Au musée du Temps de Besançon, se tient sur trois salles jusqu'au 30 juin 2024, une exposition retraçant les 110 ans de Lip, cette marque horlogère bisontine, d'une grande inventivité et modernité, qui ne se résume pas à sa dernière période troublée.
L'exposition Lip.ologie au musée du Temps vient conclure "l'année Lip" à Besançon. Des mois à célébrer, raconter, revivre la lutte active et collective des ouvriers pour sauver leur entreprise horlogère du quartier Palente, il y a cinquante ans, en 1973. Elle boucle l'histoire, oui, mais elle la prolonge jusqu'au printemps 2024, et elle revient en arrière aussi, pour raconter que Lip fut une formidable aventure industrielle avant d'être un conflit social au retentissement national et international.
C'est donc dans une première salle au rez-de-chaussée du Palais Granvelle qu'on reprend le conte au début. La création en 1867 par Emmanuel Lipmann d'un atelier d'horlogerie au 14 Grande Rue alors appelé "Le comptoir Lipmann". La construction d'une nouvelle usine rue des Chalets aux côtés d'autres marques emblématiques de Besançon puis celle bien plus grande dans le quartier Palente. Le passage de témoin d'Emmanuel à Ernest, puis à Fred Lipmann qui devient Fred Lip, tout court, comme la marque en 1910.
On y découvre une usine révolutionnaire, fonctionnelle et lumineuse inaugurée en 1962 par le ministre de l'Industrie. C'est alors la manufacture horlogère la plus moderne d'Europe. Les montres sont précises, s'appuyant sur les laboratoires astronomiques, mais accessibles à tous. Lip n'a jamais été une marque de luxe. Et elle en fait un argument marketing, là aussi, très avant-gardiste. Fred Lip s'associe à Publicis dès les années 1960 et multiplie les slogans marquants, sortant de la presse spécialisée, il s'affiche dans les magazines grand public. Toujours en avance sur son temps, la marque innove, peut-être trop vite ou trop tôt d'ailleurs, car toutes les inventions ne sont pas couronnées de belles ventes. Chronomètre de 60 minutes intégré pour la cuisinière, décor "flower power" des années 1970, ou image stylisée de la montre des plus grands exploits sportifs, Lip a toujours un coup d'avance.
Les départements industrie et armement, beaucoup moins connus, sont également présentés. "L'ambition de cette exposition est de susciter des envies chez des chercheurs, car il y a encore beaucoup de matière à explorer", explique Laurence Reibel, conservatrice du musée du Temps et co-commissaire de l'exposition.
Le culte de la personnalité
L'histoire de la marque Lip ne serait rien sans la personnalité de Fred Lip, à la direction de l'entreprise pendant 40 ans. Mélange de génie industriel, de paternalisme et de mégalomanie, il fait réaliser une fresque gigantesque dans l'usine de Palente où il se représente discutant avec Albert Einstein. Cette peinture récupérée en petits morceaux (dont certains sont dans des vitrines) est reconstituée aux murs de la deuxième salle de l'exposition.
On y découvre aussi la mythologie familiale que le patron entend construire. Il se revendique par exemple d'Isaac Lippmann qu'il fait représenter par son ami peintre Jean Oberlé offrant un chronomètre à Napoléon Bonaparte de la part de la commnauté juive bisontine, alors même que les deux familles ne sont pas liées.
Un conflit emblématique
Enfin, la troisième et dernière salle de l'exposition Lip.ologie sous les combles raconte l'épisode le plus célèbre de l'aventure de l'usine : la grève, la tentative d'autogestion et la manifestation record de 1973. Un bout de l'emblématique passerelle de 120 mètres de long, sur laquelle tant d'assemblées et décisions ont été réalisées, est reconstitué.
Tous les objets, exemplaires et affiches proviennent des collections du musée du Temps. Ce trésor, on le doit en grande partie à la conservatrice dans les années 1970 et 1980 au musée des Beaux Arts et d'Archéologie, Joëlle Mauerhan, qui a tout de suite saisi l'importance de l'histoire que la cité comtoise vivait et qu'il faudrait conserver et transmettre. Elle sera à l'origine de la création du Musée du Temps, qui racontera aussi l'aventure industrielle. Des dons et des achats réguliers continueront de grossir les réserves.
"Le conflit Lip est encore un sujet sensible pour tous les Bisontins, explique Laurence Reibel. Il n'y a pas une famille qui n'a pas eu un membre à l'usine, ou dans la manifestation, ou qui n'a pas une montre en sa possession."
Petit clin d'oeil : plusieurs panneaux de l'exposition concernant la lutte des Lip sont écrits en écriture inclusive "Ce n'est pas un manifeste de notre part, précise la conservatrice. C'est juste qu'il y avait 800 femmes employées dans l'entreprise, et 400 hommes, soit moitié moins. On interroge donc la place des femmes dans ce conflit, et on rétablit une certaine égalité. Même si ce n'est pas évident de se mettre à ce type d'écriture." Les expositions racontent aussi l'époque dans laquelle elles se tiennent.