Cela fait plus de deux ans que la maire de Bagnot, en Côte-d’Or, a été agressée par un couple d’administrés, mais cette affaire a laissé des traces douloureuses. "J’attends que la justice fasse des exemples pour en finir avec ce fléau", dit Mary-Claude Thurillat.
Mary-Claude Thurillat, qui va avoir "20 ans de mairie" en 2021, a refusé de se rendre à l’invitation du ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti qui vient à la rencontre des maires de Côte-d’Or, victimes d’incivilités.
Elle aurait bien aimé, dit-elle, mais elle ne peut pas, car elle reprend tout juste son activité de professeur de piano et d’accordéon, un métier qu’elle exerce en indépendante.
Elle a été prévenue trop tard, "deux jours à peine pour m’organiser, c’était trop juste par rapport à mon travail".
Mais, Madame le maire espère que cette visite va faire bouger les choses. Elle aurait beaucoup de choses à dire au garde des Sceaux.
" J’ai eu l’impression d’ouvrir le ban. J’ai été une des premières et ensuite il y a eu une sucession de cas", dit-elle.
Pour elle, tout a commencé par une banale histoire de porte d’un logement locatif qui appartient à la commune de Bagnot, un village d’environ 200 habitants située entre Dijon et Beaune.
"Un jeune couple qui était installé dans les lieux m’a demandé de faire changer la porte d’entrée. Je ne m’y opposais pas du tout, mais la porte devait être faite sur mesure par un menuisier. Il fallait réaliser un devis, qui devait être accepté par le conseil municipal. Tout cela prend un peu de temps. Mais, on m’a tout de suite menacé de venir retourner mon bureau."
L’agression a eu lieu quelques jours après les menaces téléphoniques.
"La jeune femme est arrivée à la mairie, elle m’a coincée derrière un bureau et a failli me gifler. Elle m’a traitée de tous les noms, la secrétaire qui était présente en a pris autant."
Ensuite, la femme est allée chercher son compagnon. "Là, j’ai entendu des horreurs, il a été odieux. Heureusement qu’on s’est enfermées et qu’on a appelé la gendarmerie. Sinon, je ne sais pas comment cela se serait terminé. Pour finir, il est venu chez moi trois mois plus tard et il m’a de nouveau insultée."
"Un euro symbolique et des excuses, ce n’est pas assez"
"C’est une génération d’enfants gâtés qui ont tout eu et qui n’acceptent pas de ne pas avoir le jeu qu’ils veulent au moment où ils le veulent", analyse la maire de Bagnot.
Depuis que les faits se sont passés, la jeune femme a été condamnée par la justice.
"Au départ, elle devait payer un euro symbolique et faire des excuses. J’ai dit au délégué du procureur qu’il n’en était pas question, que c’était la porte à tout, que n’importe quel maire pourrait se faire agresser. J’ai donc demandé 1 000 euros, puis comme elle a pleuré je suis descendue à 600 euros. Je lui ai précisé que je ne toucherais cet argent pour rien au monde et qu’il serait versé à la commune ou à une association."
S'agissant du compagnon violent, l'affaire pour "outrage à personne dépositaire de l'autorité publique" est toujours en cours. " Il ne sera jugé que pour ce qu’il a fait chez moi devant mon domicile. La justice ne prend pas en compte ce qui s’est passé avant à la mairie, alors que pour moi, il s’agit d’une récidive. Je ne comprends pas", dit Mary-Claude Thurillat.
Elle déplore aussi la lenteur de la procédure. L’affaire devait être jugée en octobre 2019, mais à l'audience, "l'avocat du prévenu a déclaré au juge qu'il ne pouvait plus défendre son client pour des raisons de conscience professionnelle". Le dossier a donc été repoussé au mois d’avril 2020. Puis, il y a eu l'épidémie de covid et tout a été une nouvelle fois retardé. L’audience est désormais prévue au 16 décembre 2020.
"Pendant un an, on a travaillé à la mairie avec la porte fermée"
Plus de deux ans ont passé. Depuis, le couple s’est séparé et ils ont quitté la petite commune de Bagnot.
La maire a été libérée d’un grand poids, mais elle reste inquiète. "Pendant un an, la secrétaire et moi on a travaillé la porte fermée. On recevait les gens par le biais du visiophone."
Il a fallu plusieurs mois à Mary-Claude Thurillat pour reprendre le dessus et arrêter les antidépresseurs. Elle a accepté de se représenter aux élections municipales de mars dernier et elle a été réélue pour la 4e fois. " J’avais l’intention d’arrêter, mais je me suis dis que je n’allais pas lui laisser l’opportunité de dire "Madame le maire n’étant plus maire, cette affaire n’a plus lieu d’être". Il est hors de question qu’il s’en tire avec rien."
La maire le reconnaît : "C’est lourd à porter à certains moments, mais j’essaie d’en faire abstraction et de passer à autre chose, car sinon on ne vit plus."
L’élue est aussi très entourée. "Quand j’ai été au tribunal en octobre 2019, j’ai été accompagnée par une grande partie des maires du canton. J’ai eu le soutien des sénateurs et de beaucoup de gens autour de moi. C’est ce qui m’a renforcée."
Depuis, cette histoire lui a servi d’expérience. "Il y a eu un autre cas où un administré a tapé sur mon bureau. Je lui ai tout de suite répondu : « Vous allez me parler sur un autre ton, sinon ça ne va pas le faire ». On ne peut pas dire oui à tout. On n’est pas là pour ça."
Dans le temps, on respectait le maire, mais ça n’existe plus. Maintenant, tout ça c’est aboli. C’est comme la gendarmerie, les médecins, les pompier, les infirmiers… Il n’y a pas que les maires. Il y a beaucoup de gens qui assurent des missions de service public et qui sont agressés tous les jours.
Qu’attend-elle de la visite du ministre de la Justice ?
"J’attends un grand soutien pour les maires et que la justice fasse des exemples pour en finir avec ce fléau.On veut mener nos mandats en toute sérénité. Pour cela, il faut quelques exemples où on dit : « Ca va vous coûter tant, vous faites tant d’emprisonnement ». Il faut que les gens prennent conscience qu’ils peuvent être punis.
Sinon, ce n’est pas possible de travailler dans une ambiance comme celle-ci. Aujourd’hui, des maires peuvent hésiter à aller faire un tour la nuit pour voir ce qu’il se passe quand il y a du bruit ou quoi que ce soit. On se dit « qu’est-ce qui va se passer ? est-ce qu’on va prendre un mauvais coup ? »