En ce jour du Souvenir des Victimes de la Déportation, des manifestations sont organisées en France pour demander la tenue d’un procès pour le meurtrier de Sarah Halimi, son voisin musulman reconnu non responsable de ses actes par la justice car il était en proie à une "bouffée délirante".
Comme tous les derniers dimanches d’avril, aujourd’hui, 25 avril, en France, c’est la Journée Nationale du Souvenir des Victimes de la Déportation.
En France, le Ministère des Anciens Combattants estime que 115 500 personnes sont mortes en déportation durant la Seconde Guerre Mondiale. Concernant la communauté juive, 75 721 Juifs, dont près de 11 000 enfants, ont été déportés de France entre mars 1942 et août 1944, seulement 2 566 d’entre eux ont survécu, soit environ 3 %. Concernant le nombre de déportés par département, ce site est à consulter.
Il ne faut pas mélanger l’Histoire de la déportation et l’affaire Sarah Halimi mais ce télescopage de dates est souligné par plusieurs observateurs, notamment l’Amitié judéo-chrétienne de Besançon.
Les faits
Sarah Halimi avait 65 ans. Le 4 avril 2017, à Paris, cette femme juive a été tuée par son voisin musulman, Kobili Traoré, qu’elle connaissait bien. Ce meurtre devient une « affaire » quand on apprend que la BAC, la Brigade anti-criminalité qui était sur place n’est pas intervenue car elle attendait des renforts, quand le caractère antisémite de l’acte n’est pas immédiatement reconnu, quand la cour d’appel de Paris conclut à l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits, décision confirmée par la Cour de Cassation le 14 avril 2021.
L’irresponsabilité pénale signifie que Kobili Traoré est considéré non responsable de ses actes devant la justice, donc qu’il ne sera pas jugé. Il est hospitalisé en service psychiatrique depuis ce crime. Selon les sept experts psychiatriques qui l'ont examiné, Kobili Traoré, grand consommateurde cannabis, était en proie à une "bouffée délirante" lorsqu'il a tué sa voisine. La cour d'appel de Paris avait conclu à l'existence d'un trouble psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits, ce que la Cour de cassation a jugé conforme au droit.
Face à la polémique déclenchée par cette décision, L'un des plus hauts magistrats français, François Molins, a vigoureusement rejeté samedi 24 avril le procès en "laxisme" fait à la justice. "Évidemment que la justice ne délivre aucun permis de tuer !", s'est insurgé le procureur général près la Cour de cassation dans une interview au journal Le Monde, pour qui assimiler cette décision, prise "conformément à la règle de droit", à "un permis de tuer les juifs en France est insupportable".
"L'émotion suscitée par cette décision révèle sans doute que la loi n'est pas adaptée", a reconnu M. Molins, tout en mettant en garde le parlement contre la tentation de "légiférer dans l'urgence et sous le coup de l'émotion".
Les réactions nationales
La communauté juive française est très choquée par cette décision, qui survient alors qu’elle a été touchée par plusieurs attaques antisémites meurtrières ces dernières années dans notre pays.
Le grand rabbin de France Haïm Korsia dénonce ce « scandale judiciaire » dans une tribune publiée le 17 avril 2021 dans le Figaro. Il argumente : « soit le meurtre est antisémite et donc pensé, soit il est l'œuvre d'un irresponsable et donc non pensé. Pas les deux à la fois. Or il a été reconnu comme antisémite par l'instruction. ».
Dimanche 25 avril, des rassemblements, sous le mot d'ordre « Sans justice pas de République », sont prévus à Paris et dans plusieurs grandes villes de France pour demander la tenue d’un procès.
A Besançon, mêmes sentiments d’incompréhension et de désarroi
Il n’y aura pas de rassemblement à Besançon. Mais l’association bisontine « Amitié judéo-chrétienne de France » a publié un communiqué de presse pour demander la tenue d’un procès.
En voici les grandes lignes :
"L'absence de procès du massacreur de Madame Halimi marque un tournant pour les juifs de France. Le jugement de la Cour de Cassation est pour eux une nouvelle blessure. Elle amoindrit encore plus leur confiance et beaucoup ont la certitude que quoi qu'ils fassent leur avenir en France sera sombre.
Fidèles à nos statuts et aux orientations données par notre fondateur Jules Isaac, nous devons en tant qu’Amitié Judéo-chrétienne nous tenir aux côtés de nos amis juifs qui sont dans le désarroi et bien seuls face à la haine antisémite...
