PROCÈS. "On a fui la Syrie, mais la mort nous a rattrapés ici" : la douleur du père de Zaïn, 4 ans, tué par un chauffard à Talant

Après un premier report d'audience, Bilal T. est jugé ce mercredi 14 juin à Dijon. Il est poursuivi pour avoir mortellement fauché le petit Zaïn, 4 ans, alors qu'il traversait sur un passage piéton à Talant en mars dernier.

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19h15 : Le tribunal vient de rendre sa décision

Bilal T. est condamné à une peine de 18 mois de prison ferme avec mandat de dépôt, qu'il effectuera à partir du 18 juillet 2023. Il écope aussi de 30 mois de prison avec sursis probatoire d'une durée de trois ans. Les autres condamnations : 

  • une annulation de permis avec interdiction de le repasser pendant 1 an
  • l'obligation de verser 30 000 euros à chacun des deux parents de Zaïn
  • l'obligation de verser 15 000 euros pour Omar et Mohamed, les deux grands frères de Zaïn.

Bilal T. est condamné ce mercredi 14 juin au tribunal correctionnel de Dijon pour homicide involontaire. Il était poursuivi pour avoir, le 25 mars dernier, fauché le petit Zaïn, 4 ans, alors qu'il traversait sur un passage piéton dans son quartier du Belvédère à Talant. Le petit garçon n'avait pas survécu à ses blessures. 

"La misère est tombée sur nous"

L'audience est marquée par le témoignage du père de Zaïn, Abdulmoeen A., 33 ans. Avec son épouse et leur premier fils d'un an à l'époque, ils ont fui la Syrie alors que le groupe terroriste Al-Quaïda approchait de leur village. 

"On a fui la Syrie parce qu'on avait peur de la mort, mais la mort nous a suivis jusqu'ici"

Abdulmoeen A.

père de Zaïn

"Je voulais protéger ma famille en venant en France, et la mort nous a rattrapés ici. C'est très difficile. Je suis responsable de ma famille, et j'ai l'impression de les avoir trahis", explique Abdulmoeen dans sa langue natale. Il est assisté d'une traductrice. "Moi, je vis pour mes enfants. La misère est tombée sur nous. Je suis très malheureux."

Abdulmoeen brandit un doudou, un loup gris en peluche. Le doudou de son fils décédé, Zaïn. "Ma femme, elle est toujours avec le doudou de son fils, elle ne veut même pas le lâcher une minute." La maman, justement, âgée de 28 ans, n'est pas présente à l'audience, trop fragile psychiquement. Aujourd'hui, "elle ne sort que pour aller au cimetière. Elle reste toujours loin des gens", explique le père. 

Abdulmoeen conclut sa déposition : "Je fais confiance à la justice." En s'adressant aux juges : "Vous représentez la justice, et moi, j'attends la justice."

Les larmes du prévenu

Interrogé en premier, le prévenu Bilal T., 27 ans, sanglote à la barre. La présidente du tribunal commence par rappeler les faits, glaçants : ce 25 mars 2023, Zaïn est avec son grand frère Omar, âgé de 9 ans. L'aîné traverse le passage piéton après avoir regardé - la vidéosurveillance l'atteste. Zain arrive ensuite, débute sa traversée du passage piéton. "Il voit la Polo blanche arriver et à ce moment-là, il traverse en courant", raconte la présidente. "On voit le véhicule faire une embardée et percuter l'enfant."

Le petit Zaïn est projeté 10 mètres plus loin, et roule encore 10 mètres plus loin. Détail glaçant : la voiture peine à s'arrêter et roule sur une partie du corps de l'enfant. 

Le conducteur, Bilal T., sort de sa voiture, décale la victime, met le garçon en position latérale de sécurité et appelle les secours avant de commencer un massage cardiaque, relayé par des témoins qui arrivent sur place. Le grand frère, Omar, s'approche et part en courant pour prévenir son père, qui n'est pas loin. 

Au bout d'environ 6 minutes, Bilal T. remonte dans sa voiture et revient environ une demi-heure plus tard. Entre-temps, il s'est rendu à Chenôve, et a appelé son épouse qui s'est rendue sur place, à Talant, et lui a dit de revenir. C'est ce qu'il fait. Il est interpellé par la police à 19h25, un peu moins d'une heure après l'accident.

Sur place, Bilal T. est testé négatif pour l'alcool et les stupéfiants. Mais une seconde analyse, effectuée par prise de sang, révèle qu'il avait consommé du cannabis récemment, créant "un effet psychoactif incompatible avec la conduite, une altération comportementale franche", note la présidente. En outre, le prévenu roulait avec un voiture prêtée par son cousin, elle n'était plus assurée depuis décembre 2022.

