Le Groupe d’Étude de l’Environnement et du Climat (GEEC) de Besançon vient de rendre son rapport concernant la construction de l'écoquartier des Vaîtes à Besançon. Découvrez les conclusions et le rapport complet dans cet article.
Le projet urbain de quartier des Vaîtes, épineux projet à Besançon depuis plusieurs années et sujet central de la campagne municipale 2020, va-t'il aboutir ? C’est la question que beaucoup d’observateurs de la politique locale se posent encore aujourd’hui. Ce vendredi 12 mars, la municipalité de Besançon rendait public le rapport du GEEC local, groupe d'experts pour l'environnement et le climat (découvrir le rapport complet plus bas dans cet article).
Le document de 78 pages définit tout d’abord ce qu’est le projet d’éco-quartier des Vaîtes. Depuis 2007, le projet d’aménagement du secteur des Vaîtes est identifié comme "un enjeu majeur de recomposition urbaine". Ce projet d’aménagement d’un territoire « partiellement urbanisé », marqué historiquement par le maraîchage, doit permettre la création de 1 150 logements « en petits collectifs , dont 20 % de locatif social et 15 % de logements à prix abordables » sur un terrain de 23 hectares, comprenant différents espaces : un espace pour les logements, des jardins dits « pédagogiques » et un espace naturel pour se promener avec la colline de Bicquey. Le rapport précise que « l’objectif serait d’approcher les 40 % d’énergie renouvelable » sur cet écoquartier.
Ce dernier a été élaboré par le GEEC à partir de données qui lui ont été transmises par la mairie de Besançon ou par le milieu associatif. « Dans un souci de stricte d’indépendance, les experts ont accepté tout document qui leur était transmis et qui pouvait être utile à leur travail d’évaluation mais, se gardant de jouer un rôle d’arbitrage, ils n’ont auditionné aucune des parties prenantes dans le projet d’écoquartier des Vaîtes, qu’elles soient politiques, associatives ou privée » explique la municipalité.
Des élements critiques forts
« Ce rapport va dans le sens de beaucoup plus de prise en considération d'un certain nombre d'éléments dont la question de l'écologie, et le rapport homme nature. Cela repositionne des éléments du projet. Il le réduit de façon considérable. Oui, il y a des éléments critiques forts » nous a confié Anne Vignot, maire de Besançon, à la suite de la présentation du rapport ce vendredi 12 mars.
Cette dernière annonce vouloir mettre en place "des conférences citoyennes" afin de récolter des avis supplémentaires, notamment en revenant sur les diverses propositions des candidats aux municipales 2020.
"Il y a sur ce dossier une volonté de notre part de mettre sur le table, le plus possible et en toute transparence, les questions qu'on doit se poser avant tout aménagement" ajoute Anne Vignot.
Ce que disent les scientifiques
► Des documents et une cartographie manquant de clarté
« Les documents mis à notre disposition comportent une importante documentation cartographique peu harmonisée, parfois difficile à lire ou interpréter, ce qui rend compliqué la perception des intentions d’aménagement et l’évaluation de leurs impacts potentiels sur l’état initial et l’environnement du site » écrivent les membres du GEEC en premier lieu, constatant que le projet a évolué au fil des années mais que deux types d’espace demeurent constants : la zone devant accueillir les logements et une bande verte à vocations multiples.
Les scientifiques précisent qu’un certain nombre de travaux d’aménagement ont déjà été réalisés. Ces derniers permettent de fixer la géométrie du projet mais il reste « difficile de reconnaître les parties des espaces qui vont être maintenus et évités » poursuit le GEEC, confirmant l’analyse du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), et préconisant que soit établie une cartographie compréhensible de l’état initial du site et des changements d’usages liés au projet.
► Rappels historique et juridique
Le GEEC revient sur l’origine du projet d’écoquartier, « l’une des priorités de la Ville de Besançon, depuis de nombreuses années » et rappelle que plusieurs études environnementales, géologiques et hydrogéologiques ont été réalisées sur le site entre 2008 et 2020. Depuis 2005, l’opposition à ce projet existe avec L’association ˝Les Vaîtes˝, créée en juillet 2005, puis une occupation de Nuit Debout en 2016, suivi de la création de l’association « Les Jardins des Vaîtes » en 2018. Le 17 juin 2020, le site a été occupé par Extinction Rébellion et ANV COP21, rejoint par des sympathisants de l’occupation. À ce jour, bien qu’inoccupée durant l’hiver, la « Zone à défendre » est toujours en place.
