VIDEO. Fin de vie : pourquoi la « si bonne idée » des "Maisons de vie" ne se développe pas en France ?

Dans une tribune publiée dans le quotidien Libération et des courriers envoyés au gouvernement ainsi qu’à Brigitte Macron, la Bisontine Laure Hubidos, dénonce un curieux paradoxe à propos de l’accompagnement de la fin de vie. En tant que présidente du Collectif National des Maisons de Vie, Accueil, Répit et Accompagnement, elle dénonce la lenteur administrative face à l’urgence.

C’était en plein hiver 2012 et nous ne l’avons pas oublié. Lors d'un reportage pour France 3 Franche-Comté, nous avions été marqués par des paroles et des gestes d’une grande sincérité. Comme une vague de chaleur humaine au milieu de la rigueur hivernale. Nous étions confrontés à l’essentiel de nos vies. Pendant une petite semaine, nous avions assisté au quotidien de la « Maison de vie » de Besançon (Doubs). Un projet expérimental d’accueil de personnes en fin de vie, âgées de moins de 60 ans.

Cette élégante bâtisse accueillait alors sept résidents, tous atteints de maladies incurables. La « Maison de vie » était le « maillon manquant » entre l’hôpital et le domicile. « A l’hôpital, je n’avais plus de traitement, nous expliquait Nadine. Donc je suis arrivée à la Maison de vie ! » Sa fille précise que le maintien à domicile était impossible. Au cours de notre conversation, Nadine fait un joli lapsus. Plutôt que de parler du « personnel », Nadine évoque le « Père Noël » !

L’innovation de la « Maison de vie » est partie d’un rêve. Celui de Laure Hubidos. Cette Bisontine a été très tôt confrontée à l’accompagnement de mourants dans sa propre famille. Elle s’est ensuite engagée comme bénévole dans une des associations qui accompagnent les personnes en fin de vie. « Ce que je fais pour une personne, explique-t-elle en 2012, j’aimerais le faire pour plus de monde, pour leur permettre de se sentir vivant jusqu’au bout ».

« Ici, on s’adapte à la personne »

Il aura fallu plus de huit ans à cette autodidacte pour que son rêve devienne une expérimentation financée par l’Agence Régionale de Santé et le conseil départemental du Doubs. Laure Hubidos monte l’association Carpe Diem et le projet est porté en partenariat avec la Croix Rouge Française. Le professeur Régis Aubry, pilier du développement des soins palliatifs en France et médecin au CHU de Besançon fait inscrire l’expérimentation au programme national de développement des soins palliatifs (2008-2012).

La «Maison de vie » accueille des personnes en fin de vie qui ont moins de 60 ans. D’autres malades viennent pour un séjour de répit. Chacun vit à son rythme. « Ici, on s’adapte à la personne, ce n’est pas la personne qui s’adapte à la structure » expliquaient en coupant le pain du petit déjeuner des résidents.

C’est comme une grande maison de famille, les larmes de la nuit s’effacent quand les rires fusent dans la salle à manger. Les équipes médicales sont des intervenants extérieurs et une quarantaine de bénévoles interviennent régulièrement pour réaliser les envies des résidents. « Ici, confiait Jean-Louis Liard, la maladie on y pense très rarement, c’est vraiment appréciable par rapport aux autres établissements ».

Ne rentre pas dans une case

La « Maison de vie» de Besançon ne rentrait dans aucune case administrative existante. Elle n’a pu exister qu' en tant qu'expérimentation d’un an. Un projet qui s’est prolongé et même agrandi pour passer à douze places. Une autorisation de 15 ans avait été accordée pour un « établissement d’accueil temporaire pour personnes handicapées à orientation palliative ».

En 2015, Laure Hubidos devient coordinatrice nationale pour les soins palliatifs à la Croix Rouge Française. Epuisée par son combat, Laure Hubidos fait un long burn out et les nouvelles équipes de la "Maison de vie" de Besançon ne parviennent pas à fonctionner.

