Une page de l'histoire de Besançon vient de se tourner avec la destruction du dernier immeuble des "408". Pour immortaliser cet instant, de nombreux photographes amateurs ont voulu saisir, au travers de leurs clichés, ce géant de béton redevenu poussière.
Le 18 octobre 2021, les mâchoires d'acier de la pelleteuse commençaient leur travail de destruction. Contraste saisissant entre la délicatesse d'une main de velours dans le fracas assourdissant du fer et des gravats. Il est 13h30 et ce château de carte va commencer à lentement s'effondrer.
Ce jour est vécu comme la fin d'un quartier historique de Besançon. Dès lors, de nombreux photographes amateurs ont commencé à évoquer sur les réseaux sociaux cette chronique d'une mort annoncée.
En 1959, le quartier de la Grette à Besançon est retenu pour un projet de grande envergure. La cité Brulard devait répondre à la demande de nouveaux logements pour faire face à la forte croissance démographique. Trois immeubles vont voir le jour jusqu'en 1962. Ils vont prendre rapidement le surnom de "408" en rapport avec le nombre d'appartements des deux premières barres. Soixante-deux ans plus tard, les Bisontins ont rendu hommage en image à cette cité pourtant tant décriée ces dix dernières années.
Silou et ses souvenirs d'enfance
Silou est une fille du quartier de la Grette. Depuis toute petite, elle se souvient des "408". Les années d'enfance et d'insouciance lorsqu'elle allait à l'école au pied des barres d'immeubles.
Tous les enfants du quartier se retrouvaient dans une joyeuse et inconsciente mixité : ceux qui vivaient dans les maisons et sur les collines alentours et ceux, plus chanceux à nos yeux, qui vivaient dans les immeubles, sur les mêmes paliers que les copains et à proximité du bureau de tabac où nous nous précipitions pour acheter des bonbons à la sortie de l’école quand nous avions trois sous.
Silou Ebastacosi
Habitant la maison familiale au-dessus de la cité, Silou n'a pu s'empêcher de saisir jour après jour la fin de ces géants qu'elle a toujours connus. Même si l'ambiance n'était plus la même et que les "408" étaient devenues selon ses termes une verrue dans le paysage, elle a voulu assister à ces derniers instants avant qu'il ne soit terrassé à jamais.
Cette lente agonie, morceau par morceau, la mise à nu des appartements, grignotés par le monstre d’acier, dévoilant crûment des papiers peints, des peintures et des morceaux de vie s’est révélée beaucoup plus poignante que prévu.
Silou Ebastacosi
Micheline et ses photos pour la mémoire
Elle n'est pas bisontine d'origine, mais Micheline a côtoyé durant cinquante ans les "408". Si elle vit dans le quartier de Palente, cette cité l'a toujours marquée. "C'est un lieu qui est connu de tous à Besançon et je me devais, moi la passionnée de photo, d'immortaliser ces derniers instants" nous explique-t-elle.
Micheline a créé, il y a une dizaine d'années, la page "Des photos pour la mémoire" sur Facebook. Elle collecte ainsi des centaines de clichés afin de laisser une trace pour le futur. Mais c'est aussi pour elle un travail sur elle-même. Atteinte d'une maladie neurologique, elle n'imprime pas les souvenirs qui s'effacent alors inexorablement. Photographier est pour elle un travail de mémoire au sens propre comme au sens figuré et lui permet de se souvenir avec les yeux.
Pour rien au monde, elle n'aurait raté cet évènement à la fois historique pour la ville mais aussi esthétique. La dernière semaine, elle est venue sur le site deux fois par jour durant deux heures. "Il ne fallait pas que je rate, une image, un instant de ce qui était en train de se passer" nous explique la photographe.
Parmi tous les photographes amateurs qui ont couvert quasi journalistiquement la destruction de la dernière barre des "408", Micheline est l'une des rares à s'être intéressée aussi aux ouvriers. Avec leur monstre à la mâchoire d'acier, ils sont selon elle, un peu les metteurs en scène de cette tragédie avant que le rideau se baisse définitivement.
A force de venir faire des photos de la destruction des "408", j'ai sympathisé avec le conducteur de celle que j'ai appelé la grignoteuse. J'ai pris son adresse pour lui envoyer mes souvenirs.
Micheline Martinet
Jean veut témoigner pour demain
Jean Vercellotti vit dans une maison à 200 mètres de la cité aujourd'hui disparue. Forcément, cela crée des souvenirs de côtoyer au quotidien les trois paquebots des "408" durant près de quarante ans. Pour ce photographe très actif sur les réseaux sociaux, témoigner des derniers instants de ce quartier était aussi une obligation.
Le domaine de prédilection de Jean reste la photographie naturaliste. La cité a toujours été un lieu de rendez-vous pour des centaines de pigeons avec lesquels il a exercé son art.
Pour ce photographe sensible à la culture japonaise, les "408" étaient un grand wabi-sabi. "C'est un art de vivre qui donne de la valeur aux choses anciennes et abimées. Il y a du beau dans l'altération du temps et la décrépitude des choses vieillissantes" nous explique-t-il.
Mo'Blues est un enfant de la barre
Arrivé à l'âge d'un an aux "408", Mo'Blues, comme il se fait appeler aujourd'hui, est un enfant de la cité. Pour cette figure artistique bien connue des Bisontins, c'est une page de sa vie qui se tourne. Son regard ne verra plus l'immeuble qui l'a vu grandir mais les souvenirs eux, resteront gravés. Il a tenu à partager sur les réseaux sociaux un texte poignant et quelques photos.
Dès le début des travaux j’ai eu un pincement au coeur, et à chaque fois que je passais devant, que je voyais chaque partie de bâtiment disparaitre petit à petit, c’est comme si une partie de mon enfance disparaissait avec !
Mo'Blues
La "grignoteuse" aux mâchoires d'acier aura mis un mois à dévorer sa dernière proie. Il ne reste aux photographes et aux anciens habitants que leurs souvenirs et un immense tas de gravats. Il sera traité sur place avant que la nature ne reprenne ses droits. Il faudra attendre 2030 pour espérer photographier la construction de futurs logements sur le site.