"Il faut en parler" : une greffe pour survivre, le choix du don d'organes pour sauver

Pour la journée mondiale du don d'organes et de la greffe, ce mardi 17 octobre, retour sur une pénurie qui cause chaque année plusieurs milliers de morts. Deux doubiens transplantés cardiaques appellent tout un chacun à se positionner sur leur volonté, ou non, d'être donneur d'organes.

“Ce nouveau cœur, c’est le cadeau que la vie m’a fait et ça m'oblige à en prendre le plus grand soin. Ce n’était pas facile à accepter mais maintenant je peux dire que j’ai vécu plus longtemps avec mon cœur de greffe qu’avec le vrai”, confie Gilles Magnin-Feysot, qui a bénéficié d’une transplantation cardiaque il y a 26 ans, le 2 octobre 1997. Une date à laquelle il accorde plus d’ampleur que celle de sa naissance : “Mon anniversaire de greffe est plus important, je le fête chaque année”, indique ce Doubiste de 49 ans.

C’est à la naissance que les médecins lui décèlent un souffle au cœur, qui s’avère finalement être une cardiomyopathie congénitale diagnostiquée à 22 ans. Il s’agit d’une maladie qui réduit la capacité de cet organe à pomper le sang vers le reste du corps. Avec pour principal risque une insuffisance cardiaque. Gilles Mangin-Feysot, lui, se sentait de plus en plus fatigué et essoufflé, l'obligeant, à 18 ans, à arrêter les compétitions de vélo. 

Un nouveau coeur à 23 ans

Seule solution : être transplanté. “Du haut de mes 23 ans, je me disais que c’était impossible, je ne voulais pas en entendre parler", se souvient-il, impressionné qu’il était par l’acte chirurgicale, mais également “inconfortable” avec l’idée “d’avoir le droit de vivre quand quelqu’un meurt quelque part en France.” Parmi toutes les questions qu’il se posait, il se rappelle même s’être demandé si Lady Diana, décédée la même année, pourrait être candidate au don. “C’est difficile de penser à ce genre de choses à cet âge”, estime Gilles.

 Accompagné par le corps médical, il finit par se faire à l’idée, d’autant que son état se dégrade. Après deux greffons potentiels qui ne répondent pas aux critères, il est hospitalisé au CHU de Nancy. Sept mois après avoir été inscrit sur la liste nationale d’attente de greffe, il est opéré. 

"C’est devenu une évidence. J’ai accepté de vivre avec ce cœur qui n’est pas le mien mais que je considère comme tel aujourd'hui. J’ai eu une bonne étoile."

Gilles Mangin-Feysot, transplanté il y a 26 ans.

En 2022, 5.494 greffes, dont 533 à partir de donneurs vivants, ont été réalisées à l’échelle nationale, soit une hausse de 4% par rapport à 2021, selon les chiffres de l’agence de biomédecine, placée sous la tutelle du ministère de la Santé. Au CHU de Besançon, Élise Mougin, infirmière de coordination hospitalière pour le prélèvement d’organes et de tissus, comptabilise en 2022 38 donneurs prélevés sur les 81 potentiels et depuis le début d’année 2023, 35 sur 72, avec en majorité le rein, à 60%, puis le foie, la cornée, le cœur, les poumons et le pancréas. 

5.494 greffes pour 20.000 personnes en liste d’attente


Des chiffres largement insuffisants par rapport au nombre d’inscrits sur la liste d’attente de greffe, qui atteint 20.000 personnes au total. Au 1er janvier 2023, 10.810 patients étaient inscrits sur la liste d’attente active, c’est-à-dire immédiatement éligibles à une greffe. C’est l’Agence de biomédecine qui établit le degré de priorité sur la liste, via un algorithme qui classe les patients selon des facteurs biologiques, l’urgence, la compatibilité des organes et la morphologie, avec des groupes de travail qui réévaluent la pertinence des critères. 