Rachel Lyautey est une des anciennes de l’équipe qui a travaillé avec Laure Hubidos. « Ce sont mes plus belles années d’aide-soignante » se souvient Rachel Lyautey. « Une fois que Laure Hubidos est partie, cela n’a pas duré. C’était son bébé. Le taux d’occupation des lits a chuté faute d’informations dans les services, explique-t-elle.  « On avait l’impression que les nouvelles directions ne croyaient pas au projet. A la fin, c’était tout et n’importe quoi» . Sollicitée, la Croix-Rouge n’a pas souhaité répondre à nos questions. 

Un collectif qui rencontre les mêmes difficultés

Nous sommes retournés là où tout a commencé. L’ancienne demeure abrite désormais les religieuses dont la communauté est propriétaire du domaine. Un vaste terrain qui accueille aussi un Ehpad. L’ancienne « Maison de vie » est maintenant gérée par l’Association des Paralysées de France. Il n’y a plus d’orientation palliative. Les résidents ont des maladies neurodégénératives et viennent dans cet établissement pour des séjours de répit.

L’expérimentation aurait pu être juste une belle histoire sans lendemain mais Laure Hubidos ne baisse pas les bras, consciente des attentes des familles. En 2017, la Bisontine créé le Collectif national des Maisons de vie. Aujourd’hui, une vingtaine de projets similaires tentent de voir en jour sur l’ensemble du territoire français. Et c’est comme si l’expérimentation de Besançon n’avait pas été soutenue par les pouvoirs publics de l’époque. Tous, se retrouvent face aux mêmes difficultés que Laure Hubidos.

Un projet de "Maison de vie, maison d'envies" en Bretagne

Xavier Durand est du métier. Il dirige actuellement un EHPAD en Bretagne, il est également consultant-formateur dans le secteur médico-social. Avec d'autres professionnels de la santé, il travaille sur un projet de Maison de vie à Pordic dans les Côtes d'Armor.

Les plans de la  «Maison de vie-Maison d’envies » sont prêts, l’objectif est clair. Leur maison s’adresse à toute personne, quel que soit son âge, ne nécessitant plus une hospitalisation et qui ne peut plus ou ne souhaite pas rester au domicile.

Tout le monde nous dit que c'est un beau projet, qu'il a du sens, qu'il est pertinent, qu'il a toute sa raison d'être. Mais le premier obstacle, c'est qu'il ne rentre dans aucune case juridique.

Xavier Durand, vice-Président de l'association Maison de vie, Maison d'envies.

« On n'est pas un établissement médico-social, on n'est pas une unité de soins palliatifs, on est un entre-deux, entre le domicile et l'hôpital. Aujourd'hui, il n'y a pas de cadre juridique déterminé pour ce type de structure. C’est cela qui est complexe aujourd'hui, parce qu'il faudrait créer une vraie case, malgré le fait qu'effectivement la maison de vie de Besançon a pu expérimenter ce projet à un moment donné qui a fonctionné, qui a montré tout son intérêt. Mais aujourd'hui ce n'est pas suffisamment mis en avant et on nous rétorque que, à chaque fois, on entre dans aucune case et c'est ça qui est compliqué » explique Xavier Durand.

L’Agence Régionale de Santé nous dit que c’est bien mais qu’il faudrait rentrer dans une case spécifique qui n’existe pas.

Xavier Durand, vice-président de l'association Maison de vie, Maison d'envies.

Nous avons sollicité, en vain, l’Agence Régionale de Santé de Bourgogne-Franche-Comté pour tenter de comprendre pourquoi c’était si compliqué « de créer une case ».

Un proche du dossier qui souhaite garder l’anonymat, nous a confié son amertume.  « Il a fallu développer un trésor d’ingéniosité pour dégager des postes, explique-t-il. Notre administration n’est plus humaine. Quand on se bat, on prend des coups mais on arrive quand même à avancer. Il faut des « Laure Hubidos » pour surmonter les rigidités administratives."

