Embaucher en CDI des chômeurs de longue durée en créant de l'emploi "utile" au niveau local via la réaffectation des dépenses liées au chômage: une proposition de loi, examinée mercredi à l'Assemblée nationale, vise à expérimenter ce dispositif inédit dans dix micro territoires
Défendue par le député PS Laurent Grandguillaume, la proposition "Territoires zéro chômage de longue durée" est inspirée par l'association ATD Quart Monde, qui travaille sur le projet depuis plusieurs années dans des territoires périurbains et ruraux.
"Nous sommes partis du triple constat qu'un grand nombre de personnes n'avaient pas de travail, étaient prêtes à travailler, que beaucoup de travail utile à la société n'était pas fait, et que la privation d'emploi coûtait à la société un prix exorbitant", a résumé Patrick Valentin, responsable d'ATD Quart Monde, mardi lors d'une rencontre avec l'Ajis (association des journalistes de l'information sociale).
Il a donné l'exemple d'un boulanger d'une commune du Maine-et-Loire qui a besoin d'un livreur pour les personnes âgées ne se déplaçant pas, mais n'a pas les moyens d'embaucher. Le système permettrait de créer cet emploi de livreur via une entreprise d'économie sociale et solidaire, de l'attribuer à un chômeur de longue durée (depuis plus d'un an) très éloigné de l'emploi, embauché en CDI et au Smic dans un premier temps.
Mais en s'assurant que cet emploi ne crée pas de concurrence déloyale. "Nous voulons créer de l'activité sans détruire de l'emploi marchand existant", a expliqué le rapporteur Laurent Grandguillaume, député de Côte d'Or.
Dans un communiqué la CFTC a mis en garde contre "un effet pervers de concurrence entre travailleurs fragiles". Les activités identifiées doivent être au départ peu solvables, notamment parce qu'elles ne trouvent pas preneurs, mais avoir vocation à se développer. Puis ces emplois sont censés "pérenniser l'activité et la rendre solvable", a détaillé Michel de Virville, ex conseiller à la Cour des comptes.
Un 'modèle économique' local
Le succès du dispositif repose sur la "petitesse" du territoire, car il sera facile de contrôler, selon Patrick Valentin. In fine, le projet ne vise donc pas seulement à lutter contre le chômage de longue durée, mais aussi à "créer un modèle économique dans le territoire". Et il ne s'agit que d'une expérimentation, insiste Michel de Virville, pour qui une telle mesure au niveau national serait "sans espoir".
Elle serait financée par un fonds spécifique, avec un budget de lancement de l'État pour "amorcer la pompe", évalué à 10 millions d'euros environ, pour ensuite fonctionner à budget constant. "Au total, ça coûte moins cher qu'un chômeur de longue durée", assure ATD Quart Monde. En additionnant les allocations liées à la privation d'emploi (RSA), les manques à gagner pour la collectivité en termes de cotisations sociales, et les "coûts induits par la privation d'emploi" (en termes de santé notamment), l'association évalue le coût d'un chômeur longue durée de "15.000 à 20.000 euros par an et par personne".
"Il reste 7.000 à 8.000 euros à trouver pour payer les salaires. Mais il faut compter que l'entreprise créera des richesses et générera des recettes fiscales", poursuit le député. Dix territoires volontaires seraient choisis. Pour l'instant, cinq ont déjà planché sur le projet, en impliquant tous les acteurs (élus locaux, Pôle emploi, etc.): Pipriac (Ille-et-Vilaine), Grand Mauléon (Deux-Sèvres), Prémery (Nièvre), Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle) et Jouques près d'Aix-en-Provence.
Les emplois identifiés vont des travaux de maraîchage, forestiers, de l'aide à domicile, en passant par des travaux dans les campings. Sur les dix territoires choisis, environ 2.000 chômeurs longue durée seraient concernés, y compris des personnes qualifiées. "On n'exclura personne", assure Laurent Grandguillaume.
Face à la "radicalisation du discours sur les chômeurs longue durée, dont on dit qu'ils +ne veulent pas travailler+, cela permettra de montrer que si on crée de l'activité, c'est tout le contraire". M. Grandguillaume se montre optimiste quant au vote de mercredi. Le texte sera examiné au Sénat le 16 janvier et s'il est voté, il devrait être promulgué en mars, pour une application en septembre 2016.