ces images, filmées par la caméra embarquée de la police municipale qui était aussi présente ce jour-là.

Car sur le papier, tout penche en défaveur d'Amine C. Ce 13 mars 2020, la police municipale de Chenôve appelle en renfort un équipage de police nationale. Les municipaux sont au plateau de Chenôve, près du centre équestre, et se font malmener par un groupe de jeunes en moto-cross qui les insultent, leur lancent des cailloux. En arrivant, les policiers nationaux de Dijon procèdent à l'interpellation de cinq jeunes, dont Amine C... qui sort à peine de garde à vue, une heure plus tôt, pour détention d'arme. 

Au cours de l'interpellation, Amine C. reçoit deux jets de bombe lacrymogène et tombe par terre, "trébuche sur les cailloux", et se casse deux dents... Du moins, c'est ce que dit le PV de compte-rendu écrit par Christophe R., le brigadier-chef de la police nationale en intervention. Mais la réalité va s'avérer bien différente. 

"Bâtard", "ferme ta gueule", "on vous fracasse"

Ce 12 septembre à l'audience, la présidente Hélène Cellier effectue un long rappel des faits. C'est là que l'on découvre plusieurs élements accablants contre les policiers. 

D'abord, Amine C. n'a rien à voir avec le groupe de jeunes à moto qui a précédemment eu maille à partir avec les policiers municipaux. Il sort effectivement de garde à vue pour détention d'armes mais a été blanchi et ressort libre. Il est en voiture sur le plateau de Chenôve, une Golf 4, avec son cousin et trois amis, ainsi qu'un cinquième ami dans une Clio. 

Amine C. raconte que des policiers arrivent et leur demandent de sortir. Ils s'exécutent et là, il voit l'un des agents donner "une claque" à son cousin. "Eh, faut pas le taper !" réplique Amine. Il déclare alors se prendre lui-même une "claque" derrière la nuque, puis un jet de lacrymogène, et tout de suite après, il reçoit un violent coup sur la bouche, qui lui casse deux dents. 

L'un des deux policiers mis en cause, Bastien B. lui lance alors : "Dégage, casse-toi." "Vous avez pas le droit de nous gazer comme ça !" répond Amine.

"Barre-toi, bâtard ! Barre-toi, bâtard !" lui répond le policier. Suivent d'autres insultes lancées par les gardiens de la paix : "Ferme ta gueule, sinon on vous fracasse (...) On va revenir, on va vous enc***r (...)" Autre phrase imputée au brigadier-chef : "Le premier qui fait le con, je lui casse la gueule." On entendra aussi un : "Faut les raser d'entrée, ces fils de p**e."

Ces phrases figurent dans les vidéos, filmées par la GoPro d'une policière municipale. Vidéos également projetées pendant l'audience, et que toute la cour visionne. "C'est conforme, ça, comme langage ?" demande la cour au témoin, ex-commissaire divisionnaire en poste à l'époque. Silence. Puis : "Ce n'est pas déontologique", se contente-t-il de répondre.

"Il a glissé et on ne l'a pas vu, hein ?"

Après cette première altercation, Amine C. obéit au "barre-toi" des policiers et monte dans sa voiture. Il descend à toute allure le quartier de la Patte-d'Oie, arrive chez lui, constate les dégâts dans le miroir, se passe de l'eau sur le visage... Et décide de retourner sur place, demander des explications aux policiers.

"Quand il revient et qu'il demande qui lui a cassé des dents, on lui répond : "Tu mens, t'es tombé tout seul, tu t'es cassé les dents par terre", relate la présidente.

Une version "confirmée" par les échanges radio de la police, quand Christophe R. déclare à ses collègues : "Il y a un individu qui dit que la police l'a frappé, mais il a glissé sur les cailloux et on l'a pas vu, hein ?" Le cousin d'Amine C., lui, déclare qu'il entend les policiers dire : "S'il y a un problème, on dira qu'on est tombés dans une embuscade." Une phrase que les officiers ne confirmeront jamais.

Plus tard, lorsque Christophe R. rédigera son PV de compte-rendu d'intervention, il écrira que Amine C. et ses amis sont "soudain" sortis des fourrés et de derrière les voitures, et qu'Amine C. avait déjà la bouche en sang.

"Vous dites qu'il avait déjà les dents cassées quand vous arrivez, mais ce n'est concrètement pas la réalité !" s'offusque Hélène Cellier. "J'ai fait une supposition", répond Christophe R. "Mais comment on peut faire des suppositions dans un PV ?"

