Depuis son lancement en 2022 lors du Salon de l’agriculture, le label “Nous autrement” se développe en Bourgogne-Franche-Comté. Son objectif est de “rémunérer de façon équitable l’agriculteur et chaque acteur impliqué pour son travail qui va du champ au consommateur”. Une démarche qui fait écho aux revendications liées à la crise agricole.
C’était il y a tout juste deux ans. Il y avait foule ce soir-là dans les allées du stand collectif de la Bourgogne-Franche-Comté. Comme à chaque édition de “la plus grande ferme de France”, le conseil régional organisait ce soir-là une “soirée gourmande” et profitait de l’occasion pour lancer le projet porté par Alliance BFC, regroupement de trois coopératives de la région. Christophe Richardot brandissait une baguette de pain en s’exclamant “Ce champ de blé, il faut le voir comme une baguette de pain”.
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Un label invisible au Salon de l’agriculture 2024
Le label “Nous autrement” avait alors comme objectif de “mettre en avant la rémunération des agriculteurs et la provenance de notre région” assurait la présidente de Région (PS) Marie-Guite Dufay. Des propos qui prennent un écho tout particulier deux ans plus tard, alors que l’Europe traverse une crise agricole.
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Manifestations, agitations, revendications, la 60e édition du Salon de l’agriculture ne ressemble à aucune autre. Le stand collectif de la région BFC est toujours là, mais cette fois-ci, il y aura ni “soirée gourmande” ni promotion d’initiatives locales.
Aucun exposant n’affiche le logo “Nous autrement”. Et les publications sur les réseaux sociaux existent bien, mais demeurent confidentielles.
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Faut-il en conclure que ce label “Nous autrement” est un gadget sans avenir ? Malgré son absence au Salon de l’agriculture, ce label fait son chemin et pourrait même servir d’exemple au débat actuel sur la recherche d’une rémunération plus juste pour les agriculteurs.
Un lait local et rémunérateur pour le producteur
Pour trouver le discret logo “Nous autrement”, il faut aller au Salon du Fromage et des produits laitiers, réservé aux professionnels, dans l’enceinte de l’exposition de la porte de Versailles. En cherchant bien, le voilà sur les briques de lait de la fromagerie Delin.
La fromagerie Delin, implantée à Gilly-lès-Cîteaux, est un partenaire solide du projet “Nous autrement”. Toute la gamme de fromages blancs, de laits départementaux, de faisselles et prochainement des Brillat-savarin fait partie des 3000 produits de Bourgogne-Franche-Comté qui ont cette étiquette supplémentaire pour signaler l’implantation locale et la juste rémunération des acteurs de la filière.
On est sur des produits de niches, mais avec le lait “Nous autrement”, on va sur le marché de la grande consommation.
Philippe Delin, Président de la Fromagerie Delin
Tout est en train de se mettre en place. L’année 2024 pourrait être décisive pour le développement du label “Nous autrement” avec la montée en puissance du nouveau site de conditionnement du lait des exploitations de Côte-d'Or, de Saône-et-Loire, du Jura, du Doubs et de Haute-Marne.
Les clients des magasins Lidl de Bourgogne et Franche-Comté devraient pouvoir acheter bientôt du lait local provenant d’exploitations de la région. Avec cette nouvelle installation, la fromagerie Delin a prévu de livrer six millions de litres de lait aux magasins de cette chaîne discount.
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Trois autres millions de litres de lait seront distribués dans d’autres magasins ou collectivités. Avec, à chaque fois, cette volonté du “gagnant-gagnant”. Le consommateur devrait payer son lait local entre 1 euro et 1,10 euro.
Quant aux producteurs de lait, ils ont l’assurance d’avoir un prix qui couvre leurs coûts de production. Pourquoi Delin parvient-il à bien rémunérer les producteurs ? “Notre volonté est de trouver de la valeur ajoutée sur le produit pour valoriser le lait de nos producteurs” explique Philippe Delin. En utilisant, par exemple, la crème du lait pour fabriquer des fromages.
Même si l’entreprise de Philippe Delin rémunère au-dessus de la moyenne les producteurs de lait, le président de la fromagerie ne croit pas à la piste des prix planchers pour garantir un revenu aux agriculteurs. “Il vaut mieux trouver un équilibre entre la production de lait et la distribution de fromages” estime le responsable bourguignon. “C’est aussi à la filière agricole de se réorganiser. Il faut produire en fonction des besoins” précise Philippe Delin. Cette notion de filière est aussi prépondérante dans le développement du label “Nous autrement”.
“Du blé à la baguette”
Jean-Philippe Nicot, le président de Nicot Meunerie, implanté en Bourgogne-Franche-Comté, Alsace et Rhône-Alpes, n’est pas non plus favorable aux prix planchers, mais il est très engagé dans le développement d’une filière 100% locale et rémunératrice pour les agriculteurs.
Les prix planchers cela veut tout dire et rien dire. Je préfère parler de prix rémunérateurs pour l’agriculteur.