« C’est cela qu’il faut faire ! »

Une autre Bisontine, Paulette Guinchard, s’était intéressée à l’expérimentation de Besançon. L’ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées était venue avec Claude Jeannerot, le président du conseil général de l’époque, visiter la "Maison de vie". A ce moment-là, elle était présidente de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (2013-2017).

 « Elle était enthousiaste sur ce projet et trouvait la formule intéressante » se rappelle Claude Jeannerot mais poursuit-il « l’administration ne sait pas comment saisir cet ovni » .

Laure Hubidos  ne comprend pas pourquoi l’expérimentation de Besançon ne sert pas au développement des autres projets du collectif. «  On a réfléchi pendant des années pour trouver des solutions avec la MDPH, le département et l’ARS et cela a marché » avance-t-elle.

« Dans combien de temps, les gens vont-ils décéder ? »

Les freins sont en fait multiples et ne semblent pas être seulement administratifs mais aussi comptables. Un des acteurs des soins palliatifs en Franche-Comté n’y va pas par quatre chemins. «Je ne crois pas que cela soit une question de case. Dans combien de temps les gens vont-ils décéder ? C’est le vrai nœud ».

Dans sa tribune publiée le 6 mars 2023 dans le quotidien Libération, Laure Hubidos raconte l’histoire de Marie. A son arrivée à la "Maison de vie", les médecins pensaient qu’il ne lui resterait que « quelques jours à vivre ». La fondatrice de la "Maison de vie" poursuit le récit : « L’équipe lui a prodigué cet accompagnement si important pour les personnes proches de la mort. De jour en jour, Marie est revenue à la vie. Elle a vécu près d’une année à la Maison de vie ». Un temps qui lui a permis de « renouer des liens avec sa fille, elle a retrouvé de la joie et de la paix intérieure ». Laure Hubidos précise qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Elle était l'invitée du JT de France 3 FC le 9 mars dernier.

"Pour une véritable culture du soin palliatif"

Le débat sur la fin de vie ne se limite pas à l’alternative entre le suicide assisté et l’euthanasie. Lors des échanges de la Convention citoyenne, le professeur Régis Aubry, en tant que membre du comité consultatif national d’éthique, estime qu’il est « important qu’on entende la nécessité dans notre pays de développer une véritable culture du soin palliatif qui ne soit pas cantonné dans les unités de soins palliatifs, une culture partagée par l’ensemble des professionnels de santé ».  

On le sait, la France est en retard dans le développement des offres de soins palliatifs.

Plus d’une vingtaine de départements sont dépourvus d’Unités de soins palliatifs et il y a moins de 500 équipes mobiles de soins palliatifs en France.

Laure Hubidos, présidente du Collectif national des Maisons de vie

 Ainsi, les citoyens qui vont devoir répondre à la question posée par le gouvernement « le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changement devraient-ils être introduits ? » ne devraient pas se limiter à trancher entre suicide assisté et euthanasie. La fin de vie, avec les progrès de la médecine, peut être longue.

« C'est l'honneur d'une société que d'accompagner des personnes à la fin de leur existence » martèle Régis Aubry. Une exigence partagée par Laure Hubidos. 

Le développement de ces lieux alternatifs entre l’hôpital et le domicile, outre d’apporter des solutions d’aval afin de désengorger les services hospitaliers, proposerait des solutions de répit au domicile, favoriserait un accompagnement à dimension humaine, et permettrait également de générer des économies.

Laue Hubidos, présidente du Collectif national des "Maisons de vie"

En 2019, le Collectif national des Maisons de vie a été auditionné par les l’Inspection Générale des Affaires sociales (IGAS) pour présenter cette alternative d’accompagnement et de répit, avec un socle commun pour le financement et le fonctionnement de ces établissements qui ont tant de mal à voir le jour.

