A Besançon, recueillir les témoignages de personnes en situation de grande précarité pendant le confinement

A l'Agora, résidence sociale à Besançon, Mélissa Foliguet, assistante sociale, a donné la parole aux habitants pendant le confinement. L'occasion d'entrevoir la vie des résidents et les pratiques de ce métier, chamboulées par la crise sanitaire.

A Besançon, dans ces bâtiments blancs et orangés, la vie se devine au travers des fenêtres. A l’Agora, résidence sociale, le confinement n’a pas été aisé. Les habitants, en hébergement d'urgence, ou en situation de réinsertion, ont vu la fin des activités collectives, et le début de l'isolement, une grande solitude de huit semaines. Le changement est brusque. Une période compliquée et inédite, pour les travailleurs sociaux comme pour les résidents de l’Agora. Une idée émerge : recueillir les impressions des résidents et exposer leurs ressentis.

C’est le projet collectif « Témoignages 2020 », porté par Mélissa Foliguet et ses collègues, et soutenu par le Centre communal d'action sociale (CCAS) de la ville de Besançon. Pendant une semaine, quinze résidents volontaires ont parlé du confinement, des changements engendrés par cette vie cloîtrée : leurs ressentis, leurs craintes, leurs espoirs de l’après 11-mai. Chacun à leur manière, accompagné parfois de Mélissa Foliguet, ont laissé libre-cours à leur pensée, de différentes façons : un enregistrement audio, une vidéo, une retranscription écrite, voire une lettre.


« Quand on flirte avec la mort »


Les situations ne sont pas les mêmes pour tous les résidents. Certains louent leur logement, d'autres sont en hébergement d'urgence, pour un séjour a priori temporaire. C'est le cas de Julien E. et Morgane P. qui racontent les défaillances de l'accueil des personnes en situation de précarité pendant la crise sanitaire. Dans leur chambre, assis en tailleur sur un lit, Julien E. détaille : « Une patrouille de police passe, ils nous ont contrôlé, et ils sont partis. [On leur disait] qu'on était sans-domicile fixe, et ils n'avaient pas trouvé de solution. » Pendant la crise sanitaire, les deux jeunes ont pu rejoindre l'Agora.

Le confinement a aussi été le moyen de mieux connaître les personnes croisées dans la résidence, dans les couloirs, comme dans l'ascenseur. Marie-Claude P. parle des contacts « plus approfondi[s] », du fait de la « cohabitation forcée ». Sur un banc, dans le jardin de la résidence, les rayons de soleil réfléchissent sur sa chevelure d’argent. La femme à la cinquantaine fixe ses mains, l’air pensif. Elle affirme : « J’ai pu mieux réaliser la valeur de certaines personnes, le degré de gravité du vécu de certains qui avaient déjà des problèmes de santé, des problèmes d’addiction. » De sa voix grave, elle tire les conclusions de cette période bouleversante : « Quand on flirte avec la mort, avec la crainte de la mort, on réalise qu’il faut peut-être moins s’agresser les uns, les autres et être plus solidaires. »

 

 

 

 

 

 

Une écoute bienveillante et des témoignages forts


Donner la parole aux personnes en situation de grande précarité, voilà l’ambition de Mélissa Foliguet et ses collègues. « Une voix trop peu entendue dans les médias, pendant le confinement », insiste la travailleuse sociale. Le projet « Témoignages 2020 » se fait sur la base du volontariat : « les participants sont ceux qui ont bien voulu se montrer », rappelle la travailleuse sociale. Il a donc fallu effectuer tout un travail en amont, comme communiquer sur le projet pour le faire connaître au sein de la résidence. Une réussite, puisque beaucoup ont répondu à l’appel.

En ressortent des témoignages forts, émouvants. Mélissa Foliguet explique : « Dans des logements petits, le confinement est vécu difficilement. » Alors, livrer ses ressentis, sa tristesse, sa solitude et ses espoirs soulage les résidents. « Il y a le sentiment d’être privé de liberté, la difficulté de rester au sein de l’institution, admet la travailleuse sociale, tous ont hâte que la vie reprenne ». C’est souvent l’importance de l’accompagnement social qui est mise en avant : lorsque les activités collectives sont interrompues, et les visites, interdites, l’ensemble de l’équipe devient indispensable, et maintient le lien social.
 

 

 

 

 

 

« Déconfinement => déconfiture => décrépitude »


Certains comme Farouk C. racontent comment le confinement a interrompu leur trajectoire de réinsertion. L'homme a choisi l'enregistrement audio, pour exprimer son désarroi. De sa voix, presque tremblante, il énonce : « Faire toutes les démarches pour avoir ma maison, mon appartement, mon HLM ... Jusque-là, il n'y a rien, et tout s'est arrêté. »

D'autres prennent la plume : dans les lettres, pas de grille d’entretien, la forme est plus libre. Seuls deux participants ont choisi ce moyen d’expression, comme J-P. Ruiz. Le résident parle des conséquences de la pandémie sur la société, tout en accordant une importance au style, au rythme : « Déconfinement => déconfiture => décrépitude ». A chaque ligne, le coronavirus reste ancré dans ses pensées : « Cette pandémie est encore flagrante et trop présente, les délais écourtés, enfin, je ne suis pas l’instigateur des actes responsables et proéminés. »
 

