Depuis une semaine, le CHU de Dijon est confronté à une affaire de décès suspect. Claudette, 77 ans, est morte fin août après plusieurs reports successifs de son opération de la jambe. Ses enfants accusent l'hôpital de l'avoir laissée mourir de faim.
Qu'est-ce qui a conduit au décès de Claudette, 77 ans, au CHU de Dijon le 31 août dernier ? Cette question, les enfants de cette Côte-d'Orienne se la posent depuis plus de trois mois. La semaine dernière, ils ont décidé de médiatiser l'affaire pour tenter d'obtenir des réponses. Mardi 8 novembre, le CHU de Dijon a répondu via une conférence de presse. Mais ce jeudi, plusieurs questions restent en suspens.
La patiente était-elle à jeun ou a-t-elle été alimentée ?
Les deux. Le CHU s'en est expliqué en conférence de presse : "La mise à jeun n'est pas sur une durée de 24 heures. C'est une période limitée, préalable à une probable intervention chirurgicale, et dès que l'on sait que l'intervention n'aura pas lieu, on revient sur un rythme d'alimentation de la patiente", explique la directrice générale adjointe du CHU, Lucie Ligier.
"Être à jeun, ça veut dire ne pas avoir d'alimentation solide six heures avant l'intervention, et pas de liquide deux heures avant l'intervention", complète Corinne Calard, la coordinatrice générale des soins.
"Si l'intervention est annulée, bien évidemment, on reprend le rythme alimentaire normal."
Corinne Calard
Le chef de service de chirurgie orthopédique, responsable de l'unité dans laquelle était prise en charge la patiente, confirme que Claudette a reçu des repas chaque jour. "Ils ont été commandés, distribués et inscrits au dossier", précise Emmanuel Baulot. En revanche, a-t-elle vraiment mangé ces repas ? On ne le sait pas.
Les enfants de la victime s'interrogent sur ce point et doutent même que les repas aient vraiment été distribués à leur mère : "Ils ont pu se tromper de chambre", juge Murielle, la fille de Claudette. Elle et son frère Jean affirment en outre que, lorsque leur mère a été transférée en réanimation, le médecin leur a dit qu'elle se trouvait en état de "déshydratation totale".
Pourquoi l'opération a-t-elle été reportée plusieurs fois ?
Claudette a initialement été admise au CHU pour une fracture du fémur. Mais son opération a été reportée à quatre reprises, jusqu'à ce que son état de santé se dégrade brusquement (on parle de "décompensation") et qu'elle soit transférée en réanimation, où elle mourra trois jours plus tard. En conférence de presse, le chef de service a expliqué ces reports par un manque de personnel.
"Pour que les salles soient ouvertes, il faut du personnel qualifié, compétent, pour pouvoir opérer en toute sécurité et de manière réglementaire les patients que nous proposons à la chirurgie. Ces conditions n'étaient pas remplies, ce qui fait que la patiente a dû subir plusieurs reports successifs."
Emmanuel Baulot
Il faut aussi savoir que le programme opératoire quotidien est toujours très serré. Interrogé plus tôt dans la semaine, le secrétaire du syndicat hospitalier UNSA-CHU Rodolphe Gaumain nous expliquait : "On a un programme opératoire établi tous les jours. Il ne peut pas être respecté : si une opération prévue sur une heure dure finalement 1 heure 30, on la termine quand même. En plus, il y a toujours des urgences, des accidents graves qui passent en priorité. Tous les jours, il y a plein d'opérations repoussées."
Pour autant, l'hôpital a-t-il commis une faute en repoussant à de trop nombreuses reprises l'opération de Claudette, 77 ans, qui était âgée et souffrait de plusieurs comorbidités ? L'enquête devra le déterminer.
La patiente a-t-elle reçu son traitement médicamenteux habituel ?
C'est l'une des autres questions que se posent les enfants de la défunte. La mère de Jean et Murielle souffrait de plusieurs pathologies et prenait un "traitement carabiné", selon eux.
"Peut-être qu'ils ne lui ont pas donné son traitement. Elle avait des problèmes de rein, de cœur et de sang : est-ce qu'ils lui ont donné ?" s'interroge Jean. "Si elle n'a pas eu ses médicaments, c'était un vrai risque pour sa santé."
Cette question n'a pas été abordée lors de la conférence de presse. La direction du CHU a précisé que les détails du dossier ne seraient pas communiqués, pour des raisons de confidentialité et de respect du secret médical.
Pourquoi les résultats de l'autopsie ne sont-ils pas encore connus ?
Ils seront sans doute la clé de voûte de ce dossier, pourtant ils tardent à arriver. Les résultats de l'autopsie, pratiquée début septembre, ne sont toujours pas revenus après plus de deux mois. Pourquoi ?
Selon une source judiciaire, ce délai est tout à fait normal. "Certaines analyses prennent beaucoup de temps. Les résultats toxicologiques notamment, ainsi que l'analyse de certains organes. Pour ce que l'on appelle "le bloc cœur-poumons", cela peut prendre jusqu'à trois mois, puisqu'il faut mettre les tissus en culture" afin de voir comment ils réagissent et si des marqueurs apparaissent.
"Plus vous faites une recherche pointilleuse, plus cela prend du temps. Ce n'est pas comme dans les films, aucun laboratoire en France ne peut faire ces analyses en cinq minutes".
Source judiciaire
Un délai qui semble cohérent d'autant que, d'après nos informations, les autorités parisiennes ont donné des directives précises sur les actes d'enquête à effectuer, en particulier sur des prélèvements post-mortem. Ces prélèvements devraient permettre de savoir d'une part, si la patiente a bel et bien mangé avant son décès, mais aussi de répondre à la question soulevée par les enfants de la défunte : a-t-elle bien poursuivi son traitement médicamenteux habituel lors de son admission au CHU ?