Le coprévenu, Bastien B., tente aussi de se défendre. Il est soupçonné d'avoir mis la claque à la nuque d'Amine C. "Ce n'était pas un geste de violence", affirme-t-il. "Qui a gazé Amine C. ?" "C'est pas moi, je sais pas." Bastien B. reconnaît toutefois que dans cette intervention, "tout n'est pas parfait". "Ca veut dire quoi ?" le presse la présidente ? "L'intervention, le contexte, les violences urbaines..." 

La police municipale parle d'une intervention "violente"

Quelques jours après les faits, Amine C. déposera plainte pour violences par personne dépositaire de l'autorité publique. L'IGPN est saisie de l'affaire le 26 mai 2020. Elle enquête et conclut à des "poursuites possibles" envers les deux fonctionnaires, Bastien B. et Christophe R. 

Au cours de son enquête, la police des police interrogera aussi les municipaux présents sur place. Ces derniers auront également des déclarations lapidaires envers les deux brigadiers. "Je pense que les blessures d'Amine C. sont dues à l'intervention de la police nationale", dira l'un d'eux, qui qualifie l'intervention de "violente, inadaptée" et se dit "choqué".

Un autre policier municipal dira que les jeunes n'étaient "pas violents". Une policière indique aussi : "Amine C. a reçu un coup au visage et un jet de lacrymogène. Il n'était pas virulent. La police nationale l'a insulté alors qu'il quittait les lieux à leur demande." Un troisième policier municipal confirme ces insultes, et qualifie l'intervention de "bordel".

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Dans un complément de rapport d'août 2022, l'IGPN réalise de nouvelles auditions. Interrogé sur les incohérences du PV de compte-rendu, Bastien B. déclare alors : "J'ai signé le PV sans prendre le temps de regarder." Christophe R., lui, admet qu'il a pu casser les dents d'Amine C. mais qu'"en tout état de cause, c'était involontaire"... et ajoute, pour se justifier, que "si ça avait été volontaire, j'aurais pu lui casser la mâchoire".

Sur les erreurs du compte-rendu, Christophe R. ajoute : "J'ai fait une incohérence, je reconnais que c'était mal écrit." Et : "Si j'avais su qu'il y avait des vidéos, j'aurais apporté des précisions."

"On va se dire que, peut-être, parfois, la police n'écrit pas la vérité !"

Car en effet, ce sont ces vidéos qui changent la donne. "Sans ces images, mon client serait passé en comparution immédiate et aurait été condamné !" répète Anthony Truchy, le conseil d'Amine C. Car ce jour-là, Amine - qui venait de sortir de garde à vue - est retourné en cellule quelques heures après l'altercation : en descendant à vive allure le quartier de la Patte-d'Oie, il aurait frôlé des motards de la police. Pour ces faits, il ne sera pas poursuivi. "Il était évidemment choqué, la bouche en sang, les yeux plein de gaz lacrymogène, bien sûr qu'il roulait vite et il le reconnaît d'ailleurs." Maître Truchy maintient que, si la version initiale des policiers avait été retenue, Amine C. aurait fait l'objet de poursuites.

Le procureur, Olivier Caracotch, en fait la même lecture : "Maître Truchy n'a pas totalement tort quand il dit que Amine C. aurait sûrement été jugé."

Dans son réquisitoire, le procureur fustige une intervention "violente et illégitime" face à cinq jeunes "sans aucune menace ni vélléité d'agression", comme les vidéos le corroborent. Le magistrat reconnaît : "Oui, le contexte est tendu ; oui, les policiers interviennent à la base pour des violences urbaines ; oui, ils ne savent pas ce qu'ils vont trouver en arrivant ; oui, on est à un moment où la France a peur car le confinement sera décrété une semaine plus tard..." Mais ces circonstances n'effacent pas pour autant la responsabilité des policiers aux yeux du procureur.

"L'Etat a le monopole de la violence légitime", reprend Olivier Caracotch. "Et exercer des violences qui ne sont pas légitimes, c'est porter atteinte à la confiance que l'on doit avoir dans ceux à qui on confie cette mission. Et à la confiance que l'autorité judiciaire doit avoir dans les compte-rendus !"

Le procureur interpelle Christophe R., le brigadier-chef auteur du rapport erronné. "Monsieur, ce type de PV vient mettre un coin dans l'ensemble des PV de la juridiction. On va se dire que, peut-être, parfois, la police n'écrit pas la vérité !"

Le procureur requiert 2000 euros d'amende sous sursis simple pour Baptiste B., et 6 mois de prison avec sursis pour Christophe R. De son côté, Jean-Philippe Morel, l'avocat des deux prévenus, plaide la relaxe pour les faux en écriture et la requalification en violences involontaires pour Christophe R. Le brigadier-chef, lui, ajoute : "Je voudrais présenter mes excuses à monsieur Amine C. Je n'aurais pas dû lui occasionner ses blessures."

Mise en délibéré, la décision sera rendue le 14 novembre.

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