  • J'avais fumé quelques jours avant, juste avant le début du Ramadan, explique Bilal T.
  • Combien de cannabis ? demande la présidente.
  • Je ne sais plus exactement, deux ou trois joints dans la même soirée.
  • Pourquoi la voiture n'était pas assurée ?
  • C'est une négligence administrative. Je devais le faire plus tôt, et je devais acheter une autre voiture le dimanche.
  • Mais monsieur, quand on a pas d'assurance, on ne conduit pas... Vous rouliez à quelle vitesse ?
  • Je ne sais pas exactement, mais je dirais une cinquantaine de km/h.
  • Vous êtes à 50 km/h, sur une zone 30 km/h avec ralentisseur, passage piéton, une école, une signalisation "attention enfants"... Pourquoi vous êtes au-dessus de la limitation ?
  • J'étais inattentif.
  • Vous étiez pressé ?
  • Non, je rentrais pour casser le jeûne [du Ramadan].
  • Mais donc il n'y avait pas d'urgence ?
  • Non, il n'y avait pas d'urgence... (Il sanglote) Je n'ai aucune excuse. Je viens pour assumer mes torts devant les parents. Je sais que je leur ai causé une peine immense... (Il continue de sangloter).

Interrogé sur ses souvenirs du drame, Bilal T. dit être toujours dans le "flou" : "J'ai des coups de flashbacks, c'est confus..."

"J'ai vu comme une ombre, j'ai voulu mettre un coup de frein, j'ai entendu un "boum"... Et c'est en descendant que je l'ai vu. Ca s'est passé très vite. J'ai rien vu venir."

Bilal T.

Interrogé sur sa consommation de cannabis, Bilal T. affirme qu'il a totalement arrêté depuis l'accident. 

"Je vais vous dire quelque chose de très banal, mais... C'est quand même tellement dommage qu'il ait fallu ça pour un arrêt total du cannabis", rétorque la présidente. Bilal T. ne répond pas. En silence, il pleure et baisse la tête. "Vous voyez comment l'avenir aujourd'hui ?" l'interroge la présidente.

"Je ne sais pas du tout. Je vais essayer de me racheter toute ma vie." Il renouvelle ses excuses à la famille de Zaïn. "Je sais que ça ne réparera pas."

"La prison on en sort, mais pour les parents c'est la perpétuité"

Après avoir entendu le prévenu, le père de Zaïn et son avocate, le procureur Thierry Bas prend la parole pour s'adresser d'abord à la famille de Zaïn.

"Quelle que soit la décision du tribunal, vous ne pourrez jamais vous en satisfaire. Rien ne remplace un gamin de 4 ans."

Thierry Bas

procureur

Thierry Bas dénonce ce qu'il nomme "la chronique d'un drame annoncé", rappelant que d'autres drames ont récemment été médiatisés : l'affaire Palmade, le décès d'Antoine, le fils du chef étoilé Yannick Alléno... "Le côté involontaire de l'homicide ne peut pas être entendu lorsque le prévenu se donne en quelque sorte "tous les moyens" pour commettre cela." Le procureur assimile ce drame à un "homicide routier" : un terme qui n'existe pas juridiquement parlant, mais que le gouvernement envisage de créer à la suite, justement, des récents faits divers qui ont marqué l'actualité.

"Pour moi, il y a délit de fuite", estime le procureur qui rappelle aussi qu'à 30 km/h lors d'un choc, le piéton a 95% de chances de survie. A 60 km/h, ces chances tombent à 20% - pour un adulte.

    Thierry Bas requiert ainsi la peine maximale encourue : cinq ans de prison ferme assortie d'un mandat de dépôt, c'est-à-dire un placement immédiat en détention, ainsi qu'une annulation de permis pendant cinq ans. 

    "Pour moi, c'est pas possible qu'un enfant meure dans ces conditions-là. Il y en a marre."

    Thierry Bas

    procureur

    "Je sais que la défense va me dire que mes réquisitions sont lourdes. Je rappelle simplement que la prison, on en sort, mais que pour les parents c'est la perpétuité", conclut le procureur.

    La famille a demandé un relogement

    Le procès était initialement prévu le 17 mai, mais il a été reporté pour des raisons techniques. En plus de l'homicide involontaire, Bilal T. est poursuivi pour défaut d'assurance de sa voiture. Âgé de 27 ans, le chauffard a grandi dans le quartier, où des habitants le décrivaient comme "adorable et gentil", "un jeune apprécié". Depuis le drame, il est sous contrôle judiciaire et a l'interdiction de se rendre à Talant. Il encourt jusqu'à 5 ans de prison et 100 000 euros d'amende.

    Les parents de Zaïn, Zubaida et Abdulmoeen, sont originaires de Syrie et sont arrivés il y a quelques années à Talant. Effondrés par ce drame, ils vont être relogés, explique le maire de Talant Fabian Ruinet : "Ils ne pouvaient plus passer devant la chambre vide, ils ont demandé un logement plus petit. Des habitants de leur immeuble les aident à déménager." Les deux frères de Zaïn, eux, sont suivis psychologiquement.

    Ce drame a touché tout le quartier du Belvédère, comme nous le relations dans cet article. L'accident s'est produit devant de nombreux témoins, qui en ont été très choqués. Quelques jours plus tard, des parents ont lancé une pétition pour réclamer une meilleure sécurisation de cette rue, dont la limitation à 30 km/h est rarement respectée. À ce jour, la mairie n'a pas prévu d'aménagements, mais va repeindre le marquage au sol pour qu'il soit plus visible devant le passage piéton.

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