LE RAPPORT COMPLET DU GEEC ↓
DOCUMENT. Ecoquartier des Vaites à Besançon : le rapport complet du GEEC local
Les experts reviennent en détails sur leur méthodologie. Ils précisent : « Comme stipulé lors de la création du groupe, il n’y a eu aucun contact direct entre Mme la Maire ou les membres de la municipalité entre une réunion en Mairie le 7 septembre et le dépôt de ce rapport, à l’exception d’un contact téléphonique entre Mme la Maire et M. H. Richard pour expliquer la démarche jusqu’au Conseil du 28 janvier. »
Le GEEC revient également en longueur sur le contexte juridique entourant ce projet. « Ce qui est intéressant, et plutôt favorable à la faisabilité à terme du projet des Vaîtes, est que le Conseil d’État, saisi de cette première décision du juge des référés, a annulé cette première ordonnance de suspension du 6 mai 2019 (code de l’environnement, 3 juillet 2020, n°430585, n°432446). Il semble donc acquis que le projet peut bénéficier du qualificatif de raison impérative d’intérêt public majeur qui ouvre la voie à la dérogation » écrivent les scientifiques, précisant dans le même temps que « le Conseil d’État découvre un autre motif de suspension, à savoir l’absence de démonstration qu’une solution alternative n’était pas envisageable ».
Il importe d’abord de rappeler qu’il ne s’agit que d’une décision de suspension, indiquant qu’il y a un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté préfectoral, mais pas une certitude d’illégalité. Seule la décision prise dans le cadre du recours en annulation (celui que l’on nomme le recours principal) mettra fin au projet en l’état ou, au contraire, validera le projet, concluant, en définitive, à l’impossibilité de solutions alternatives. Au moment de la rédaction de ce rapport, aucune date de clôture d’instruction n’a été fixée concernant le recours principal contre la décision préfectorale de dérogation.
► L’analyse des arguments des deux parties
Les arguments des deux parties opposées sont les suivants :
- côté porteur, sur la nécessité impérative (raisons impératives d’intérêt public majeur), d’une part, de limiter l’étalement urbain consommateur de terre agricole et, d’autre part, de pourvoir au besoin de logements lié à l’augmentation du nombre de ménages résultant de la diminution de leur taille. Ce besoin est estimé à 500 logements par an et le porteur avance qu’il n’y a pas d’alternative satisfaisante au projet pour y répondre.
- côté opposants, la contestation s’appuie sur, d’une part, l’impact environnemental négatif de l’aménagement avec une altération des habitats naturels et, d’autre part, la remise en cause du besoin en logements exprimé précédemment du fait d’un dynamisme démographique jugé faible et d’une vacance importante des logements au sein de la commune de Besançon. La préservation ou le développement d’une activité agricole permettant l’approvisionnement en circuit court (maraîchage ou autre) et l’entretien du paysage ne sont pas clairement mis en avant.
« Les éléments factuels sur lesquels s’appuient les arguments des deux parties (pour et contre le projet) sont recevables » tranche le GEEC.
► L’adaptation du projet au changement climatique
« Les aménagements du territoire doivent dès maintenant prendre en compte ces nouvelles conditions climatiques attendues » précisent les chercheurs. Les résultats des études du GEEC « soulignent l’intérêt d’un maintien et du développement des zones végétalisées (arborées) en milieu urbain dans la perspective de canicules plus intenses et plus fréquentes induites par le réchauffement climatique en cours ».
De plus, les scientifiques abordent la question de la vulnérabilité aux inondations d’origine pluviale du secteur Vaîtes. « Les conditions géologiques et topographiques du site sont a priori favorables à la concentration des eaux de ruissellement et défavorables à leur infiltration vers le sous-sol » précisent-ils, concernant la Gestion des eaux superficielles et des eaux pluviales.
Si le projet urbain des Vaîtes devait être maintenu, d’autres mesures d’adaptation aux fortes chaleurs devraient être mises à l’étude, notamment le choix de matériaux de construction à fort pouvoir réfléchissant du rayonnement solaire (albédo fort) sur les toits et les murs, ainsi qu’une très bonne isolation pour limiter au maximum l’usage de la climatisation.
