Yves Ravey vient de publier "Adultère" aux éditions de Minuit. Avec ce 17e roman, l’écrivain du Doubs poursuit son œuvre cohérente et exigeante. Rencontre autour d’un abécédaire : 26 lettres-26 mots puisés dans ses romans pour tenter de saisir sa marque de fabrique littéraire.
Lire un roman ou assister à une pièce de théâtre d’Yves Ravey, c’est l’assurance de ne pas perdre son temps. Avec cet auteur, chaque minute est utile, chaque mot donne à voir. Une écriture réputée pour être concise.
@EdeMinuit Nouvelle critique sur Adultère de Yves Ravey sur Babelio : "Ma première lecture d'un livre de Ravey, certainement pas la dernière. J'ai été subjuguée par cette..." https://t.co/N7t8CBHlo1 via @babelio pic.twitter.com/pckEMr6t5j
— Critiques Babelio (@babelio2) May 28, 2021
En guise de prologue à la rencontre organisée à Besançon par la librairie les Sandales d’Empédocle le vendredi 25 juin, rendez-vous est donné dans un café de Besançon. A l’ombre et au calme. Le jeu de ping-pong peut commencer.
A comme ADULTÈRE
Bien plus qu’un titre, c’est un leit-motiv dans les romans de Yves Ravey. « C’est le lieu de la perturbation familiale. C’est très riche un adultère. Cela ne peut que soulever des histoires. Il n’y a pas pire ». Les histoires que nous racontent Yves Ravey puisent dans nos noirceurs. Dans son dernier roman, un patron de station-service est en faillite, sa femme le trompe doublement.
B comme BUANDERIE
L’après-midi, elle est dans la buanderie, d’abord il y a ce chien qui empeste, qui est énorme, elle dit qu’elle va le tuer, qu’elle va se débarrasser de lui, elle veut qu’il l’emmène derrière la maison.
Les personnages d’Yves Ravey évoluent dans des lieux très précis. C’est une écriture visuelle « C’est un souvenir d’enfance. Aujourd’hui, que dirait-on ? Dressing ? C’est le lieu où l’on lave son linge en famille ! C’est aussi l’image de ma mère qui s’activait. Quand j’avais 7 ans, elle n’avait pas de machine à laver ». Le souvenir, c’est l’élément déclencheur d’un projet de livre.
C comme monsieur CAROSSA
Carossa, cela sonne bien. Yves Ravey est sensible à la musique des mots. Celui-là, en particulier. C’est le nom qu’il a donné au personnage de son père dans le roman Le drap. Un texte largement autobiographique adapté en pièce, en 2011, pour la Comédie Française au théâtre du Vieux Colombier. Le rôle de Carossa est interprété par un autre franc-comtois célèbre : Hervé Pierre.
Yves Ravey choisit les noms de ses personnages avec soin. Monsieur Carossa revient à plusieurs reprises dans les romans. Contrairement aux apparences, Carossa c’est un nom du poète allemand Hans Carossa. « J’ai le souvenir de ce nom pendant mes cours d’allemand. Il m’a toujours plu ce nom. Cela me ramène à la culture allemande. Ma mère était autrichienne. Cela a beaucoup de sens pour moi. »
En juin 2014, Yves Ravey se rend à Vienne en Autriche. Son œuvre est au centre du colloque international « Yves Ravey, une écriture de l’exigence ». L’écrivain le mentionne dans le dernier exemplaire de Décapage. Le Bisontin fait la une de cette revue littéraire. À la demande de son rédacteur en chef, Jean-Baptiste Gendarme, Yves Ravey « se prête au jeu de l’autoportrait et explore ses archives, sa bibliothèque, évoque son rapport à l’écriture et parle de son métier »
D comme DETTE
« Dès qu’il y a un enjeu d’argent, cela fait faire n’importe quoi. C’est l’essence même du roman ». C’est le cas dans Adultère mais aussi dans Enlèvement avec rançon.