Romain Vermot-Desroches, originaire de Fournets-Luisans dans le Doubs, atteint d’une cardiomyopathie dilatée et opéré d’une transplantation cardiaque il y a deux mois, à l’âge de 20 ans, revient sur le processus qu’il a suivi : une batterie d’examen pré-greffe pour connaître d’éventuelles contre-indications, puis l’inscription sur la liste un an après. “Je risquais une mort subite. Au vu de mon âge, j’étais dans les prioritaires. Je pouvais être appelé jour et nuit, j’avais toujours mon téléphone en sonnerie, c’était assez stressant”, raconte cet apprenti dans la vente, encore en convalescence. 

Vivre avec une épée de Damoclès 

Après deux opérations impossibles à cause de la grippe et d’un vaccin, le troisième appel a finalement été le bon pour Romain, quatre mois après son inscription. Les délais, une fois inscrit sur la liste d’attente, varient en effet de quelques mois à plusieurs années. Voire jamais... En 2021, il y a eu 1.500 greffes du foie pour 1.000 décès de personnes en liste d’attente, faute de greffe, pour 700 nouveaux inscrits sur celle-ci. “Plus il y a de malades inscrits, plus il y a de morts en liste d’attente”, assène le professeur Georges Mantion, ancien directeur du pôle de transplantations hépatiques du CHU de Besançon pendant 30 ans.

En cause ? La pénurie d’organes prélevés, qui s’explique par des critères médicaux exigeants car nécessaires, mais surtout par un taux de refus de don de 33% en 2022, chiffre stable depuis 2020. Selon la loi, chacun est présumé donneur, sauf en cas de refus exprimé de son vivant, soit aux proches, soit en s’inscrivant sur le registre national des refus. Par ailleurs, 80% de la population se dit favorable au don, selon les données de l’Agence de biomédecine. 

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Une attente éternelle

Toutefois, les équipes de coordination de prélèvements se retrouvent souvent pieds et poings liés lorsqu’ils vérifient la position de la personne décédée auprès des proches, au moment de l’annonce de la mort. “Très souvent, nous avons des proches qui nous disent que la personne décédée n’avait rien dit de son vivant et qu’ils ne préfèrent pas donner leur accord”, déplore Élise Mougin, l’une des sept infirmières du service dédié au CHU de Besançon. 

Dans le doute, face à une famille qui vit une épreuve difficile, elle juge impossible d’aller à l’encontre de cette volonté et d’imposer un don d’organes. 

"Il faut en parler. C’est tellement plus simple quand la famille a juste à transmettre la volonté de leur proche car c’est vécu comme un soulagement et pas comme une décision à prendre."

Élise Mougin, infirmière de coordination hospitalière pour le prélèvement d’organes et de tissus au CH de Besançon.

Une situation corroborée par le professeur Georges Mantion, membre de l’Académie de médecine et auteur d’un rapport sur les enjeux médicaux et sociétaux sur le sujet publié en octobre 2023 : “On doit poser la question aux familles dans un moment où elles sont perturbées et ça se traduit par des refus. Même si tout le monde est présumé donneur, dans la pratique, personne ne va prélever un organe sans l’avis des proches”, avance-t-il. 

L’importance de se positionner de son vivant

D’où l’importance de la sensibilisation, notamment en cette journée mondiale du don d’organes et de la greffe, afin que chaque citoyen fasse connaître le choix qui lui est propre. “C’est important parce qu’un jour, même les familles qui refusent le don en auront peut-être besoin”, ajoute Georges Mantion. “Il y a du boulot, complète Élise Mougin. Tous les moyens d’information sont bons, encore faut-il être réceptif pour parler de la mort, notamment chez les jeunes.” 

