"Soigner le mental va prendre du temps" : de retour de Turquie, ce Dijonnais revient sur les séismes qui ont ravagé son pays natal

Mehmet Kaya, gérant du restaurant Mister Kebap, à Dijon, était à Gaziantep (Turquie) lorsque les séismes ont touché le sud du pays le 6 février. Après plus de 15 jours sur place, il est revenu en France en début de semaine. Témoignage.

"On essaye de reprendre une vie normale. Mais je dois vous avouer que pour la première fois de ma carrière, je vais travailler à contrecœur. Soigner le mental va prendre du temps". Mehmet Kaya, Dijonnais d'une cinquantaine d'années, était le 6 février à Gaziantep, dans le sud de la Turquie, lorsque les violents tremblements de terre ont frappé le pays.

Conséquence, ce Franco-Turc a vu son vol retour reporté d'une quinzaine de jours. Rentré à Dijon mardi 21 février, il revient pour France 3 Bourgogne sur les jours qui ont suivi les séismes, la lente reconstruction d'un peuple meurtri dans sa chair, la difficulté de reprendre une vie "normale" et l'importance de la solidarité locale pour espérer rebondir.

France 3 Bourgogne : comment allez-vous ?

Mehmet Kaya : Ca va bien, merci. Avec ma fille, nous sommes rentrés à Dijon en début de semaine. Mes parents, à qui j'étais venu rendre visite, ont eux, réintégré leur appartement, à Gaziantep. Aucune blessure physique, mais moralement, c'est toujours dur. J'ai donc pris quelques jours de repos et je n'ai repris le travail qu'hier (samedi 25 février, ndlr). On essaye comme on peut de reprendre notre vie "d'avant".

Vous avez vécu au plus près les jours qui ont suivi les séismes. Vous avez donc vu les choses évoluer en temps réel. A votre départ, quelle était la situation à Gaziantep ?

Nous vivons encore constamment sous la menace des tremblements de terre. Depuis les premiers séismes, nous ressentions tous les jours des petites secousses. Pendant que l'on dormait, qu'on marchait, même quand on buvait un café. Cela empêche la population de Gaziantep de reprendre une vie "normale". 

Les gens vivent dans la peur. Environ 20 % de la population de la ville a quitté Gaziantep. Ils partent à la campagne, car ils trouvent trop dangereux de réintégrer leurs appartements.

Mehmet Kaya

Comment cela ?

Les gens vivent dans la peur. Environ 20 % de la population de la ville a quitté Gaziantep. Ils partent à la campagne, car ils trouvent trop dangereux de réintégrer leurs appartements. Et dans ceux qui restent, une partie vit dans des bâtiments publics, comme les mosquées, alors que d'autres préfèrent vivre dans leur voiture. La nuit, Gaziantep ressemble donc vraiment a une ville fantôme.

Se reconstruire moralement prendra sans doute beaucoup de temps ?

C'est sûr. C'est même le principal chantier. Au niveau de l'économie, je ne me fais pas de souci. Gaziantep est une ville industrielle, elle se relèvera. L'eau et le gaz ont été réinstallés, les magasins ont rouvert, les usines vont suivre sous peu. Les bâtiments, on les reconstruira. Mais c'est dans les têtes que ça risque d'être dur. On fait attention à tout, on ne se sent plus en sécurité. Je vais vous donner un exemple : la plupart des habitants de Gaziantep laissent toutes leurs portes ouvertes pour pouvoir fuir plus rapidement.

On vous sent inquiet

Surtout pour la jeunesse. Les moins de 16 ans ont vécu un vrai traumatisme, qui va les marquer à vie. J'ai beaucoup d'amis qui ont des enfants. Eh bien ces derniers refusent de rentrer dans leurs anciennes maisons. Ils vont devoir grandir avec ça et reconstruire le pays. Ceci dit, ils ne sont pas les seuls. Depuis que je suis rentré en France, je scrute sans arrêt les plafonds et les murs. Je me surprends même à sursauter quand le vent se met à souffler. La nuit dernière, je me suis réveillé car j'ai rêvé d'un tremblement de terre. C'était la première fois que cela m'arrivait.

Le plus précieux, c'est de voir que des associations qui n'ont aucun lien avec la Turquie s'investissent également. Il faut continuer tout ces efforts pour panser les plaies

Mehmet Kaya

Vous êtes aujourd'hui revenu à Dijon. Comment se passent ces premiers jours en France ?

C'est un peu difficile. Pour la première fois de ma vie, je n'ai pas envie d'aller travailler. Pendant 25 ans, j'étais un hyperactif au boulot. Mais j'ai la tête ailleurs. Je pense à mes parents au Turquie...Je pense qu'il faudra un temps d'adaptation. En tout cas, j'espère que cet état d'esprit ne sera pas définitif. Au bout d'un moment, je pense que le travail m'empêchera aussi de trop penser. Et puis la solidarité, ici, en France, me donne du baume au cœur.

C'est vrai que dès le départ, de nombreuses associations ont multiplié les actions pour venir en aide aux réfugiés.

Et c'est très important. Cela nous permet de tenir. En Turquie, tout le monde se sert les coudes et aide les secouristes. Voir le reste du monde se mobiliser, cela donne donc du courage. Ici, en Côte-d'Or, on a eu des levées de fonds, des livraisons de couvertures, etc. J'étais il y a quelques jours avec une association franco-turque dijonnaise. Tous ces petits gestes, ça fait du bien. Même un petit mot, une discussion, c'est important. Le plus précieux, c'est de voir que des associations qui n'ont aucun lien avec la Turquie s'investissent également. Il faut continuer tout ces efforts pour panser les plaies.

A lire aussi : Six jours après les séismes, l'association Secouristes Sans Frontières ne peut toujours pas se rendre en Turquie

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