Ensuite, il a noué une écharpe devant ses yeux. Elle s’est plainte. Cela lui faisait mal. Mon frère a dénoué l’écharpe, il a sorti son Desert Eagle, histoire de lui montrer qu’il n’avait pas l’intention de plaisanter, il a réajusté l’écharpe et ils m’ont précédé le long du corridor
E comme ÉTAT D’ÂME
Les héros de Yves Ravey sont sans état d’âme. Totalement immoraux. C’est comme ça.
Sous mes pieds, ce tas de cendres. L’enquêtrice ne me quittait pas du regard. Elle étudiait ma réaction, je le savais.
F comme FUSIL
Les histoires de Yves Ravey frôlent le genre du roman policier. « Le fusil, c’est radical » admet Yves Ravey. Meurtre, viol, vol, incendie volontaire … Ne nous arrêtons pas au récit. C’est ce que souligne la journaliste du Monde Raphaëlle Leyris dans la page qu’elle a consacrée à Yves Ravey début juin.
Pour peu que l’on tende l’oreille, on entend le fracas du monde en arrière-fond de ses livres. Dans Enlèvement avec rançon (2010), il était question de l’Afghanistan ; dans Bambi Bar (2008), de la guerre des Balkans… Dans Trois jours chez ma tante (2017), de l’Occupation, durant laquelle la tante du titre avait été victime de délation.
Peut-être ne connaissez-vous pas Yves Ravey et son oeuvre toujours à la lisière de la parodie et du polar. Elle mérite sacrément le détour, voyez-vous. https://t.co/53VwaTZuVq
— Leyris (@RaphaelleLeyris) June 7, 2021
G comme GARAGE
Les personnages de Yves Ravey travaillent de leurs mains. Ils sont garagistes, serruriers, imprimeurs, fondeurs. « Je rassemble l’action dans une unité de lieu » précise l’écrivain. Une maison, un quartier, une entreprise. Pour Adultère, il s’agit du garage où le Bisontin était veilleur de nuit dans sa jeunesse.
« Ce garagiste s’inscrit bien dans une histoire actuelle, il synthétise les données de la société d’aujourd’hui. L’arrière-fond éclaire l’écriture mais si c’est trop évident, je le supprime. »
H comme HABITER
Situer l’action, c’est fondamental. « Dès que je pose un élément, il existe. C’est une image concrète. Une fois que j’ai le lieu, l’histoire démarre ». C’est ce qui s’est passé avec l’écriture de Adultère. « Adolescent, j’ai le souvenir de la femme du garagiste où j’étais veilleur de nuit. Elle descendait boire un verre au bar de la station-service en pleine nuit. C’était très romanesque » raconte Yves Ravey.
Laissant le bar derrière moi pour entrer dans la pénombre de l’atelier, j’ai marché parmi les outils en désordre, les gaines de câbles électriques, manquant de glisser sur une flaque d’huile logée dans une crevasse du béton.
I comme IMPRIMERIE
« Mon père a fait faillite. Il avait une serrurerie. Il a travaillé ensuite dans une imprimerie… ». Dans Le drap, un fils raconte la perte de son père. Ouvrier dans une imprimerie, il tombe malade après avoir respiré des vapeurs nocives.
J comme JE
Lire des romans de Yves Ravey, c’est entrer dans la tête du narrateur, toutes les conversations passent par lui. Il nous les raconte sans utiliser les tirets et les guillemets. « C’est fréquent chez les auteurs des Editions de Minuit. Jean Echenoz écrit comme cela aussi » précise Jean-Baptiste Gendarme, rédacteur en chef de la revue Décapage.
Je lui ai répondu que je le savais. Non Lindbergh, tu ne le sais pas. Avec elle, tu découvres certaines choses que tu ne trouves pas ici. Sache cependant qu’elle aussi, un jour ou l’autre, perdra un peu de sa beauté.
« Je conduis l’histoire, développe l’écrivain. C’est moi qui impose le rythme, je suis maître des images ». A la relecture, Yves Ravey s’impose un règle. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté. Le lecteur doit savoir qui prend la parole.