Une discussion qui n’est pas des plus aisés, mais qui pourrait permettre de sauver des vies. Gilles Magnin-Feysot, qui a dû attendre sa greffe pour “reprendre une vie normale”, appelle ainsi à ne pas attendre l’instant critique et à évoquer le sujet autour d’un film ou d’une table. C’est également pour cette raison qu’il a souhaité transmettre son expérience le plus tôt possible : il avait même été filmé, dans le bloc opératoire, par une équipe de l’émission Zone interdite. Pour lui, comme pour Romain Vermot-Desroches, leur greffe a tout de même permis d’ouvrir la discussion avec leurs proches. 

Oser en parler

Parmi les solutions évoquées par les professionnels pour pallier la pénurie : l’inscription obligatoire à un registre avec un choix positif ou négatif ou l’ajout d’une ligne sur le don d’organe dans les directives anticipées, qui existent actuellement. Du côté de la médecine, des axes d’amélioration ont d’ores et déjà été entamés, comme, depuis 2015, le développement d’une nouvelle catégorie de donneurs, définis selon la classification Maastricht 3 : des personnes hospitalisées, en impasse thérapeutique et pour qui est décidé un arrêt thérapeutique, ce qui va conduire à l'arrêt cardiaque. Cette méthode implique toutefois une rapidité d’exécution importante, du personnel et la disponibilité des blocs opératoires. 

En majorité, le prélèvement d’organes ne peut normalement avoir lieu qu’après une mort encéphalique, ou mort cérébrale. Il s’agit d’un décès qui survient dans un service de réanimation suite à des problèmes neurologiques, avec le cœur qui continue d’être alimenté. Dans ce cas précis, “les organes continuent de fonctionner pendant un certain temps avant que le corps ne se rende compte que le chef d’orchestre qui est le cerveau n’est plus là”, explique Élise Mougin. Mais cela représente peu de décès. 

Course contre la montre

C’est pourquoi les greffes doivent s’organiser en un temps record entre l’équipe de coordination de prélèvement et les équipes de greffe, qui viennent chercher les organes pour les amener dans les hôpitaux où le receveur choisi se trouve. En témoigne l’expérience de Romain Vermot-Desroches, appelé un 11 août à 22h et invité à se rendre au CHU de Dijon. Arrivé à minuit, il a aussitôt passé une batterie d’examens avant de descendre au bloc opératoire à 5h du matin. Le greffon, lui, est arrivé vers 7h et à 10h, l’opération était terminée. 

Autre axe en cours de développement pour combler la pénurie : la possibilité de prendre des organes à critères élargis, conservés d’une manière différente avec des perfusions oxygénées qui améliorent la qualité et augmentent la durée de conservation. Là encore, les moyens à mettre en œuvre sont importants, c’est pourquoi les évolutions prennent du temps. “On n’est pas dans une inertie, tient tout de même à souligner Georges Mantion. Tout est fait pour améliorer l’accès à la greffe.” 

Une lente évolution

Malgré les efforts des professionnels, le nombre de dons d’organes peine à retrouver son niveau d’avant crise sanitaire du covid, avec 5.806 greffes en 2018. “On la retrouve petit à petit, mais les difficultés de l’hôpital se sont ajoutées et la liste d’attente ne cesse d’augmenter”, indique Élise Mougin. D’autant que la transplantation ne s’arrête pas à l’opération, mais nécessite un suivi régulier et sur le long terme. 26 ans après sa greffe, Gilles Magnin-Feysot se rend toujours au CHU de Nancy et suivra toute sa vie un traitement quotidien anti-rejet, “qui contribue à baisser les défenses immunitaires de l’organisme pour que le cœur qui n’est pas le mien ne soit pas considéré comme un corps étranger”, explique-t-il. 

Cet ancien technicien EDF désormais en invalidité doit également prendre d’autres médicaments pour contourner les effets secondaires de ce traitement. “C’est tout un cocktail à équilibrer, mais je ne me plains pas”, conclut-il : “Le plus important c’est d’être bien dans sa tête et d’avoir la chance de vivre la vie de monsieur tout le monde, de faire du vélo, de marcher. C’est ce que je souhaite à toutes les personnes qui attendent une greffe."

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