Engagé dans la Résistance à 16 ans, Pierre Jobard a successivement été arrêté, déporté, torturé. Une expérience qu'il raconte, des décennies plus tard, dans les collèges de Côte-d'Or et dans un livre... et, désormais, dans un film documentaire.
La lumière se rallume sur les applaudissements du public. Dans cette salle de Vitteaux (Côte-d'Or), l'émotion est palpable - celle, notamment, de Pierre Jobard, 97 ans. Ancien résistant, engagé dès 16 ans dans un maquis de l'Auxois, il vient d'assister, ce dimanche 15 septembre, à la projection d'un docu-fiction retraçant sa douloureuse expérience pendant la guerre.
Auschwitz, Buchenwald, Flossenbürg
Cette expérience, voilà des années qu'il la partage. D'abord dans les collèges, parfois dans les médias, et même dans un livre. "Il faut que les jeunes sachent", martèle celui pour qui "l'être humain a beau être civilisé, en temps de guerre, il devient barbare. On en a vu la preuve, et on le voit encore actuellement."
Une barbarie qu'il a lui-même connue lorsque, le 23 février 1944, des soldats allemands l'arrêtent chez lui, à Villeberny, à quelques kilomètres seulement de Vitteaux. "J'ai été enfermé à la prison de Dijon. J'y ai passé 35 jours en cellule, en subissant des interrogatoires musclés. Le 26 avril 1944, on nous a emmenés à la gare. On ne le savait pas encore, mais on était en route pour Auschwitz", nous contait-il en avril 2023.
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S'ensuit une longue période de peur, de violence, d'horreur. Après Auschwitz, il est successivement envoyé dans les camps de Buchenwald et Flossenbürg. Il y travaille une année durant avant que, face à l'avancée des troupes alliées, les nazis emmènent les prisonniers dans ce qu'on connaît aujourd'hui comme la "colonne de la mort". Des 16 000 qui ont pris la route, seuls 8 000 vivent encore au bout du troisième jour.
Ce sont ces scènes qui, Pierre Jobard l'affirme, l'ont "le plus choqué" dans le film. "Je retiens vraiment ces images, les derniers jours, quand on a fait cette marche de la mort. Je m'étais retrouvé avec un Français, le pauvre s'accrochait à moi car il ne pouvait plus marcher... alors on est tombé en fin de colonne et là, un SS me l'a arraché des bras et l'a tué."
"Une génération qui n'existe plus"
De sa déportation, Pierre Jobard a conservé son uniforme de prisonnier... ainsi qu'un tatouage, "185 784" - le matricule que ses geôliers ont gravé sur son bras à son arrivée en camp. Il s'agit d'ailleurs du titre choisi par le réalisateur Emmanuel Phelippeau pour son film. "On a vécu des moments très forts avec Pierre pendant un an. Je voulais que les scènes qu'il a vécues collent parfaitement avec ce qu'on tournait", explique-t-il.
"Pierre Jobard, c'est une génération qui n'existe plus", poursuit-il. "Une génération et un pan de l'histoire qui partent, c'est pourquoi j'espère que ce film sera un beau témoignage et restera dans les mémoires, aussi bien pour les jeunes que pour les anciens. Parce que quand on l'écoute, on sent qu'il est inquiet pour les jeunes par rapport à ce qu'il se passe et l'actualité dramatique."
Transmettre son passé, c'est un message d'espoir.
Emmanuel Phelippeau,réalisateur de "Pierre Jobard - Matricule 185 784"
Une quarantaine de figurants a participé au tournage, parmi lesquels la propre petite-fille de Pierre Jobard, Camille. L'occasion, pour elle aussi, d'en "apprendre plus" sur l'histoire de son grand-père. "Ça fait plusieurs années qu'il en parle beaucoup dans les collèges, mais dans la famille, ce n'est pas un sujet qu'on aborde souvent. Grâce à ce projet, j'ai encore pu en apprendre."
Et c'est justement dans les collèges de Côte-d'Or que le film sera ensuite disponible. Des clés USB contenant le documentaire pourront être distribuées aux élèves. En revanche, aucune sortie en salle n'est prévue.