Que faire ce dimanche 25 avril ? Il se trouve que ce jour-là est la Journée nationale du Souvenir des victimes de la Déportation. Soyons déterminés dans la lutte contre cet antisémitisme trop souvent impuni qui mine notre société…
Le groupe de Besançon de l’amitié judéo-chrétienne de France n’est pas en mesure d’organiser une manifestation à Besançon, mais il tient à faire connaître l’appel suivant :
Nous appelons tous les citoyens soucieux de la vérité et de la lutte contre l’antisémitisme à nous rejoindre pour exprimer l’émotion et la sidération face à une décision qui dit le Droit sans rendre Justice. Par notre présence à ces rassemblements autorisés, nous marquerons notre solidarité envers la famille de Sarah Halimi et nous clamerons notre détermination à poursuivre le combat pour la mémoire de Sarah. Ensemble, restons mobilisés pour que la dimension antisémite ne soit pas oubliée… "
Les réactions des deux coprésidents
Très atteint par cette « Affaire Sarah Halimi » et la décision de la cour de Cassation, Alain Silberstein, président de la communauté juive et coprésident, à Besançon de l’amitié judéo-chrétienne de France, réagit :
« Rien n’est plus difficile qu’exprimer des émotions, mettre des mots sur une émotion.
Après Ilan Halimi en 2006, les enfants de Toulouse Myriam, ainsi que Ariel et Gabriel et leur père en 2012, assassinés parce que juifs, tout comme Sarah Halimi en 2017, ou encore Mireille Knoll en 2018, âgée de 85 ans, le climat devient délétère.
Je ne comprends vraiment pas le jugement de la Cour de Cassation concernant l’affaire Sarah Halimi. Les sentiments partagés par de nombreux Juifs de France expriment une inquiétude, de la colère et une grande désillusion.
Lors d’un attentat, nous avons toujours droit maintenant à une lecture psychiatrique de l’affaire, des motivations de l’assassin. Pourquoi est-il si difficile de qualifier un crime de terroriste ou d’antisémite, surtout quand les motivations sont religieuses ?
Pourquoi un homme a-t-il été jugé et condamné en 2019 pour avoir jeté son chien par la fenêtre de son appartement, quand un autre homme est dispensé de procès pour avoir jeté une vieille dame par la fenêtre ?
Oui, il fallait un procès. C’était indispensable pour la famille, et aussi pour nous tous, pour mieux comprendre et éduquer. Si le caractère antisémite de certains crimes est minimisé, c’est la haine antisémite qui est minimisée. On ne pourra bientôt plus juger certains actes antisémites. »
Le père Dominique Banet, prêtre, est le délégué diocésain aux relations avec le judaïsme, et, à Besançon, il copréside l’Amitié judéo-chrétienne de France :
« C’est moi qui ai contacté Alain (Silberstein, ndlr) et qui ai rédigé le communiqué de presse. Je suis peiné pour les Juifs qui sont marqués par cette affaire. C’est, pour eux, une perte de confiance dans leur avenir en France.
Bien sûr que c’est un crime antisémite : il frappe Madame Halimi, la balance par-dessus le balcon en criant « Allah Hou Akbar ». Comme Joann Sfar (Français, auteur de bandes dessinées et réalisateur, et de confession juive, ndlr), je dirais qu’on ne nie pas que l’antisémitisme meurtrier, c’est psychiatrique, il faut être fou pour être antisémite. Mais, le procès aurait été nécessaire : la décision de justice est contradictoire. Elle dit "c’est un acte antisémite mais le meurtrier, qui fume trop de cannabis, a des bouffées délirantes et ne peut pas être jugé". »
Monseigneur Jean- Luc Bouilleret, archevêque de Besançon, a réagi au communiqué de l’amitié judéo-chrétienne avec ses mots :
« Je m’associe pleinement à vos propos. Puissent nos amis juifs trouver en notre pays la sécurité à laquelle ils ont droit. »
Dernière information, avec AFP :
Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a annoncé dimanche la présentation "fin mai" en Conseil des ministres d'un projet de loi visant à "combler" un "vide juridique", après que la Cour de cassation a confirmé l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, sexagénaire juive tuée en 2017 à Paris.
"Conformément à la demande du Président de la République, le gouvernement présentera fin mai en Conseil des ministres un projet de loi pour combler le vide juridique apparu dans l'affaire Sarah Halimi", a annoncé Eric Dupond-Moretti sur Twitter.
Affirmant que "la France ne jugerait jamais les fous", Eric Dupond-Moretti a estimé qu'il fallait "tirer les conséquences de la décision de la Cour de cassation"
et "répondre à la main tendue", selon le communiqué du ministère.
La nouvelle loi pourrait être adoptée "par le Parlement à l'été", est-il indiqué.