K comme KAFKA
Cette lettre est une entorse à notre jeu littéraire. Je n’ai pas trouvé de mot significatif commençant par K dans les romans de Yves Ravey. Pour l’écrivain, c’est facile, K c’est Kafka. « C’est ma référence littéraire. Je suis encouragé par Kakfka".
L comme LINDBERGH
Lindbergh, c’est l’alter ego de Ravey. Un personnage des romans Le Drap ou Pris au piège. « C’est aérien, Lindbergh, remarque Yves Ravey. Cela oxygène, c’est un antidote. Il peut irradier comme un cas-contact. » Bien sûr, il y a la référence à la famille d’aviateurs.
M comme MÉDUSÉE
Rares sont les adjectifs dans les phrases d’Yves Ravey. « C’est pour cela que l’on dit qu’il n’y a pas de psychologie dans mes livres » explique le Bisontin.
Ma mère, médusée, est d’abord restée sans voix. Puis, elle s’est ressaisie, elle a demandé si elle pourrait parler à Paul.
« Pour moi, le mot doit se suffire à lui-même dans le contexte. Pas besoin d’adjectif. Cela rend plus diffus le mot auquel il se rapporte. »
« Médusée » est une exception qui confirme la règle.
N comme NUQUE
Yves Ravey répond du tac au tac. « C’est une partie de l’anatomie fascinante. C’est de dos, c’est un lieu de vulnérabilité. Si vous vous faites piéger, c’est dans le dos ». On n’est jamais vraiment tranquille dans les histoires d’Yves Ravey.
O comme ONCLE
Attendri, Yves Ravey confie : « Mes oncles sont mes références. J’ai perdu mon père à l’adolescence. Il n’était pas très présent. Ce sont les frères de ma mère. J’allais les voir en Autriche. C’est une seconde éducation. Ils sont devenus des personnages romanesques ».
P comme PROBLÈME
Ce mot, c’est la base du vocabulaire de l’auteur ! Chez Ravey, le narrateur a des problèmes. A longueur de pages, le lecteur se dit non, il ne va pas le faire.. et si ! L’entourloupe, n’est jamais loin.
J’ai un problème, ai-je indiqué, c’est à cause de ce satané raccourci, le long de la rivière. Mon pick-up est sur le chemin de terre, au bord des maïs, tu vois. Je suis resté embourbé. Pas moyen de le dégager. J’aurais besoin que tu me donnes un coup de main
« C’est l’art de rater les situations, s’amuse l’écrivain. On ne sait jamais comment le narrateur va procéder pour se « suicider ». C’est avec cela que l’on fabrique des histoires. Si tout va bien, il n’y a rien à dire ! »
Q comme BQQ
La lettre Q nous a fait réfléchir. Rien ne venait à nos esprits. Yves Ravey l’a finalement associée au son anglophone. Dans son dernier roman, il y a une scène de barbecue. Mémorable.
J’ai activé les braises du barbecue, déposé de nouvelles pièces de viande, et Remedios est venue nouer un tablier autour de ma taille, à quoi s’est ajoutée une bise rapide dans le creux de mon oreille
« Tout est mis en place, il sait où il va ». Des relations familiales bancales. « Ce n’est pas rare que tout soit faux dans les familles » remarque l’auteur.
R comme R8 GORDINI
C’est précis. Il suffit d’un détail pour installer une scène, décrire un personnage.
La R8 Gordini surbaissée de Saul stationnait dans la cour centrale de l’Institut. Sa carrosserie bleue à double bande blanche brillait au soleil. J’ai pris place dans le siège baquet en skaï noir. Saul m’a conseillé d’attacher ma ceinture ventrale
« La R8 Gordini est une voiture mythique, taillée pour les rallyes, m’explique Yves Ravey. Toute une époque est décrite en un mot. »
L’écriture est si visuelle que des cinéastes ont eu envie d’adapter ces romans au cinéma. Sur les sept tentatives de production de films, aucune pour l’instant n’a abouti.
