Covid-19 : la Franche-Comté paye-t-elle sa proximité avec la Suisse ?

Pourquoi la Franche-Comté est-elle si touchée par l'épidémie de covid-19 ? La météo hivernale, froide et humide, favorise la propagation du virus. Mais les nombreux échanges avec notre voisin suisse pourraient aussi avoir permis à l'épidémie de prospérer des deux côtés de la frontière.

Déjà fortement touchée par la première vague de covid-19, la Franche-Comté est aujourd'hui la région de France la plus affectée par l'épidémie. La deuxième vague est bien plus forte qu'au printemps, et surtout elle ne redescend pas, se maintenant entre 1700 et 1900 patients hospitalisés depuis la mi-novembre.

Si la première vague s'explique en grande partie par le foyer épidémique provoqué par le rassemblement évangélique de Mulhouse, tout proche de Belfort, la force et la persistance de la deuxième vague interrogent.

En épidémiologie, et en l'absence d'étude sur le sujet, les spécialistes formulent des hypothèses.

La première d'entre elles est le climat. Le virus prospère en Franche-Comté comme dans une bonne partie de l'Est de la France, où l'hiver est froid et humide. Les températures et les précipitations incitent les habitants à rester à l'intérieur, sans forcément aérer.

Mais le climat ne peut être la seule et unique cause.

Car si les 4 départements comtois font partie du top 6 des départements de France où le virus circule le plus, ce sont les Alpes Maritimes qui ont le taux d'incidence le plus élevé. Un département au climat en bonne partie méditerranéen, et un territoire qui, comme la Franche-Comté, partage une frontière avec un pays étranger, là-bas l'Italie et Monaco, ici la Suisse.

Nos échanges avec la Suisse ont-ils favorisé l'épidémie en Franche-Comté ? Le virus circule avec les Hommes, et les Hommes sont très nombreux à passer chaque jour la frontière.

On compte pas moins de 38.500 travailleurs frontaliers en Bourgogne-Franche-Comté. Les Français vont également en Suisse pour les loisirs, le ski par exemple, et les Suisses font aussi régulièrement leurs courses dans le Haut-Doubs et le Haut-Jura.

On a l'impression depuis deux-trois jours que l'épidémie reprend. On voit à nouveau plus de patients covid.

Nicolas Kury, médecin généraliste à La Cluse-et-Mijoux, le 14 janvier

Le Haut-Doubs, c'est justement là que nous avons retrouvé le docteur Nicolas Kury, médecin généraliste à La Cluse-et-Mijoux. "On a subi une remontée spectaculaire fin octobre et tout le mois de novembre, nous raconte-t-il. Depuis un mois, on a beaucoup moins de cas en médecine de ville, mais on sait que les hôpitaux sont bondés. On a l'impression depuis deux-trois jours que l'épidémie reprend. On voit à nouveau plus de patients covid, exactement ce qu'on a connu autour du 15 mars et du 20 octobre (avant les deux confinements, ndlr)."

Comment explique-t-il cette persistance de l'épidémie sur son territoire ? "C'est une réalité: nous sommes une zone de passage, une zone frontalière, et il y a énormément d'échanges."

"On a pu voir qu'au mois de mars, une de nos patientèles fragiles, qui se mettaient en danger, c'était les frontaliers, détaille le médecin. Les entrepreneurs suisses n'ont pas mis à disposition les moyens de protection, masques ou gel hydroalcoolique. Au début, on a eu beaucoup de panique, les patients frontaliers étaient inquiets, beaucoup étaient malades. Ils allaient au travail la peur au ventre. J'ai même eu une patiente qui travaillait dans un restaurant à qui on a interdit de mettre le masque car 'ça faisait fuir les clients'. Il y a vraiment eu au début un 'tout économique', à l'inverse de la France où c'était un 'tout sanitaire'." 

Une situation qui s'est progressivement améliorée, constate Nicolas Kury : "Aujourd'hui les frontaliers ne se sentent plus en danger au niveau du travail, mais il est difficilement entendable qu'il y ait distanciation et masques d'un côté de la frontière et pas de l'autre." 

J'ai vu l'épidémie arriver d'abord sur Pontarlier avant de descendre sur la zone de Besançon

Stéphane Attal, médecin à Saône et Pontarlier

Exerçant à la fois en zone frontalière et dans l'agglomération de Besançon, Stéphane Attal pointe lui aussi la différence de politique sanitaire entre la France et la Suisse. "Ce n'est pas politiquement correct", prévient le praticien, qui constate que les Suisses "ont eu un temps de retard, n'ont pas pris les mêmes mesures que nous et n'ont pas eu la même réactivité".

"Pendant les Fêtes, la Suisse a continué son activité professionnelle", note-t-il, alors que la France contraignait ses stations de ski, par exemple, à fermer les remontées mécaniques.

"C'est une impression, je n'ai évidemment pas de preuve, mais ayant deux cabinets, j'ai vu l'épidémie arriver d'abord sur Pontarlier avant de descendre sur la zone bisontine, rapporte celui qui est aussi président régional de la confédération des syndicaux médicaux de France (CSMF). A une époque je n'avais que des frontaliers malades. Maintenant j'ai du travailleur frontalier et du citoyen pontissalien contaminés (...) Une fois que le virus est sur un territoire, il se développe. C'est l'effet boule de neige".

 

"Les lieux de passages peuvent amener une forme de pression épidémique"

Pascal Crépey est enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l'Ecole des Hautes études en santé publique à Rennes. Il met en avant à la fois le climat et les échanges transfrontaliers pour expliquer l'épidémie. Interview.

Selon vous, comment expliquer que la Franche-Comté soit si touchée par l'épidémie ?

"A l'heure actuelle on ne peut proposer que des hypothèses. La première, qui semble la plus probable, c'est le climat. Il est fort possible que le climat continental, pendant l'hiver, soit particulièrement favorable à la diffusion du virus, en tout cas davantage que le climat océanique. Ce qui expliquerait les différences entre l'ouest et l'est de la France."

Pourtant notre région n'est ni la plus froide, ni la plus humide ?

"Le virus se propage dans un certain intervalle de température et d'humidité. Pas besoin d'être la plus froide ou la plus humide des régions. Dans un certain intervalle, les goutelettes que l'on expire, les aérosols et les postillons, ont tendance à rester un peu plus longtemps en suspension, à aller un peu plus loin, et donc à contribuer à la dynamique de contamination".

La météo est-elle la seule et unique cause ?

"Il peut y avoir d'autres explications, comme le fait que l'Est de la France se situe au centre de l'Europe. Ces départements et ces régions ont des frontières. Ce sont des lieux de passage, de traversée, de flux de transport qui peuvent amener une forme de pression épidémique et donc contribuer à augmenter l'incidence de ces régions, comparativement aux régions de l'ouest dont les frontières sont maritimes, ou qui comme la Bretagne sont des presqu'îles, donc beaucoup moins traversées par des flux de population".

Les échanges frontaliers pourraient donc aussi expliqué la force de l'épidémie en Franche-Comté ?

"Les flux frontaliers sont surtout problématiques au début d'une épidémie, pour l'importation du virus. Mais à l'heure actuelle, le virus circule, en Franche-Comté ou ailleurs. On n'est plus face à cette problématique d'importation ou de réimportation du virus. Certes, il y a une pression épidémique, mais ce n'est pas ça qui drive la dynamique de l'épidémie en Franche-Comté. Ce qui contrôle l'épidémie en Franche-Comté, ce sont les dynamiques d'infections sur le territoire, entre les gens qui habitent ce territoire".

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