Le procès d'une partie du clan de “La Tour de Fribourg”, l’une des bandes rivales engagées dans le trafic de drogue à Besançon s'est poursuivi ce mercredi 14 juin. Le procureur de la République a fait ses réquisitions. Détails.
"Ces absences de la plupart des victimes sont très éclairantes et signent ce modèle de contre société qu’ont développé ces trafiquants" débute Étienne Manteaux, procureur de la République de Besançon, lors de son réquisitoire.
Les sept prévenus écoutent attentivement la démonstration. Le procureur reprend point par point les faits détaillés depuis le début. "Deux clans qui cherchent sans cesse à augmenter leurs parts de marché, et cela, sans avoir peur de recourir à la violence. Ce postulat bascule dans une spirale de violence exacerbée par l’incarcération du chef le plus charismatique du clan "de la Tour" (Omar, ndlr). Les frères A. vont recruter, contre 80 000 euros, des délinquants parisiens pour les aider à se défendre contre le "clan Picardie"" explique Étienne Manteaux, avant d'entrer dans la longue énumération des épisodes de tirs, des victimes et de leurs blessures.
Je ne suis pas en capacité de démontrer qui a tiré exactement mais je démontrerai que ces faits s’inscrivent dans une double association de malfaiteurs.
Étienne Manteaux, procureur de la République de Besançon
Cagoules, gilets pare-balles avec l'inscription Police, scooter T-max, course poursuite, fusil à pompes, kalachnikov, coups de feu à toute heure de la journée et balle qui traverse même la chambre d'un enfant... Les dealers ne reculent devant rien. "Ils n'ont aucun code social", insiste Étienne Manteaux."Tout ce qu'ils font au quotidien est illégal. Mais cela n’a pas d’importance, car la seule loi est celle du clan."
Jusqu'à 400 000€ de revenus par mois
Parmi les victimes des tirs, on retrouve des jeunes totalement étrangers au trafic, comme ceux entendus par la cour la veille. Il y a aussi des "charbonneurs", ces jeunes mineurs responsables de la vente de la drogue sur les différents points de deal de la ville. "À 13 ans, ce gamin subit 3 mois d'ITT et il ne marchera plus jamais comme avant" rappelle le procureur, au sujet de l'une des victimes.
L'assassinat d’Houcine Hakkar le 8 mars 2020, alors qu'il est étranger aux trafics, est imputé par le parquet au clan Picardie, “mais cela répond à tout ce qu’il y a eu avant. Les prévenus ont donc une responsabilité” selon Étienne Manteaux. Le procureur rappelle ensuite les informations obtenues par les enquêteurs grâce à la sonorisation de la cellule de prison d'Omar A., l'un des deux chefs du clan. "Il dit qu'il peut se fournir au Brésil. Il dit que le business appartient à lui et son frère." Omar A., l'aîné des deux frères âgé de 27 ans, parle aussi de l'argent que lui rapportent les trafics, il parle de la montre Rolex qu'il veut acheter et du fait qu'il peut continuer à acheter de la drogue même en prison, car il a de bons "dévoueurs" dehors. Son trafic peut lui rapporter jusqu'à 400 000€ par mois.
"Une maîtrise de la logistique, une surface financière et tout un réseau à sa main" dit le procureur, sans manquer de remarquer un sourire sur le visage d'Omar A. "Youssouf A. est de loin le plus intelligent. Le plus réfléchi des deux. Dommage qu'il ait mis son intelligence au service de tels faits" continue Étienne Manteaux, détaillant pour chacun des 7 prévenus leurs potentiels rôles dans le clan "de La Tour" : "chefs", "lieutenant", "logisticien", "tireur en chef", "fournisseur d'armes"...
Des peines allant de 5 à 15 ans de prison requises
Le procureur requiert, après 2h de démonstration : 15 ans d'emprisonnement et 10 ans d'interdiction de séjour en Franche-Comté pour Omar A. en raison d'une récidive ; 10 années d'emprisonnement et 10 ans d'interdiction de séjour en Franche-Comté pour son frère Youssouf A. ; 12 ans d'emprisonnement, et 10 années d'interdiction de séjour pour le "lieutenant" (en récidive) ; 8 années d'emprisonnement assorties d'un mandat de dépôt et 8 ans d'interdiction de séjour pour "le logisticien" ; 11 ans d'emprisonnement, ainsi qu'une interdiction de séjour pour "le tireur en chef" (en récidive) ; 7 années d'emprisonnement et 8 années d'interdiction de séjour dans notre région pour "le fournisseur d'armes". Pour finir, le procureur requiert pour le 7e prévenu, non présent à son procès, une peine de 5 années d'emprisonnement assorties d'un mandat d'arrêt.
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Le sérieux de l’enquête pointé du doigt par les avocats de la défense
Après les réquisitions du procureur, les différents avocats des prévenus plaident chacun leur tour. Ils dénoncent la sévérité des réquisitions d'Étienne Manteaux. "Aucune des 28 personnes mises en examen du clan "de La Tour" n'a cité le nom de mon client. Sur les communications téléphoniques, il y a des noms qui sortent. Il n'y a aucune référence à mon client" déclare Me Spatafora, remettant en question les analyses du procureur Étienne Manteaux concernant son client qu’il a qualifié de "fournisseur d'armes". “Dans l’ordonnance de renvoi, tout est faux, insiste-t-elle en demandant la relaxe de son client. Qu’est-ce que c’est que cette conclusion ? Soyons sérieux. On demande 7 ans d’emprisonnement ? C’est énorme, arrêtons !”
Me Noblet, l’avocat de celui qui est soupçonné d’être le “logisticien”, pointe lui aussi du doigt les "approximations" de l’enquête et tente de démontrer que son client n'est pas l'un des "gros bonnets" du clan "de La Tour" et qu'il n'y a pas de preuve de sa participation à un trafic de stupéfiants. "Vous n'avez aucun élément matériel concret reliant mon client aux faits qui lui sont reprochés", conclut-il, demandant lui aussi la relaxe concernant l'association de malfaiteurs et le trafic de drogue.
Rendre la justice ce n'est pas prononcer des peines exceptionnelles pour faire plaisir à l'opinion publique.
Me Bresson, avocate de la défense
"On vous donne des éléments qu'on essaie de coller à des témoignages anonymes. On vous les donne en pâture" défend Me Bresson, avocate de celui qui est présenté comme "le porteur de flingues" venu de Paris. Tour à tour, durant toute l'après-midi, les conseils des prévenus apportent des éléments pour contrer les arguments du ministère public.
Le jugement doit être rendu ce jeudi 16 juin, après les plaidoiries des avocats d'Omar et Youssouf A., soupçonnés d'être les chefs de l'une des deux bandes organisant le trafic de drogue à Besançon.