Une conférence organisée ce jeudi soir 26 janvier à 18 h par le Master "Psychopathologie clinique, psychologie médicale et psychothérapie" (PCPMP) de l'Université de Bourgogne réunit deux spécialistes, dont Clément Guillet, médecin psychiatre à la Chartreuse. Ce dernier est l'auteur d'un ouvrage intitulé "L'effet Werther : Stars, médias et contagion suicidaire."
Clément Guillet est médecin psychiatre au Centre Hospitalier Spécialisé La Chartreuse à Dijon. Il s'est intéressé à l'influence du "star system" et des médias sur les fans.
Le décès de Michael Jackson comme point de départ
C'est en 2009, à la mort de Michael Jackson, que le Docteur Guillet s'est intéressé au deuil porté par certains fans : "J'en ai fait un mémoire de sociologie d'abord, puis un livre. Quand j'ai fait mes études de médecine, j'ai réutilisé ce matériau pour faire ma thèse, cette fois-ci c'était sur l'effet Werther : ce phénomène de fan appliqué aux idées suicidaires et aux phénomènes d'imitation et de contagion suicidaire qui peuvent entraîner les stars lorsqu'elles se suicident."
C'est ensuite en consultation avec une patiente, fan du groupe américain "Linkin Park" et de son chanteur Chester Bennington, que le psychiatre est témoin de ce phénomène. "Cette patiente m'a avoué qu'elle avait tenté de se suicider à la suite du suicide du chanteur en 2017. J'avais l'incarnation de ce phénomène effet Werther chez une patiente."
Clément Guillet prend alors l'initiative de rédiger un livre en lien avec cette thématique, car rien n'existait sur la question.
Le "star system" et son influence sur les fans
Le docteur Guillet décompose le mécanisme qui peut jouer sur les fans, à commencer par "le star system" : "Ça fonctionne sur l'identification. Comme on s'identifie à quelqu'un dont on va se sentir à la fois proche et qu'on va admirer, c'est une double identification, qu'on dit à la fois verticale et horizontale, on va l'imiter. C'est le phénomène des fans."
L'identification peut toucher tout le monde, selon Clément Guillet : "Il y a des moments de la vie où on est plus sujet à ces identifications, quand on cherche une identité en dehors de la famille, typiquement c'est l'adolescence. Et il y a des gens qui restent fans toute leur vie, car ça va marquer leur identité, ça devient un repère."
L'effet Werther en question
Pour ce qui est plus spécifiquement de l'effet Werther, c'est-à-dire des gens qui vont être impactés par le suicide d'une star et qui vont avoir des idées suicidaires et passer à l'acte :"ce sont à la fois, des jeunes, des gens qui ont pu être fans, surtout des gens qui ont eu eux-mêmes des antécédents psychiatriques et une fragilité à la base. Il y a plusieurs facteurs qui font qu'on va s'identifier."
Le passage à l'acte "touche les gens les plus exposés", selon Clément Guillet. Il y a un "terrain de fragilité qui touche les gens les plus sensibles, qui ont d'autres pathologies psychiatriques, des addictions... Le suicide de la star sera alors le facteur déclenchant."
Tout le monde ne passe pas à l'acte, le docteur Guillet cite néanmoins le plus important "effet Werther" recensé : la disparition de l'acteur américain Robin Williams en 2014, où 1800 suicides seraient liés à son geste. "Mais tous les fans de Robin Williams ne se sont pas suicidés !" ponctue le Docteur Guillet.
Mais des phénomènes similaires ont été constatés à la mort de Kurt Cobain en 1994 ou d'Amy Winehouse en 2011.
Les stars peuvent aussi aider à la prévention du suicide
Le docteur Guillet souligne que si l'influence des stars sur les idées suicidaires est démontrée, cela peut aussi rendre service pour des choses plus positives : "Si jamais les stars parlent de leurs idées suicidaires en pleine audience, et que c'est relayé, beaucoup de gens vont s'identifier à eux et on l'a vu avec Stromae, ils appellent ensuite les lignes anti-suicide et disent aussi 'moi aussi j'aimerais m'en sortir'."
Le suicide est un enjeu de santé publique, ce sont 9000 décès par an en France, et 200 000 personnes qui font une tentative. Le psychiatre voit une chose positive : "on sait que la prévention peut passer par des prises de parole des stars qui vont d'abord casser un tabou, mais aussi potentiellement créer des imitations positives. Il y a aussi un travail des médias d'explication et de prise du conscience du problème à faire."
Les médias, parfois relais malgré eux
Les canaux d'information sont multiples, mais les médias "ont un rôle à jouer", selon le Dr Guillet. "Il n'est pas nécessaire de donner les lieux de suicide, ou s'appesantir sur les méthodes. En revanche, il est toujours intéressant de donner les ressources et les informations de prévention contre le suicide."
Les médias doivent agir dans un sens plus responsable autour des questions de suicide : "Les stars et les médias relaient ces sortes de coming-out psychiatriques, où on voit des stars qui parlent de leur pathologies, de bipolarité etc. Il y a une libération de la parole autour de ça, ce qui est très bien. Il y a la manière dont on en parle, c'est-à-dire 'on en souffre, mais regardez il y a des possibilités'.
Cette manière de briser les tabous et d'orienter de façon responsable les gens, c'est une manière de traiter ce sujet-là, qui n'est pas un sujet comme les autres et qui a des répercussions."
Les médias ont peut-être un rôle à jouer, mais le docteur Guillet souligne que "les réseaux sociaux ont fait des efforts : Facebook a mis en place un système pour avertir si quelqu'un publie des idées suicidaires par exemple"
Les réseaux sociaux doivent jouer la carte de la modération et du conseil, leur proximité avec le public peut accentuer les phénomènes d'imitation : "Dans la société ultra-médiatisée dans laquelle nous nous trouvons, les réseaux sociaux, les youtubers n'ont fait que personnaliser encore plus cela : on s'adresse directement à la personne, l'identification est encore plus forte, on a plus de contact avec la star. Avant, il fallait acheter "Podium" pour avoir des nouvelles de Claude François. Aujourd'hui il serait sur Insta 10 fois par jour ! Ça renforce encore plus l'effet starisation, donc ça renforce les phénomènes d'imitation."
En France, une ligne pour la prévention du suicide : le 31 14
Il existe un numéro national d'appel pour la prévention du suicide, c'est le 31 14 "souffrance prévention suicide", qui est là pour aider, informer et agir en prévention du suicide. Un professionnel du soin, spécifiquement formé à la prévention du suicide, est à votre écoute.