La "crise de la moutarde" pourrait bien trouver une fin prochainement. La récolte de la graine de moutarde en Bourgogne a été bonne, et celle au Canada s'annonce excellente. Ce qui pourrait permettre de regarnir les stocks en fin d'année.
Des rayons vides dès les premières heures de la journée. Des images qui pourraient bientôt faire partie du passé.
La moutarde telle que nous la connaissons est fabriquée principalement à partir de graines de moutarde importées. C'est le cas, par exemple, de la célèbre moutarde de Dijon. Pour "la moutarde de Bourgogne", les graines proviennent exclusivement de la région Bourgogne.
Une "bonne récolte" bourguignonne
La moutarde bourguignonne vient d'être récoltée, et cette récolte est plutôt bonne. Ce sont 6000 tonnes de graines de moutarde qui ont été récoltées en Bourgogne cette année, ce qui est de 50% supérieur à 2021 !
On pourrait croire que les chiffres sont enthousiasmants, mais la réalité est plus contrastée : "c'est mieux qu'avant, mais c'est nettement insuffisant pour satisfaire les besoins de la totalité de filière, tempère Luc Vandermaesen, président de l'Association Moutarde de Bourgogne et directeur général de la Moutarderie Reine de Dijon, basée à Fleurey-sur-Ouche (Côte-d'Or). Ça permet néanmoins de donner un bol d'oxygène à l'ensemble des transformateurs industriels de la région, pour pouvoir fabriquer à nouveau dans de meilleures conditions qu'il y a un mois ou deux."
"on était à la citerne près"
La gestion des stocks de graines a permis aux transformateurs de graine de Bourgogne de maintenir leur activité, mais de façon réduite pendant la pénurie. Le président de l'association est aussi chef d'entreprise, et il détaille comment cela s'est déroulé : "on ne s'est pas arrêtés complètement, on avait géré très précautionneusement notre stock de graines de Bourgogne. On a vraiment fait le joint à la citerne près, entre la récolte 2021 et la récolte 2022. Pour certains autres opérateurs, qui n'utilisent pas forcément la graine de la même façon que nous, ça leur permet de redémarrer, mais pas à plein pot, car il faut attendre l'arrivée des graines canadiennes pour pouvoir le faire."
Le Canada, acteur mondial sur le marché de la moutarde
Le Canada est producteur de graines brunes, celles utilisées pour l'élaboration de la moutarde. La récolte est en train de s'achever sur le continent nord-américain. Elle survient deux mois plus tard qu'en France.
Le produit de cette récolte "mettra du temps" à arriver en Europe. L'explication est simple : "il faut regrouper les lots, puis il y a un temps de nettoyage. Il faut aussi tout le temps de transport, pour passer de l'Ouest canadien à l'Est canadien, puis ensuite prendre un bateau, avec toutes les congestions maritimes qu'on connaît. On estime que la production canadienne atteindra l'Europe vers le mois de Décembre. "
Les consommateurs peuvent se réjouir, car on peut espérer "revoir des pots en nombre dans les rayons dès le mois de janvier 2023."
Spéculation possible des producteurs canadiens
Le retour des produits en rayon reste toutefois suspendu à l'attitude des exportateurs canadiens : "les Canadiens sont ultra-dominants et peuvent être très spéculateurs, détaille le directeur général de Reine de Dijon. Certains peuvent être tentés de retenir la marchandise pour maintenir une pression sur les prix. On sait que la récolte est meilleure, mais on n'a pas beaucoup d'informations. Il y a une forme de réticence à signer des contrats et à livrer de la marchandise trop vite, de peur que les prix chutent."
La guerre en Ukraine intervient aussi sur les prix globaux, comme l'explique Luc Vandermaesen : "Le conflit en Ukraine et en Russie fait que les possibilités de livraisons provenant des pays de l'Est sont pratiquement nulles".
Et à quel prix ?
Malheureusement, les prix sont sous forte pression. Voici 3 raisons qui font que les prix de la moutarde vont grimper :
- le prix de la graine de Bourgogne a augmenté par rapport à l'année dernière
- la graine canadienne, "c'est encore pire, l'impact de la hausse est encore plus fort à cause du côté spéculatif. Au cœur de la pénurie, des lots ont été vendus à prix forts, certains agriculteurs se permettent d'attendre pour vendre plus cher."
- l'augmentation des prix des emballages, liée à l'augmentation des prix de l'énergie (verre, carton, métal, "même l'étiquetage coûte plus cher !")
La moutarde est un produit fini qui n'arrête pas d'augmenter. "Mais ça va rester sur des gammes raisonnables, tempère Luc Vandermaesen. Le coût à l'année, dans le panier du consommateur français, était d'environ 4,70€. Il va certainement augmenter en 2023, mais cela restera raisonnable dans le budget d'un consommateur. Le coût de l'énergie demeure une vraie incertitude. "
Parmi les pistes envisagées par les producteurs de moutarde, une "relocalisation" de la moutarde de Dijon en 2023, en augmentant les surface cultivables, avec un objectif de production de 15 000 tonnes.
A noter que le secteur de la moutarderie recrute dans tous les secteurs : des besoins à la production, avec des conducteurs de ligne, des techniciens de maintenance, mais aussi en logistique, et à l'export.