Pas de nouvelle case pour les solutions de répit selon l'IGAS

En février 2022, le gouvernement demandait justement à l’IGAS d’identifier les freins juridiques et financiers autour de l’offre de répit à destination des proches aidants. Le répit est un des piliers des projets de Maison de vie.

"Faut-il faire évoluer le cadre législatif pour proposer de nouvelles formes de répit ?" demandaient les ministres de la Santé et du Handicap. Début février, les inspecteurs de l’IGAS ont rendu leurs conclusions. Pour eux, il faudrait, entre autre, « faciliter le développement du répit à domicile, renforcer le financement des solutions de répit ». Quant à la création d’une nouvelle « case », nous avons pu demander à l’un des auteurs du rapport Emilie Fauchier-Magnan si c’était une solution pour faciliter les périodes de répit dans le cadres des soins palliatifs. Dans leur rapport, les inspecteurs proposent plutôt d’adapter l’offre d’accueil temporaire.

La création d'une nouvelle catégorie juridique d'établissement ne nous paraît pas souhaitable. Il existe déjà un grand nombre de catégories d'établissements et la tendance est plutôt à dé-spécialiser les établissements que l'on a pour qu'ils soient le plus polyvalents possible et qu'on ait une offre de proximité. Et donc recréer un type d'établissements pour un type de situation avec un public, dans ce contexte, ne nous paraît pas souhaitable.

Emilie Fauchier-Magnan, inspectrice IGAS

Pour les auteurs du rapport, la création de nouveaux lieux dédiés à l’accueil temporaire pour du répit ne paraît pas « financièrement viable ». Ils préconisent de s’appuyer sur l’offre existante.

Dans sa chronique publiée dans Libération, Laure Hubidos rappelle pourtant l'intérêt économique de développer les "Maisons de vie".

Le coût d’un séjour hospitalier est en moyenne de 1500 euros par jour (tous services confondus) alors que le prix de la journée dans une Maison de vie est de l’ordre de 250 euros par jour.

Laure Hubidos, présidente du Collectif national des Maisons de vie

Outre les freins administratifs, financiers, le développement des Maisons de vie pourrait également pâtir d’un « effet parapluie de l’administration » autrement la peur d’une fin de vie dans un milieu non médical, où médecins et infirmiers ne viennent que lorsqu’ils sont appelés.

"Pour mourir, on n’a pas besoin d’un médecin en permanence"

« C’est notre défaut en France, on veut toujours médicaliser. Pour mourir, on n’a pas besoin d’un médecin en permanence. On a du mal à assumer la prise de risque d’un univers moins médicalisé » estime le docteur Nicolas Becoulet, chef de service des soins palliatifs au CHU de Besançon.

Le médecin estime qu’« il faut que cela soit l’ensemble des citoyens qui assument cette volonté de ne pas médicaliser à tout prix et pas uniquement les pouvoirs publics. Ce n’est plus dans notre culture de vivre au quotidien avec les personnes en fin de vie ».  

Le professeur Régis Aubry pense également que la convention citoyenne doit être « un moment de prise de conscience ». Il rappelle que « l'expérience de Besançon est une expérience positive pour moi. Elle a montré que c'était faisable. Elle a montré des limites qu'il faut savoir investir quand on veut pérenniser quelque chose. Donc on peut repartir sur ces situations-là. Il y a un fort mouvement citoyen autour de ces maisons de vie ».

Laure Hubidos n’a pas été auditionnée lors de la Convention citoyenne sur la fin de vie. La restitution des travaux des citoyens est prévue lors de la dernière session des 17, 18 et 19 mars 2023. La présidente du Collectif national des Maisons de vie espère que ce débat national parvienne à lever les freins au développement de ces établissements.

Pour Régis Aubry, il est temps d’ « arrêter de faire des discours qui sont toujours beaux mais qui ne sont pas suivis d’actions ». Laure Hubidos parvient au même constat. « Les gouvernements se succèdent, les années passent, et rien n’avance vraiment. Pourtant il y a urgence ».

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