Jean-Philippe Nicot, président de Nicot Meunerie.
Jean-Philippe Nicot travaille avec 2000 boulangeries, son entreprise s’apprête à proposer une baguette avec le label “ Nous autrement”. Son objectif est de “sortir de la logique de marché international et d’essayer de rentrer un prix rémunérateur avec une certaine stabilité”.
Selon lui, l’application de la loi EGalim est trop compliquée, il préfère “un système simple et local qui tient juste sur un document recto verso”. C’est justement ce que propose le label “Nous autrement”. Et, pour le consommateur, l’assurance de payer une baguette au juste prix. Ni 0,29 centime d’euros comme l’a proposé Leclerc ou 1,80 euro dans certaines boulangeries.
La baguette “Nous autrement” ne sera pas une baguette pour bobo, cela doit rester un produit populaire”.
Jean-Philippe Nicot, président de Nicot Meunerie.
Dans un premier temps, Jean-Philippe Nicot estime qu’environ 200 des boulangeries affiliées à sa meunerie pourraient proposer d'ici à la fin de l’année une baguette “Nous autrement”. “On est en train de discuter de la formation du prix” précise le responsable de la meunerie.
“En fait, on fait un EGalim simple”
Deux ans après avoir brandi une baguette “Nous autrement” au salon de l’agriculture, Christophe Richardot, le directeur du groupement de coopérative Alliance BFC est optimiste. On est encore loin de l’objectif de 200 producteurs adhérents au label, ils ne sont que 80. La fromagerie Delin, la meunerie Nicot, Le Tuyé de Mésandans dans le Doubs, les vins Guillaume en Haute-Saône ont décidé de payer leur adhésion annuelle de 150 euros pour entrer dans ce “cercle vertueux” qui favorise une agriculture durable, locale et justement rémunérée.
Ce sont des “marchés de filière”. Plutôt que de prix planchers, Christophe Richardot préfère parler de “corridor de prix où l’agriculteur protège son revenu”. Le contrat pluriannuel prévoit une fourchette de prix comprise dans ce corridor. “En fait, on fait un EGalim simple” résume Christophe Richardot.
On est pile dans la protection du revenu de l’agriculteur en intégrant ses charges. J’espère qu’on est en train d’inventer un EGalim en local.
Christophe Richardot, directeur de Alliance BFC.
Cette “protection de revenu” ne concerne pas l’ensemble de la production des agriculteurs. Sur les 600 000 tonnes de blé que le groupement de coopérative Alliance BFC achète chaque année, 50% sont destinés aux marchés internationaux. Sur le marché intérieur, seulement la moitié, 150 000 tonnes sont transformées pour des “marchés de filière” comme celui des baguettes “Nous autrement”. L’autre moitié est vendue à des entreprises de l’agroalimentaire comme Barilla ou Nestlé.
Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier
Cette diversité de débouchés, c’est ce que recherche l’un des agriculteurs du groupement de coopérative. Didier Lenoir exploite, avec son épouse et un salarié, 294 hectares de blé, orge, colza, moutarde, soja et maïs à Charmes, en Côte-d’Or. Il est aussi président de la coopérative Dijon céréales.
Il vend son blé à Harris, un industriel français appartenant à Barilla, mais il ne veut pas “mettre tous ses œufs dans le même panier”. L’agriculteur vend sa moutarde en local et prochainement, il devrait vendre son soja à des agriculteurs du Massif jurassien. C’est le projet Profilait. Depuis 2021, ce projet veut structurer une “filière de production locale de protéines destinée à l’alimentation animale en Bourgogne- Franche-Comté”.
Quand je me dis que mon soja a servi à produire du comté, je suis satisfait.
Didier Lenoir, agriculteur et pdt de la coopérative Dijon céréales.
Le label ‘Nous autrement” ne concernera qu’une faible partie de sa production. “Une partie de ma production sera valorisée à son juste prix” estime-t-il. Quant à la lenteur du développement de ces filières vertueuses, le président de coopérative tempère, “On ne veut pas aller plus vite que la musique. On veut labelliser sérieusement”.
Un label trop discret ?
Fallait-il un label local pour assurer aux agriculteurs de Bourgogne-Franche-Comté un revenu qui prend en compte leur coût de production et leur rémunération ? Actuellement, le label est plus que discret sur les emballages des produits régionaux et il est peu connu, mais le directeur d'Alliance BFC, est convaincu de son intérêt pour assurer aux agriculteurs de ne pas vendre à perte et aux consommateurs de savoir ce qu’ils achètent. “Sur un territoire national, c'est complexe, mais en région, c’est possible” assure Christophe Richardot, le directeur d’Alliance BFC.
On le sait, le consommateur est perdu face à une quantité de labels, censés le rassurer sur l’origine des productions. La région de Bourgogne-Franche-Comté a même renoncé à son projet de marque pour éviter de rajouter de la confusion. Avec ou sans label, des filières locales et durables sont en train de se mettre en place en Bourgogne-Franche-Comté.