 

 

 

 

 

« Le confinement a été une grande souffrance »

 


Cette série d’entretiens marque « la fin d’une période de confinement ». Un soulagement pour les résidents et les travailleurs sociaux : « Même à nous [travailleurs sociaux], ça nous a fait du bien de retrouver le contact humain », confie Mélissa Foliguet. La période a été difficile à vivre à l’Agora. Pour l'assistante sociale, renouer le dialogue après ces huit semaines permet de panser les blessures : « Le confinement a été une grande souffrance, et les résidents ne parvenaient pas à parler à leurs voisins, qui étaient parfois dans le déni. »

Après chaque échange, Mélissa Foliguet recueille les ressentis des résidents. L’assistante sociale partage le mot laissé par Alain B. : « Les questions m’ont donné l’occasion de repenser à ce qui c’était passé. Ça m’a décontracté de m’exprimer, de discuter avec vous et votre collègue cameraman. En fait, ça fait du bien de parler et de se sentir écouté ! »

Le recueil de témoignages agit donc comme une « expérience thérapeutique », « un moyen de communiquer avec l’extérieur, de faire passer certains messages. », d'après Marie-Claude P.. Elle ajoute : « J’avais à exprimer certaines choses avec tout ce que j’avais vécu, j’ai pu me reconstruire au sein d’une institution et j’avais envie d’en parler. Cet entretien permet de garder le lien, d’échanger ! »
 

 

 

 

« Rien faire sans leur accord »


C'est une réflexion éthique qui anime Mélissa Foliguet et ses collègues. Le projet « Témoignages 2020 » doit toujours se réaliser en respectant les volontés de chacun. Par exemple, la question du droit à l’image et de la possibilité de transmettre les enregistrements, de les exposer. Il y a aussi la volonté de ne pas trahir la parole des résidents, tout en guidant l’entretien sur les thèmes du confinement, de l’avant et de l’après. Pour cela, il a fallu émettre une grille de questions, tout en laissant chacun évoquer d’autres sujets, s’il le souhaite. Une démarche importante pour les résidents, d’après Mélissa Foliguet : « Expliquer leurs droits, en détail, permet de les accompagner, de montrer qu’on ne va rien faire sans leur accord ».

Les entretiens vidéo et audio devaient durer au moins une heure « pour prendre le temps d'échanger et d’avoir des témoignages riches, émouvants », d'après Mélissa Foliguet. Pendant l’entretien, la confiance s’installe entre la travailleuse sociale et les participants. Chaque résident choisit le lieu où il veut être filmé ou enregistré : « ça peut être l’extérieur pour les plus pudiques, ou leur chambre, s’ils sont plus à l’aise, détaille Mélissa Foliguet, il ne faut pas se lancer dans quelque chose qui les dépasse. »

Et ces précautions portent leurs fruits, comme l’explique une participante, Sandrine M. : « Je me suis sentie écoutée, j’ai beaucoup aimé le fait de pouvoir être filmée à l’extérieur. Je me suis sentie à l’aise parce que l’entretien était avec ma référente sociale, ça aurait peut-être été plus dur avec quelqu’un d’autre mais là j’étais détendue, je pouvais parler franchement ! » Gilles P.G. évoque, quant à lui, la « liberté de parole », l’absence de « censure » : « Il y avait un respect total de ce que je disais, aucune pression, pas de jugement. »
 

La vie continue à l’Agora


Au fil des entretiens, Mélissa Foliguet en apprend sur la vie en collectivité dans la résidence. « Ce qui m’a marquée, ce sont les solidarités informelles qui se sont créées pendant le confinement », raconte-t-elle. Car malgré les mesures de distanciation sociale et les gestes barrières, et l'absence de visites des proches, la vie continue à l’Agora. Lorsque l’un décide de mieux connaître son voisin, de lui partager sa souffrance de ne pas pouvoir voir ses proches, l’autre partage ses denrées alimentaires ou dépanne un camarade. Un vivre-ensemble dans l’adversité et en autonomie, qui émeut particulièrement Mélissa Foliguet et ses collègues.

Aujourd’hui encore, les sorties culturelles, les repas ensemble, et les animations de l’après-midi ne peuvent reprendre complètement, en raison de la pandémie et des mesures de sécurité. Alors toute l'équipe de l'Agora réfléchit à l’après-confinement. Si l’essence du travail social n’a pas changé, les manières de l’exercer évoluent : « Le confinement a été un moyen de réinventer ses pratiques, pas d’un point de vue individuel, mais d’un point de vue collectif. » A partir du 11 mai, les activités, en plus petit comité, se poursuivront. Quant au projet « Témoignages 2020 », une exposition dédiée au projet sera organisée à la fin de la crise sanitaire, avec un film d’une heure pour regrouper les paroles de chacun et chacune. Une manière de prendre du recul, sur cette période bouleversante.
 

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