Au 7e jour du procès de l'affaire Capricorne à Dijon, les avocats des prévenus ont pris la parole pour défendre leurs clients. Avec dans leur viseur, Gilles C., décrit comme ayant une "emprise" sur certains de ses ex-salariés.
"On a quand même un individu qui fait peur à tout le monde. En parlant de lui, il y en a un qui pleure, l'autre qui tremble...", lance un avocat. Cet "individu", c'est Gilles C. Il est impliqué dans l'affaire Capricorne, poursuivi avec huit co-prévenus d'escroquerie en bande organisée, pour avoir incité des personnes âgées à souscrire à des travaux faramineux, sous prétexte que leur charpente était infestée de capricornes. Une affaire avec des ramifications en Champagne-Ardenne, Côte-d'Or ou encore Haute-Saône.
Une "emprise"
Ce mercredi 7 juin, Gilles C. s'est retrouvé dans l'oeil du cyclone : accusé par les avocats des autres prévenus de les avoir entraînés dans ses malversations, grâce à son aura et à son ascendant sur eux.
"Mon client est rentré dans l'entreprise à 21 ans. Il est l'avant-dernier d'une fratie de 5 enfants, il a besoin de travailler, et l'ANPE l'envoie à un entretien d'embauche pour faire de la téléprospection", relate l'avocate d'Arnaud P., Charlotte Pienonzek. "Et monsieur Gilles C. vient le chercher pour qu'il puisse devenir commercial."
L'avocate décrit ensuite les liens qui se tissent entre Arnaud P. et Gilles C., de près de 20 ans son aîné, qui le fait entrer dans le monde du travail et lui fait apprendre par coeur l'argumentaire qu'il doit servir aux clients. "A ce moment-là, le jeune âge, le parcours personnel et familial de mon client fait que mon client ne se pose pas beaucoup de questions. Il n'a pas beaucoup d'esprit critique, c'est vrai, mais il a 21 ans, il n'a pas de travail."
Arnaud P. entre alors dans ce qu'il pense être une relation privilégiée avec son "boss", mais la réalité est tout autre, tance son avocate. "Il ressort des auditions que Gilles C. lui vend une maison, mais il aurait pu la vendre à n'importe quel autre collaborateur. Il ne sait même pas si Arnaud P. est père de famille, il ne se souvient même pas du nom de sa compagne !"
L'avocat de Thomas P., Emmanuel Moutchouris, ose même le mot : "Mon client se sent sous emprise." "Mon client, il était choucroutier. Cela consiste à mettre de la choucroute dans des boîtes de conserve. Il a fait ça pendant quatre ans, avant de claquer la porte en 2011. Il s'inscrit à Pôle Emploi et quelques jours plus tard, il se retrouve au service d'une des sociétés concernées."
L'avocat décrit son client Thomas P. comme "influençable et extrêmement sensible". Il évoque l'entretien d'embauche, "très bref et qui se passe dans des termes un peu brutaux" : on dit à son client qu'il va gagner beaucoup d'argent, qu'il pourra être rentier à 35 ans.
"On lui remet un fameux livret : les 11 phases du commercial, qui sonne un peu comme les 10 commandements. Il doit les apprendre, et s'il ne les connaît pas par coeur, il a des gages : faire la poule, faire des pompes..."
Emmanuel Moutchourisavocat de Thomas P.
Ces humiliations pour apprendre par coeur l'argumentaire du commercial sont aussi décrites par l'avocat de Cyril D., Pierre-Louis Perrot-Renard. "Il doit apprendre des pages par coeur, et sinon il fait des pompes, il se fait insulter... Et grâce à ça, il obtient le statut de technico-commercial sans aucun diplôme. Gilles C. fait peur à tout le monde, alors on s'y plie, on remplit les exigences."
Gilles C. a-t-il été le "cerveau" de l'affaire Capricorne ? Est-il davantage responsable par rapport à ses co-accusés ? Il est en tout cas celui qui a perçu le plus de dividendes : 3 530 000 euros, ainsi que 440 000 euros de salaires. Au cours de l'instruction, ses biens (notamment une maison) ont été saisis pour une valeur de 1 737 000 euros. La procureure a requis un million d'euros d'amende en plus de la confiscation des scellés, ainsi que cinq ans de prison dont trois années de sursis probatoire. Les deux avocats du prévenu vont s'exprimer ce jeudi 8 juin, date à laquelle le procès prendra fin.
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L'autre cible : les banques
Les avocats des prévenus se sont aussi attelés à pointer la responsabilité des organismes de crédit qui travaillaient avec les mis en cause. En effet, trois établissements accordaient régulièrement des crédits aux clients victimes de l'arnaque : certains se sont ainsi retrouvés à devoir rembourser d'énormes créances pour les travaux effectués par les sociétés frauduleuses.
Ces banques se sont justement portées parties civiles. Autrement dit, elles se sont retournées contre les prévenus. Ce qui ne passe pas du tout auprès des avocats.
