INTERVIEW. Tour de France, rites initiatiques, "chef-d'œuvre" : retour sur les traditions ancestrales des Compagnons du devoir

Les Compagnons du devoir de Dijon organisent leur portes ouvertes ce week-end du 12 mars. L'occasion de revenir avec Thomas Bachelet, prévôt de l'organisation à Chalon-sur-Saône, sur les facettes qui font la légende de cette corporation historique de l'artisanat d'excellence.

Tour de France, rites initiatiques, "chef-d'œuvre", blason, etc. Les Compagnons du devoir charrient leur lot de symboles historiques, qui peuvent parfois être assez flous dans l'opinion populaire.

Le week-end des 11 et 12 mars, l'Association ouvrière des compagnons du devoir et du tour de France (AOCDTF), principale organisation de formation traditionnel au métier de l'artisanat, organise ses portes ouvertes.

En Bourgogne, les centres de Dijon et d'Auxerre sont ouverts au public. L'objectif est de faire découvrir au plus grand nombre les 30 métiers enseignés par l'association (métiers du bâtiment, de l'industrie, métiers du goût et métiers des matériaux souples) et d'expliquer certaines traditions ancestrales du compagnonnage

Thomas Bachelet, prévôt de l'association à Chalon-sur-Saône, en Saône-et-Loire, revient pour France 3 Bourgogne sur les spécificités de l'organisation 

France 3 Bourgogne : Thomas Bachelet, avant de commencer, expliquez nous la signification de votre poste.

Thomas Bachelet : C'est vrai que l'intitulé peu paraître compliqué et renvoie déjà à un aspect historique. Au Moyen-Age, un prévôt s'occupait de tout ce qui était administratif et financier sur une zone géographique dédiée. Eh bien chez nous, c'est pareil. 

Je suis moi-même un compagnon-maçon ayant achevé sa formation. Aujourd'hui, je suis responsable du centre de formation de Chalon-sur-Saône. Je m'occupe du recrutement, du compagnonnage, de l’hébergement, du placement des jeunes apprentis en entreprise. Je veille également sur nos autres antennes saône-et-loiriennes à Mâcon, Chagny et Paray-le-Monial.

Vous parlez de compagnonnage. Pouvez-vous nous expliquer ?

Le compagnonnage, c'est tout notre réseau national d'artisans et d'ouvriers axé sur l'entraide, la formation, la transmission de savoir-faire traditionnels et la recherche d'excellence.

Notre association a été créée en 1941 mais trouve ses racines au Moyen-Age. Nous sommes rassemblés autour du métier que l'on exerce. Pendant sept ans, les personnes qui souhaitent devenir compagnons suivent une formation qui leur inculque des compétences professionnelles mais aussi des valeurs communes.

Quelles sont les étapes de cette formation ?

Il y en a trois, que l'on retrouve symboliquement sur le blason de l'AOCDTF sous la forme de trois oies. Première étape, celle de l'apprenti, qui découvre un métier en alternance dans un centre de formation et une entreprise. La deuxième étape est la base de notre corporation, ce qu'on appelle le "tour de France".

Cet intitulé attise la curiosité, peut-on en savoir plus ?

Bien sûr. Après son apprentissage, lorsqu'un jeune a envie de continuer dans cette voie, lorsqu'il a un projet professionnel en tête, il s'engage dans un tour de France. Pendant 4-5 ans, il va bourlinguer dans les quatre coins du pays pour continuer d'apprendre son métier et découvrir des savoir-faire propres à chaque région et à chaque entreprise par laquelle il passera.

Il y aussi une étape où le jeune part à l'étranger pendant une année. Pendant cette aventure, il sera hébergé dans toutes nos "maisons", des structures d'hébergements disséminées dans tout le pays. Il peut aussi être accueilli par des compagnons déjà "diplômés". Ce réseau, construit à travers les années, illustre à merveille nos valeurs d'entraide et de transmission.

"Chef d'oeuvre" et rites initiatiques

Et à la fin de ces 5 années ?

S'il en a l'envie, le candidat pourra être reçu "compagnon". C'est la troisième et dernière étape, à l'issue de ce tour de France. Pour y parvenir, il doit alors réaliser un "chef-d'oeuvre".

C'est-à-dire ?

C'est un autre aspect symbolique de l'association. Le "chef d'œuvre", c'est un ouvrage sur le long terme, assez conséquent, présenté à un jury d'anciens compagnons du métier. Je trouve l'expression un petit peu prétentieuse, parlons plutôt d'un joli travail (rires). 

On essaye de se surpasser en utilisant le savoir-faire accumulé. Si nous sommes jugés apte à devenir compagnon, on s'engage alors dans une entreprise classique. On peut aussi entrer dans l'association en tant que salarié pour former les apprentis dans nos centres ou devenir prévôt, comme moi.

Dans l'imaginaire collectif, le compagnonnage, c'est aussi des rituels symboliques. Est-ce vrai ?

Attention, nous préférons parler de passage. C'est lorsqu'on franchit une étape. Dans ces moments, c'est vrai qu'il y a un petit côté spirituel, mais rien d'anormal, c'est plus de la tradition. Pendant une petite cérémonie, on va exposer à l'aspirant certaines attentes.

On lui remet une canne, symbole du tour de France, initialement effectué à pied. Il reçoit également une "couleur", c'est-à-dire une banderole avec des motifs qui lui rappelle son parcours chez les compagnons, sa progression et le blason de son métier.

Certaines personnes nous voient encore comme une sorte de secte

Thomas Bachelet,

prévôt des Compagnons du devoir à Chalon-sur-Saône

Le blason, là aussi quelque chose de très traditionnel !

Eh oui ! Chaque profession à son blason. Il part d'une même base, l'écusson commun de tous les Compagnons du devoir : une équerre, qui représente la rigueur, et le compas, pour la souplesse. A partir de là, chaque métier rajoute certains outils qui lui corresponde.

Ce blason reste un symbole, vous ne le portez pas constamment ?

Bien entendu. On est tous très fier de notre métier mais un bon compagnon doit faire preuve d'humilité. On est pas sensé crier sur tous les toits qu'on est compagnon. Beaucoup ne le disent même pas.

Pourquoi ?

Déjà car cela peut nous mettre en porte à faux dans certaines situations. L'image d'un travail d'excellence nous fait une bonne pub, mais certains vont s'attendre à la perfection, coûte que coûte. Or, si on n'a pas de budget, on a beau avoir le talent, on sera limité.

Certaines personnes nous voient encore comme une secte. Mais ce n'est pas vrai : un jeune peut partir à tout moment, quand il le souhaite, sans mettre en danger son avenir professionnel. Et puis nous sommes ouverts aux changements, comme la féminisation de l'organisation et l'introduction des nouvelles technologies dans nos pratiques.

En Bourgogne, les Compagnons du devoir comptent environ 1 000 jeunes en formation et 200-300 aspirants actuellement sur le Tour de France. 500 "compagnons sédentaires" sont installés sur le territoire.

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