S comme SALOPARD
Il n’y a pas mieux pour qualifier les héros ou anti-héros des romans de Yves Ravey. « Mes narrateurs sont sans foi ni loi. Ceux qui sont en second plan ne sont pas forcément des salauds. C’est la majorité silencieuse. »
T comme TERGAL
Il faut être né dans les années 50-60 pour saisir la puissance évocatrice de ce mot. Qui n’a pas le souvenir de ce vêtement pas toujours confortable ? « Ce sont les costumes des représentants de commerce, c’est le cinéma des années 80, Chabrol, Sautet. Cela qualifie une époque, une certaine médiocrité mais cela peut être aussi émouvant".
U comme …
« Je commence rarement les prénoms par une voyelle… » Passons à la lettre suivante.
V comme VÉLOMOTEUR
Un terme légèrement suranné qui peut exprimer « la dégradation sociale ». Dans Le drap, Monsieur Carossa passe de la voiture au vélomoteur. C’est aussi le moyen de déplacement de Madame Rebernak dans Baume-les-Dames.
W comme WHISKY
Rien n’est anodin. La façon de se servir un verre, de choisir un whisky plutôt qu’une bière…
Enfin, j’ai rejoint Remedios, qui sortait du four la dernière cuisson de gâteaux à pâte feuilletée. Salazare est apparu dans l’encadrement de la porte, une main dans la poche, l’autre maintenant son verre.
Choisir de décrire un personnage par ses gestes et non par les sentiments qu’il éprouve se rattache au mouvement littéraire le « Behaviorisme » ou écriture comportementaliste. « Même écrits à la première personne, sous le forme du "je", les romans d'Yves Ravey (…) ne révèlent les pensées et les sentiments des personnages. Pour Yves Ravey, les personnages sont ce que sont leurs actes. Pas de psychologie ni de descriptions physiques des personnages, pas d'exposition des sentiments ni de morale. Des phrases courtes relatant des actions, des événements, des faits » peut-on lire sur la fiche Wikipédia de l’auteur.
X comme XAVIER WALDEN
C’est un des protagonistes du 17e roman d’Yves Ravey. Question de consonance et d’élégance.
Y comme YVES
Parlons un peu plus personnel. Aujourd’hui, Yves Ravey est à la retraite de son métier de professeur en arts plastiques et français au collège Stendhal de Besançon. « Je n’ai pas fait carrière dans l’Education Nationale » souligne l’écrivain. «Mon œuvre se confond avec moi. C’est ma vie. Il faut beaucoup travaillé. Cela a conditionné mes choix de vie ». Et finalement, cette petite phrase qui donne un sens à toute une œuvre : « Je ne peux pas écrire si je n’ai pas vécu affectivement une expérience. Je travaille sur un souvenir. Comme celui de mon travail de nuit à la station-service. »
Z comme ….
Rien n’est venu. De toute façon, l'heure tourne, il était temps de se quitter.
De A à Z, ces 26 mots donnent des clés pour se plonger dans l’œuvre d’Yves Ravey. Des romans courts, à l’ambiance proche de ceux de Simenon, écrits ciselés. Cinq de ses livres viennent d’être traduits en Chine et au Japon. D’autres l’ont été au Etats-Unis, au Danemark, en Grèce ou en Allemagne. Publiée aux Editions de Minuit aux côtés des prix Nobel de littérature Samuel Beckett et Claude Simon, l’œuvre de Yves Ravey n’a pas encore conquis le grand public. « C’est un auteur pour écrivain » explique Jean-Baptiste Gendarme, rédacteur en chef de la revue Décapage. Sans doute le plus beau compliment que l’on puisse faire à un écrivain.
Dans le dernier Décapage, on vous propose une après-midi dans le bureau d’Yves Ravey. Et vous pouvez même le découvrir depuis une terrasse... pic.twitter.com/QTCUuqUDVb
— Jean-Baptiste Gendarme (@jbgendarme) May 19, 2021
Le journaliste littéraire animera vendredi 25 juin de 18h30 à 20h une soirée autour de l’œuvre de Yves Ravey et en sa présence au musée des Beaux-Arts de Besançon. Une rencontre organisée par la librairie les Sandales d’Empédocle et le musée des Beaux-Arts de Besançon (nombre limité de places, réservation obligatoire au 03 81 82 00 88.)