Je me suis posé la question : pourquoi est-ce qu'il y a autant de bouchons sur la rocade de Dijon ? Comment se forment-ils ? Est-ce qu'il y en a de plus en plus ? Quelles solutions pour y remédier ? Justin Emery, maître de conférences en géographie à l'université de Bourgogne, a répondu à mes questions.
C'est une situation très désagréable que beaucoup de conducteurs ont déjà connue : les embouteillages. Il est 8h30, je prends ma voiture pour quitter mon domicile à Longvic, au sud de Dijon.
Pour rejoindre la rédaction de France 3 Bourgogne, située au nord, près de la Toison d'Or, pas le choix : je dois emprunter la rocade pour éviter le centre-ville.
Une matinée de bouchons sur la rocade
À peine après avoir entamé les premières centaines de mètres, je suis saisi d'un constat implacable : je vais être en retard. Dès la première avenue, une file de voitures est bloquée par différents feux et carrefours.
Après une première salve de minutes perdues, j'aperçois enfin la rocade. Mais une vision d'horreur vient remettre en cause les promesses de cette voie rapide : le trafic est au ralenti, pour ne pas dire à l'arrêt. La voie d'insertion est bloquée également.
Après m'être inséré au bon vouloir de la courtoisie des véhicules déjà engagés, il faut maintenant remonter la quasi-entièreté de la rocade en roulant au pas, voire en s'arrêtant régulièrement, à chaque voie d'insertion notamment.
C'est finalement plus de 20 minutes plus tard que j'arrive sur mon lieu de travail, pour un trajet qui ne prend qu'une dizaine de minutes en temps normal.
Comment se forment les bouchons ?
Le temps du trajet, j'ai l'occasion d'y réfléchir. Donc je m'interroge : comment se forment les bouchons le matin aux heures de pointe ?
Pour y répondre, je me rappelle de ce reportage de C'est pas sorcier que j'avais visionné à l'école élémentaire. Afin d'approfondir le sujet, je prends contact avec Justin Emery, maître de conférences en géographie à l’université de Bourgogne et au laboratoire ThéMA. Je m'attendais à ce qu'il rit gentiment en entendant d'où me venaient la plupart de mes connaissances sur les embouteillages, mais c'est tout l'inverse qui s'est produit.
"Le reportage de C’est pas sorcier est génial", répond-il avec sérieux. "Il est très pédagogique, toujours d’actualité et les chercheurs qui sont présentés dedans sont des références à l’échelle française sur cette théorie du trafic."
À cela, il ajoute une source qui permet selon lui de mieux comprendre la formation d'un bouchon. Ainsi, voici une simulation interactive réalisée par Martin Treiber, un chercheur allemand. Il est possible de modifier la configuration de la route, des voies, du trafic, de la vitesse... Vous observerez que le trafic finit toujours par ralentir.
Comme je pouvais m'y attendre, la formation d'un embouteillage est multifactorielle. "Il y a les facteurs macroscopiques et les facteurs microscopiques", précise avec plus de justesse l'enseignant à l'IUT de Chalon-sur-Saône. "Les premiers, ce sont plutôt ce qui à trait à ce qu’on voit apparaître à l’échelle régionale et à l’échelle française. On a une croissance démographique des espaces urbains, un développement résidentiel et le phénomène de périurbanisation."
Selon lui, ces phénomènes traduisent une augmentation "assez rapide" de la population dans toutes les aires urbaines. "Rapide si l’on compare à la croissance des réseaux", ajoute-t-il. "La demande associée sur les réseaux routiers va être plus forte, par contre l’offre a plus de mal à évoluer. La demande qu’on va associer à une infrastructure de transport est plus forte que la capacité de l’infrastructure de transport à absorber cette demande. Ce qui amène à un évènement très simple : sur une section autoroutière, la distance entre les véhicules se réduit."