► La faune, la flore et l’intégration paysagère
Seon le GEEC, l'impact des travaux des Vaîtes sur la faune et la flore n'est pas suffisemment clair dans ce projet. « Les mesures spécifiques d’évitement et de réduction, voire de compensation (mesures dites ERC) de l’impact des travaux et des aménagements ne sont pas suffisamment explicites dans le projet » précise le rapport, tout en délivrant des préconisations concernant la préservation de la faune et la flore sur l’écoquartier des Vaîtes.
Les travaux nécessaires pour restructurer et réorganiser ce quartier auront pour conséquence une transformation profonde du mode d’usage des sols, qui vont conduire à la destruction des sols, des repères et éléments paysagers qui font l’identité de ce quartier. Enfin, on peut s’étonner que la mise en valeur des espaces existants ne concerne que la zone humide qui est, au final très récente (voir plus haut).
Des études à lancer et une concertation avec les habitants indispensable
Les experts préconisent le lancement de plusieurs études de la part de la municipalité, avant d’envisager de réaliser ou non le projet. « Si le projet devait être maintenu, une étude de densité portant sur l’ensemble de l’agglomération et intégrant la reconversion urbaine, la division parcellaire et la surélévation, devrait être faite » détaillent-ils.
Les mesures spécifiques d’évitement et de réduction, voire de compensation (dites ERC) de l’impact des travaux et des aménagements ne sont pas suffisamment explicites dans le projet.
Pour le GEEC, ce projet doit impérativement se faire en concertation avec les habitants. C’est indispensable.
« Cette démarche concertée et participative attentive aux attentes et au bien-être des habitants, des jeunes et des riverains devrait être rapidement engagée » écrit-il. Selon ce groupe d'experts, le coût des aménagements permettant de redonner aux sols sur lesquels sont construits des bâtiments sont trop importants et « dépassent largement le prix moyen des terrains constructibles, d’où l’intérêt de ne pas dénaturer et imperméabiliser les réserves foncières agricoles et naturelles existantes. »
► Le GEEC local
« Le GEEC est composé de spécialistes des sciences de la nature et de l’environnement, de la géologie au climat en passant par la flore, la faune et la biodiversité urbaine, et abordant également les problèmes liés à la pollution et à la santé humaine. Les sciences humaines et sociales sont très largement présentes, intégrant des géographes spécialistes de dynamiques des populations entre milieux urbains, périurbains et ruraux jusqu’aux sociologues travaillant sur la sociologie de l’environnement et des risques, les mobilités, l’anthropisation du territoire, le développement durable et les liens sociaux en ville, ainsi qu’un collègue spécialiste de droit de l’urbanisme » précise le rapport.
Qui sont les membres du GEEC local ?
Vincent Bichet, Maître de conférences, géologie-hydrogéologie, Besançon ;
Nadège Blond - Chargée de recherche, sciences atmosphériques, Strasbourg ;
François Dehondt - Naturaliste professionnel, botanique, entomologie, batrachologie, herpétologie, ornithologie, mammalogie (chiroptères), Châlons-en-Champagne ;
Agnès Fougeron - Conservateur du Patrimoine scientifique, technique et naturel, biodiversité urbaine, nature en ville et participation des habitants, patrimoine naturel, Dijon ;
Mohamed Hilal - Chercheur, géographie, dynamiques territoriales de populations et d’activités, Dijon ;
Philippe Juen - Maître de conférences HDR, droit de l’urbanisme, Dijon ;
Michel Magny - Directeur de recherche émérite, paléoclimatologie, interactions hommes/milieux, Besançon ;
Frédéric Mauny - Professeur-praticien hospitalier, médecin de santé public, épidémiologie, Besançon ;
Sophie Némoz - Maître de conférences, sociologie de l’environnement et des risques, habitat, mobilités, milieux urbains, périurbains et ruraux, Besançon ;
Amélie Quiquerez - Maître de conférences, géomorphologie, anthropisation du territoire, géoarchéologie, Dijon ;
Hervé Richard - Directeur de recherche émérite, paléoécologie, Besançon ;
Josiane Stoessel - Professeure, développement durable et lien social, sociologie des communs, transaction sociale, Mulhouse.