"Je suis abasourdi quand on voit ces organismes de prêt qui ont décidé de se constituer parties civiles, après avoir grassement profité du système mis en place"
Christian Benoîtavocat de Damien F.
De même, Emmanuel Moutchouris estime que les banques font une "insulte" aux parties civiles :
"Les banques n'ont réagi que quelques mois avant le procès, mais elles avaient reçu des courriers avant cela et pourtant, elles n'ont rien fait. C'est une insulte faite aux parties civiles de se mettre sur le même banc."
Emmanuel Moutchourisavocat de Thomas P.
"Cette semaine, les banques nous ont dit : "On est du bon côté de la barre nous, et la justice ne s'y trompera pas". Mais en venant crier au scandale ainsi, en disant qu'elles-mêmes sont victimes et que les prévenus essaient de rejeter leur responsabilité civile, je m'interroge : qui essaie de rejeter la responsabilité des prêts ?" lance maître Charlotte Pienonzek.
Elle accuse les banques d'avoir fermé les yeux malgré les signes : "les établissements bancaires étaient très régulièrement au siège à Saint-Dizier, ils voyaient les dates de naissance indiquant que les clients avaient 85 ans", poursuit l'avocate.
"Aujourd'hui, les banques nous disent, grands seigneurs : "Nous avons arrêté les poursuites et remboursé les échéances." Mais elles ont pris ces décisions en 2016, après les garde à vue, après la médiatisation de l'affaire !"
Charlotte Pienonzekavocate d'Arnaud P.
Charlotte Pienonzek dénonce aussi les sommes réclamées par les trois banques (300 000, 800 000 et un million d'euros), rappelant qu'en cas de condamnation par le tribunal, ces sommes vont revenir en priorité aux banques avant de revenir aux victimes. "Je vous demande de débouter les établissements bancaires."
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Minimiser le rôle de chacun
Globalement, chaque avocat s'est employé à minimiser la responsabilité de son client dans ce dossier. Pour Thomas P. : "L'élément essentiel est la rémunération des uns et des autres, et dans ce dossier, mon client est en bas de l'échelle. Son revenu réel net par mois est de 3 500 euros. Il roule dans une Renault Mégane de 2010 estimée entre 4 990 et 6 590 euros. A l'époque, il a trois enfants et sa femme gagne 1 300 euros par mois", détaille son avocat Emmanuel Moutchouris.
L'avocat de Damien F., lui, questionne en plaidant la relaxe : "Quel est le rôle de monsieur F. ? Touche-t-il des dividendes, un pourcentage sur le chiffre d'affaires, est-il associé ? Non. Où avez-vou vu qu'il a monté un système de société destiné à tromper les clients ?"
"Je ne suis même pas sûr qu'il ait les capacités intellectuelles, c'est un simple employé. Vous avez vu les montages financiers, quand même !"
Christian Benoîtavocat de Damien F.
Idem pour Jean-Paul D., dont l'avocat, Arnaud Brultet, demande la relaxe. "Il a déjà fait 100 jours de détention provisoire avec une caution fixée à 50 000 euros. On a saisi son avion, sa maison, ses comptes bancaires. Il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam les personnes qu'il aurait escoquées."
"Il y a quelque chose de fantasmagorique dans cette histoire : c'est l'argent. On lui reproche d'avoir confortablement gagné sa vie. Mais son rôle était limité. Même les autres le disent : en réunion, il restait au fond de la salle, il n'avait qu'un rôle marginal, il s'occupait des petites tâches même s'il était actionnaire."
Arnaud Brultetavocat de Jean-Paul D.
Jean-Paul D. fait partie des prévenus les plus sanctionnés par le parquet lors de son réquisitoire dans la matinée. Ayant perçu un salaire de 1 128 000 euros, des dividendes de 1 864 000 euros avec une saisie de biens de 300 000 euros, la procureure Claire Durand a demandé une amende d'un million d'euros (la somme maximale autorisée par la loi) en plus de la confiscation des biens saisis. "J'ai conscience qu'on ne demande jamais ces sommes dans un tribunal, mais elles sont tout simplement proportionnées à l'enrichissement reçu."
Les plaidoiries des avocats vont continuer ce jeudi 8 juin dès 9 heures. Ensuite, la cour prendra le temps de statuer et rendra son délibéré en septembre.
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L'AFFAIRE CAPRICORNE. Mardi 30 mai s'est ouvert le tentaculaire procès Capricorne à la cour d'appel de Dijon. Neuf hommes sont soupçonnés d'une vaste escroquerie en bande organisée entre 2010 et 2016 : ils sont suspectés d'avoir, via leurs sociétés, incité des personnes (souvent âgées) à effectuer de coûteux travaux de charpente sous prétexte que celle-ci était infestée de capricornes, des insectes nuisibles mangeurs de bois.