Vous arrivez du sud bourguignon par l’autoroute, vous avez une première demande d’environ 25 000 véhicules et vous arrivez à Mirande et vous êtes à 70 000 véhicules. À un moment il faut réussir à faire passer tout le monde et dans ce goulet d’étranglement, ce n’est pas toujours possible.
Justin Emerymaître de conférences en géographie
La métropole de Dijon estime à 70 000 véhicules par jour au plus fort du trafic le flux sur la rocade à hauteur de Quetigny. En comparaison, la LINO est à 17 000 véhicules par jour.
2 000 à 3 000 véhicules en même temps
Justin Emery décrit une saturation de l'espace pendant un moment précis de la journée : "Pendant les heures de pointe, la demande portée sur les réseaux de transport dépasse la capacité de la rocade. Vous avez un trafic routier qui dépasse assez facilement les 2 000 à 3 000 véhicules. À un moment, le réseau n’est pas capable d’absorber."
Associés à cela, les facteurs microscopiques viennent eux aussi compliquer le trafic. Concrètement, le maître de conférences en signale deux types bien précis : les freinages et les accélérations. On peut compléter avec les voies d'insertion et de sortie.
Et les points d'intérêt comme la Toison d'Or, Quetigny et Cap Nord qui viennent eux aussi attirer et concentrer un grand nombre de personnes. Enfin, il y a les phénomènes dits "extrêmes" comme les accidents. Il y a plusieurs jours, la rocade était grandement impactée par un unique accident par exemple.
Tous ces éléments entraînent des ralentissements qui ont un effet domino : le premier automobiliste va ralentir, le second va avoir tendance à freiner plus fortement et ainsi de suite jusqu'à un ralentissement complet voire un arrêt de la fin de la file.
De plus en plus de bouchons à Dijon ?
Depuis que je vis à Dijon, j'ai le sentiment, peut-être renforcé par un biais de confirmation, que les bouchons sont de pires en pires. Mais qu'en est-il réellement ?
La métropole dijonnaise confie observer une augmentation de 5% du trafic depuis 2017. Les équipes métropolitaines notent également "des ralentissements qui sont plus localisés sur les portions de la rocade avec la présence d’échangeurs rapprochés et de voies d’entrecroisement, en particulier sur la section entre l’échangeur de l’A 39 jusqu’à l’échangeur de la zone d’activités avec cinq échangeurs sur 4 km".
Pour Justin Emery, pas de doute, les bouchons sont bien de plus en plus forts. "Bien qu’on ait une meilleure offre de transport, les bouchons continuent à se renforcer", assure-t-il. "Ils se renforcent parce que, si on regarde les études publiées par l’Insee, on remarque qu’il n’y a pas que des Dijonnais, ou plutôt que des métropolitains. Il y a tous les périurbains qui viennent de plus loin. L’aire d’attractivité de Dijon est relativement vaste. Un travailleur dijonnais fait une distance moyenne de 27 kilomètres. Sur cette distance moyenne 70 à 80 % des usagers utilisent la voiture."
Si le but n'est pas de pointer du doigt l'usage de la voiture, les habitudes liées à cette utilisation viennent corroborer la sensation d'un trafic plus dense selon l'enseignant : "On prend souvent la voiture seul, donc on prend beaucoup de place qui va augmenter la demande. Les réseaux de transport urbains, comme le tramway et les pistes cyclables, ne répondent pas aux besoins des périurbains. Les données de 2020 de l’Insee montrent que, malgré l’augmentation des offres de transport, il y a seulement 5 % des navetteurs qui utilisent le réseau ferroviaire."
Le chercheur met aussi en lumière les modifications à l'intérieur de Dijon, comme la mise en place du tramway. Ces changements ont engendré des "reports de trafic sur les boulevards périphériques". Cette circulation décalée vient aussi impacter la rocade.
Comment se place la rocade de Dijon par rapport aux autres métropoles ?
