Les visages des couturières et des couturiers, qui ont fabriqué des masques au plus fort de l'épidémie de coronavirus à Besançon, font l'objet d'une campagne d'affichage dans les rues de la ville du Doubs, ce mois de juillet. Un travail réalisé par le photographe Jean-Christophe Polien.
Des visages restés dans l’ombre du confinement. Des visages désormais à la lumière de l’été. Sur une petite dizaine de panneaux digitaux, les portraits s’égrènent au fil des petites rues de la cité de Victor Hugo.
Comme celui de Viviane Millerand, artiste brodeuse membre du collectif Zone Art. L’aventure des couturières solidaires, c’est elle qui en a donné l’impulsion. Elle se souvient de ce début mars. Elle découvre sur internet le patron du masque en tissu du CHU de Grenoble. Elle se lance dans la fabrication pour ses proches. Puis échange avec d’autres couturières. Un groupe facebook se crée. Les bobines et aiguilles tournent à plein régime. Bénévolement. Les demandes de masques arrivent les unes après les autres, et font boule de neige.
“Des gens avaient vraiment besoin de masques. C’était choquant. On n’avait pas le choix de coudre. Ce n’était pas possible de faire payer les masques en tissu à ces gens-là, de dire non à des infirmières, des éducateurs, des caissières. On savait coudre, alors on a fait” se rappelle-t-elle.
43 portraits en format carré signés JC Polien
Bisontin revenu sur ses terres depuis trois ans, le photographe Jean-Christophe Polien a travaillé dans le monde entier. Photographe des stars comme Jeff Beck, Oasis, AC/DC, Coldplay, Noir Désir, Les Rita Mitsouko, Carla Bruni et bien d'autres. Ses portraits ont été publiés dans les colonnes du journal Le Monde, Télérama, Rock & Folk, Rolling Stone, ou Libération, et le prestigieux The Times. Avant de photographier les couturières bisontines, il a été un de leur passeur. Celui qui faisait transiter en plein confinement, sur le secteur de Besançon, les masques cousus ou la matière première.
Dans son quartier Battant, d’autres ont pris le relais, il s’est concentré rapidement sur ce projet artistique. Rendre hommage aux couturières en figeant leur générosité sur papier glacé. Il a réalisé début mai le portrait des 43 doigts de fée qui ont donné vie à des quantités incalculables de masques. Au moins 5000 remis aux hôpitaux, cliniques, Ehpad et soignants libéraux.
“Humainement, ce travail m’a permis de faire de belles rencontres. J’ai aimé cet aspect sociologique, d’observer les gens. Début mai, certains voulaient être approchés, d’autres pas, certains portaient des masques, d’autres non. Dans ce groupe de couturiers solidaires, il y avait quelques hommes, dont un qui réparait les machines à coudre qui tombaient en panne” explique le photographe.
"Rock star ou couturières, même régime"
La signature de JC Polien : ce format carré qu’il affectionne. Rock star ou couturières, même régime. Le photographe choisit le cadre. “Je fonctionne avec tout le monde de la même façon, qu’il soit une star ou le boucher de mon quartier. Cela reste de l’humain. Il faut que j’ai la main sur les photos, je suis très directif, je sais ce que je veux. Je me mets la pression, la même rigueur dans le cadrage, quelle que soit la personne que je photographie” ajoute Jean-Christophe Polien.
Sa galerie de portraits tourne toute cette fin juillet dans les rues de sa ville. Michèle, Serena, Stéphanie, Magali, le groupe des couturières a réuni toutes les générations.
"Ce travail photographique, c’est un bel hommage, tout cela a été un travail invisible" explique Emmanuel Dumont qui faisait partie de l'aventure et allait récupérer pendant le confinement les masques chez les couturières pour les livrer. "On a même dévalisé le rayon mercerie d'Emmaüs pour fournir toutes ces couturières, cela nous a permis de tenir des semaines" ajoute-t-il fier de la solidarité bisontine.
Avec un rire généreux, Viviane Millerand parle de cette période de confinement. De la solidarité sans faille, à l’heure où les masques faisaient défaut. “Dans notre groupe, certaines n’avaient pas sorti leurs machines à coudre depuis 20 ans…. Combien ai-je fait de masques ? Un millier” pense-t-elle.
Elle regrette une chose, que le gouvernement n’ait jamais eu le courage de reconnaître que les masques faisaient défaut. “Au début, on s’est dit qu’on allait coudre 15 jours, trois semaines. Le confinement, on n’avait jamais vécu cela. On pensait que cela ne durerait pas si longtemps”.
À Besançon, la ville a fini par passer commande de masques en tissu à ce groupe de couturières pour les rémunérer. Un soutien apprécié. Aujourd’hui, le bruit des machines à coudre s’est tu. Les couturières cousent encore quelques masques, de temps en temps, pour des proches. “J’ai un peu une overdose” lance en riant Viviane Millerand. Elle espère ne pas avoir à ressortir les patrons de masques, cet automne, en cas de deuxième vague.
L’épidémie de coronavirus aura eu le mérite de mettre en lumière les couturières. “Les costumières de spectacles, les brodeuses, des artisanes ont cousu ces masques. Il y a eu des pros, des amateurs” se souvient-elle. Trois mois après, les héros de la machine à coudre seront-ils vite oubliés ? Elle ose croire que non.
“Il y a des gens qui se sont rendus compte qu’il y avait plein de couturières, peut-être que ça tournera le regard vers ces gens-là”
À Besançon, une cagnotte a été ouverte pour récompenser les couturières solidaires du travail réalisé pendant l’épidémie. Elle reste ouverte. 1500 euros ont déjà été récoltés.
Voir tous les portraits de couturiers et couturières de Besançon signée JC Polien
► sur le site internet du photographe JC Polien ou sur cette page Facebook.