Le projet de loi autorisant une "aide à mourir" qui permettrait à certains patients, selon des "conditions strictes", de recevoir une "substance létale" devrait être débattu au printemps. En 2022, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait ouvert la voie en précisant que la légalisation de l’aide active à mourir devait être accompagnée d’un développement des soins palliatifs. Rencontre avec Régis Aubry, membre de ce Comité consultatif national d’éthique et professeur au CHU de Besançon.
Comment accompagner le malade "lorsque vivre n’est plus que souffrir" ? Cette question est au cœur du travail du médecin bisontin Régis Aubry depuis de nombreuses années. Le professeur a été l’un des spécialistes consultés en 2023 lors de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Une assemblée de citoyens qui avait majoritairement demandé la possibilité d’avoir recours à une aide active à mourir.
En 2022, le Bisontin avait été co-rapporteur d’un avis du Comité consultatif national d’éthique CCNE sur les enjeux éthiques relatifs aux situations de fin de vie. Avis qui soulignait l’importance de « renforcer » les soins palliatifs et la prise en compte « d’exigences éthiques incontournables en cas de dépénalisation de l’aide active à mourir ». Et, récemment, le professeur a été l’un des initiateurs de la « stratégie décennale » qui a inspiré le chapitre du projet de la future loi consacré aux soins palliatifs. Un projet de loi dont les contours viennent d'être dessinés par le président de la République Emmanuel Macron.
Nos journalistes Stéphanie Bourgeot et Florence Petit l'ont rencontré au CHU de Besançon.
Quel a été l'influence de l'avis du Comité consultatif national d'éthique sur le projet de loi qui pourrait légaliser l'aide active à mourir ?
Au titre du Comité consultatif national d'éthique, j'avais eu la chance de coordonner un avis qui avait lancé le débat qui amène à ces conclusions-là (...) On permet à des gens de pouvoir vivre sans pouvoir guérir. On confronte des gens par rapport à leur finitude pendant des mois. C'est une nouvelle problématique qu'on n’avait pas avant. (...) Ces personnes posent la question du sens de ce que vivre veut dire lorsque vivre n'est plus que souffrir.
La loi actuelle, Claeys-Léonetti de 2016 répond à mon sens pratiquement totalement aux situations de fin de vie (dans le champ du cancer par exemple) mais on a des demandes d'aides actives à mourir qui existent que l'on ne peut pas nier. Un petit nombre de ces demandes résistent à des soins palliatifs bien menés.
On voit bien qu'une bonne partie des demandes d'aides actives à mourir disparaissent quand on fait des soins palliatifs de qualité (...) Ce qu'on avait dit au titre du Comité national d'éthique, c'est que l'assistance au suicide, dans ces situations rares, voire exceptionnelles, nous apparaissait légitimes à condition qu'il y ait une offre réelle de soins palliatifs dans le pays. D'où cette double polarité : la loi et la politique ; la stratégie décennale et une évolution de la loi.
Ce qu'a annoncé le président de la République m'apparaît être un modus operandi entre les résistances des soignants que je trouve légitimes et les demandes que l'on doit considérer comme légitimes, de certains patients. Cela serait je crois une forme d'avancée à fort tropisme éthique.
Les services de soins palliatifs sont-ils actuellement suffisants en France ?
Les systèmes de santé sont dans une crise de croissance complexe à comprendre, mais effective avec une chute des effectifs des soignants et une chute des vocations. Puisqu'on a beaucoup médicalisé les soins palliatifs, ils sont aussi dans cette crise. À tel point qu'ici ou là, j'entends que certaines unités de soins palliatifs sont obligées de fermer.
À Besançon, cela va plutôt bien. On a une équipe qui est stable, mais si on a une vision globale, on est au milieu du gué pour répondre aux besoins. Il y a besoin d'un nouveau souffle autour des soins palliatifs et en particulier de repenser l'évolution très médicale qu'on a donnée à ce mouvement qui, à l'origine, était un mouvement en lutte contre l'abandon des personnes à la fin de leur existence.
Comment le projet de loi prévoit de renforcer les soins palliatifs ?
On a obtenu un budget de plus d'un milliard d'euros déployés dans les dix prochaines années. Cela va amener à plus d'un doublement des moyens budgétaires alloués aux soins palliatifs.
C'est suffisant par rapport au projet, il faut maintenant que l'on trouve des ressources humaines. (...) Dégager plus d'un milliard d'euros dans une période où on nous demande d'en économiser dix, cela n'est pas anodin.
Dans les mesures qu'on a prévu de déployer, il y a un renforcement des moyens hospitaliers, en équipes mobiles (à domicile, dans les Ehpad). Il est prévu d'avoir à terme une unité de soins palliatifs par département. Il y a un département comme la Haute-Saône qui n'a pas d'unités de soins palliatifs. Il y a 21 départements en France qui n'ont pas d'unités de soins palliatifs.
Mais il faut aussi que l'on ait des personnels compétents pour pouvoir travailler dans ces domaines. Il faut que d'ici à dix ans, on recrée des vocations, de l'envie d'agir, pour attirer des professionnels. Cela passe par la formation et la recherche qui sont encore en sous-développement dans notre pays.
Quelle est la place de l'expérimentation des "maisons de vie" dans ce projet de loi ?
Dans le cadre de l'élaboration de la stratégie qui vient d'être annoncée, on a remis à jour cette expérience, trouvé un mode de financement, comme les établissements médico-sociaux et on va déployer ce dispositif en France.
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L'idéal est d'avoir une structure familiale, familière avec un peu de temps médical, un peu de temps infirmier et beaucoup de temps d'accompagnement d'aide, à la vulnérabilité des personnes. Cela évitera d'envoyer à l'hôpital des gens qui n'y trouvent pas de place et qui ne s'y trouve pas bien parce que ce n'est pas ce qu'ils cherchent.