Mais à Dijon, est-on mieux loti que dans les autres métropoles ? Le site tomtom, donne en temps réel des indicateurs sur le trafic. Cela ne concerne qu'un échantillon des usagers, mais il donne des mesures-clés. Ce site classe les métropoles par le temps moyen de trajet pour 10 kilomètres, l'évolution depuis 2022 et le temps passé dans les bouchons par an.
Pour le premier critère Dijon se classe 21e, avec un temps moyen de trajet de 15 minutes, derrière des villes de taille similaire comme Le Havre (20e), Tours (16e) ou Brest (15e). Aucun changement n'est d'ailleurs observé depuis 2022. En revanche, la Cité des Ducs se classe moins bien que des métropoles de densité plus importante comme Lille (23e) et Rennes (24e).
Quelles solutions pour fluidifier le trafic ?
En naviguant sur les réseaux sociaux pour voir ce que les autres internautes pensent des bouchons sur la rocade, je remarque que beaucoup ont des idées très arrêtées sur la question. "On devrait mettre plus de voies", "on devrait repasser à 110" ou "on devrait passer la rocade à 80", écrivent des dizaines de personnes.
La question se pose, même si l'espoir semble faible de voir apparaître une réponse miraculeuse. Quelles pourraient être les solutions pour limiter les bouchons sur la rocade ?
► À LIRE AUSSI : Comme sur le périphérique parisien... Et si la vitesse maximale baissait sur la rocade de Dijon ?
Justin Emery donne un exemple précis : "L’Arc (D700) est un point noir, d'un point de vue qui n’engage que moi. Je pense qu’avec une bretelle d’accès qui pourrait faciliter l’entrée et la sortie de cet axe, vous n’auriez plus ce point noir avec l’accès au CHU et cela pourrait permettre de fluidifier le trafic. En améliorant les entrées de la ville on fluidifie le trafic. Améliorer ces entrées, c’est réussir à trouver la meilleure régulation des trafics routiers. Ce n’est pas évident, si on regarde l’Arc, il y a des problématiques de foncier, d’emprise spatiale des infrastructures et d’impacts comme le bruit et la pollution."
Concernant les questions des internautes, le maître de conférences en balaye une d'entrée : "On aurait tendance à dire qu’il faut ajouter des voies. C’est une solution qui va marcher à très court terme, mais cela va amener à ce qu’on appelle la triple convergence : spatiale, temporelle et modale. Plus on augmente les voies, plus on va ouvrir une affluence d’automobilistes et navetteurs qui utilisaient auparavant d’autres routes que ces voies rapides. Rajouter des voies c’est comme remettre un cran à sa ceinture parce qu'on a grossi, mais cela n’empêche pas de grossir. À un moment, en continuant de grossir il va falloir remettre un cran à chaque fois. On arrive à des cas très extrêmes comme l’autoroute de Houston où il y a 26 voies autoroutières, qui sont elles aussi congestionnées."
Si on continue à éprouver un modèle tourné autour de la voiture, on arrivera toujours aux mêmes problèmes. On est en train d’éprouver un modèle dont on connaît très bien les limites en termes de coût pour l’usager, d’usages, de coût social et environnemental.
Justin Emerymaître de conférences en géographie
Le fait d'abaisser la vitesse sur la rocade permettrait de fluidifier le trafic selon le chercheur. En revanche, rendre la circulation payante ne ferait que "reporter le trafic sur d'autres axes qui ont une capacité moindre".
Développer d'autres modes de transport : la seule solution ?
Le développement d'autres modes de transport semble être la solution la plus durable. "Pour remédier aux problèmes du réseau routier, il faut rendre les autres modes de transport compétitifs face à la voiture", confirme Justin Emery. "À Dijon l’ouverture du tramway est quand même un grand succès. En Alsace par exemple, il y a beaucoup de connexions tram-train. On peut aussi citer le covoiturage. Il y a d’autres solutions."
Après avoir entendu cette conclusion, je me dis que la meilleure chose à faire pour me rendre au travail serait sûrement de prendre le vélo. Il n'y a pas encore de bouchons sur les pistes cyclables.