Le 9 juin 2024, les Français sont appelés aux urnes pour les élections européennes. Un vote qui intervient dans un contexte d'inflation et de perte de pouvoir d'achat des électeurs depuis 2020. Vincent Lebrou, professeur en sciences politiques, nous éclaire sur les liens entre revenus et vote.
C'est loin d'être un secret. En sciences politiques, domaine qui étudie notamment les élections et leurs mécanismes, le niveau de vie et les revenus des électeurs font partie des facteurs explicatifs du vote. Alors que les prochaines élections européennes, le 9 juin, se dérouleront dans un contexte où l'inflation ne cesse de grignoter le pouvoir d'achat des Français, Vincent Lebrou, maître de conférences en sciences politiques à l'Université de Franche-Comté, décrypte ces liens.
"Un élément d'éclairage"
Devant une carte des résultats d'une élection, les spécialistes en sciences politiques ne voient pas des aplats de couleurs, mais des tendances, dont les facteurs explicatifs sont à analyser. Vincent Lebrou l'explique clairement : "le niveau de revenu, de même que l'âge, le niveau de diplôme, le contexte familial, géographique et social sont des facteurs", "ils apportent un élément d'éclairage sur ce que vous allez voter".
Première tendance : "plus on gagne bien sa vie, plus il y a une probabilité qu'on aille voter" décrit le maître de conférences. Outre le niveau de salaire, sa "stabilité" joue un rôle sur la fréquentation des urnes. Et pour ceux qui vont voter à une élection, leur appartenance à un groupe social ou à un autre a des chances d'avoir une influence sur leur choix.
"On sait que les personnes qui appartiennent plutôt au pôle économique de l'espace social, qui travaillent dans le privé et ont des salaires confortables, commence Vincent Lebrou, ou par exemple les chefs d'entreprise, vont plutôt orienter leur vote vers la droite de l’échiquier". Alors que "si on a un revenu moins stabilisé, moins important, notamment dans les métiers de la culture ou de type enseignant, on a plus de chances de voter à gauche".
Vote conservateur à la frontière
Des tendances que l'on retrouve sur les cartes des résultats des élections et des niveaux de vie en Franche-Comté : "dans la zone frontalière, c'est assez frappant de voir que le niveau de revenus est quand même très élevé, et très souvent, ça va donner lieu à un vote plutôt conservateur, plutôt à droite, ou macroniste ces dernières années".
Et d'ailleurs, "dans les villes", en particulier les centres-villes, précise le professeur, "on va avoir plus de chances de trouver des gens qui votent à gauche". "À Besançon, dans le centre un peu plus populaire un peu plus jeune, on vote plutôt à gauche alors que dès qu'on se déporte vers les quartiers plus bourgeois, le vote à droite va revenir."
Dans les villes ou à la campagne
À l'inverse, lorsque les revenus des électeurs sont plus modestes, "on note deux tendances" détaille Vincent Lebrou : "dans les villes, les quartiers populaires vont voter à gauche, alors que dans les zones rurales, on va voter plutôt Rassemblement national". Là encore, la carte des la dernière élection présidentielle en Franche-Comté illustre plutôt bien le phénomène.
Comment expliquer cette différence ? Dans les campagnes, plusieurs facteurs se conjuguent : "une absence très forte de la gauche, une forme de délitement des instances de sociabilités liées au travail" énumère le maître de conférences, "dans un contexte de déclassement". Dans ces secteurs, la "smicardisation", ce phénomène de rattrapage d'une partie des salaires par le SMIC, peut jouer un rôle : "cette question, globalement, elle renvoie à un sentiment de déclassement de la population, qui va éprouver une forme de ressentiment".
Le professeur en sciences politiques note que ces tendances n'épargneront probablement pas le scrutin français des européennes : "ce sont ce qu'on appelle des élections de second ordre, qui mobilisent assez peu, qui sont plutôt des moments où on va essayer de sanctionner le gouvernement en place".
Infographies : Matti Faye, France 3