Le collège de la Croix des Sarrasins, en Côte-d'Or, a lancé en septembre dernier une expérimentation : une classe de sixième dans laquelle les élèves travaillent en autonomie, encadrés par les enseignants. Une méthode nouvelle qui fait ses preuves.
"Ils s'aident tous, il n'y a pas de jugement, pas de concurrence. Il y a aussi une confiance réciproque des enseignants."
Francis Bignoliprincipal du collège
Ce n'est pas une classe Montessori, mais l'idée s'en rapproche. Au collège de la Croix des Sarrasins, 24 élèves expérimentent depuis la rentrée de septembre la classe de 6e autonome, une première dans le département (le collège Clos de Pouilly le pratique aussi, mais pour les 5e, 4e et 3e).
Des élèves qui "ne parlaient pas du tout" au début de l'année
Le jour de notre visite, c'est tout un cortège qui défile devant les élèves. Journalistes, chefs d'établissements, inspecteur, et le recteur de l'académie de Dijon, Pierre N'Gahane. Mais les ados ne se démontent pas : un par un, ils présentent chacun leur tour un aspect de la classe autonome. Ils se sont préparés avant notre venue, mais leur aisance saute aux yeux : ils ne récitent pas leur texte par cœur, savent ce qu'ils disent, répondent à toutes les questions sans hésiter.
C'est un miracle pour certains de ces élèves
Caroline Meyerprofesseure d'histoire-géographie
"Au début de l'année, certains ne parlaient pas du tout, ils étaient très timides. Ils sont métamorphosés." Caroline Meyer est l'une des deux enseignantes à avoir lancé cette expérimentation, avec sa collègue professeure de français Sophie Abric. "Je connaissais le concept de classe autonome car mes enfants sont scolarisés dans une école primaire du secteur qui pratique déjà l'autonomie. J'ai décidé de proposer la même chose, mais à l'entrée au collège, en classe de sixième", explique Caroline Meyer.
L'idée : "laisser faire" les élèves
L'autonomie en classe, qu'est-ce que c'est ? "Le concept de base, c'est qu'on laisse faire les élèves", poursuit Caroline Meyer. Les enfants ont à disposition les ressources pédagogiques (de grands dossiers rangés dans des classeurs, notamment) et peuvent se servir librement pour étudier le chapitre ou le thème de leur choix. Avec toutefois une évaluation à la fin : ils doivent restituer leurs connaissances à leur professeur, et s'ils ont bien retenu le cours, ils décrochent une "ceinture", signe que l'apprentissage est validé.
À la fin de chaque trimestre, en lieu et place des conseils de classe (où les professeurs se réunissent pour établir le bulletin de chaque élève), les élèves de 6e autonome passent en "conseil de réussite" : "ça dure un quart d'heure par personne, on parle aux profs, les parents sont là aussi", détaille Louise, une des élèves.
Pour étudier, les jeunes ont le choix : table classique ou table haute type "mange-debout". Si l'un est en difficulté sur un enseignement, les autres l'aident. Les élèves communiquent beaucoup entre eux, et apprennent à résoudre les conflits. "Il y a des problèmes relationnels comme dans n'importe quelle classe, mais ils durent beaucoup moins longtemps", affirme Caroline Meyer. "Les enfants règlent leurs problèmes lors des "conseils communautaires", toujours sous la direction d'un enseignant, mais ils les règlent entre eux."
Ils s'aident tous, il n'y a pas de jugement, pas de concurrence. Il y a aussi une confiance réciproque des enseignants.
Francis Bignoliprincipal du collège de la Croix des Sarrasins
Qu'est-ce qui a motivé le lancement de la classe autonome ? "On est parti d'un constat", raconte le principal : "Le manque d'autonomie global des élèves en classe. On a aussi vu que le covid avait fortement impacté les élèves et on s'est dit qu'il fallait trouver autre chose." Caroline Meyer et Sophie Abric se sont portées volontaires et ont motivé d'autres professeurs. Aujourd'hui, ils sont une dizaine, dans toutes les matières, à être impliqués dans la classe autonome.
Une nouvelle méthode pour encourager les élèves à s'impliquer davantage
Ce constat du manque d'autonomie des élèves au collège n'est pas propre à Auxonne : il concerne tout le territoire, selon Denis Mellier, inspecteur académique. "Depuis l'an dernier, on évalue les collèges et les lycées de l'académie de Dijon, avec l'objectif de les avoir tous faits d'ici cinq ans. Nous recevons d'abord des auto-évaluations de la part des établissements, ensuite nous venons, et nous rendons des préconisations."
"Le constat, c'est que l'on développe la passivité chez les élèves. Le plus souvent, c'est le professeur qui dispense son cours et les élèves ne font qu'écouter. Ils participent très peu activement, au final."
Denis Mellier, inspecteur académique
Mais l'idée de la classe autonome n'est pas encore tout à fait rentrée dans les mœurs du corps enseignant. "Ici, les mentalités ont évolué", estime Caroline Meyer. "Au début, on a fait face à une grosse levée de boucliers de la part de certains collègues." Une méfiance due à plusieurs facteurs.
"Ce qui fait peur aux professeurs, c'est de lâcher prise. Comme tout le monde parle beaucoup en classe autonome, il y a la peur de passer pour un prof qui se fait dépasser, déborder par ses élèves. Il y a aussi la peur de ne pas avancer en suivant le programme et donc de ne pas réussir à le boucler en fin d'année. En fait, il faut sortir de sa zone de confort."
Denis Mellierinspecteur académique
Et comme il faut toujours un peu de temps pour faire évoluer les opinions, le collège de la Croix des Sarrasins va renouveler l'expérimentation l'an prochain, mais uniquement avec une autre classe de sixième. Le principal, Francis Bignoli, veut "faire les choses progressivement". Pour la rentrée prochaine, la petite trentaine de futurs 6e sera sélectionnée sur dossier, avec lettre de l'élève, des parents et de ses professeurs.
Les élèves de l'actuelle 6e autonome, eux, iront en 5e "normale". C'est d'ailleurs ce qu'ils souhaitent tous. "C'est bien d'alterner entre les deux", juge Léandro, "comme ça on pourra montrer notre autonomie aux autres". "L'autonomie, ça permet de nous préparer à une 5e normale", confirme Louise.
"Cette expérimentation donne des résultats extraordinaires", s'enthousiasme le recteur Pierre N'Gahane, venu constater les bons résultats de la méthode. Il voudrait l'étendre à d'autres établissements. "Il faut maintenant qu'on s'approprie le concept, afin de voir comment on peut le dupliquer au niveau de toute l'académie de Dijon."