RECIT. Besançon : malgré un mariage d'amour avec Florence, Ahmed, sans-papier, va devoir s'éloigner de celle qu'il aime

Florence et Ahmed se sont mariés en janvier 2020, après trois ans de relation. Mais parce qu’Ahmed est entré en France sans visa, sa demande de régularisation a été rejetée. Impossible de travailler et d’avoir une vie normale, il va devoir quitter le pays pour une durée indéterminée.

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C’est une histoire qui commence comme beaucoup d’autres. Une rencontre, un soir de janvier, dans un bar de Besançon. Florence remarque immédiatement Ahmed. “On s’est vite parlé” se souvient-elle. Ils se plaisent. Mais “j’étais plus âgée que lui, et je venais de me séparer” . Elle a 44 ans, lui, 33. Alors, Florence ne veut pas s’engager dans une relation. D’autant plus qu’Ahmed est Marocain, et qu’il est entré sur le territoire français sans visa. C’est un sans-papier, qui vit tant bien que mal, de petits boulots au noir, qui lui permettent de louer un studio en ville. "J'avais peur de sa situation" avoue-t-elle. “C’était quelqu’un de tellement respectueux, de tellement gentil, se souvient-elle , je n’avais pas envie de jouer”. Malgré tout, ils se croisent régulièrement dans ce bar, et discutent. Jusqu’au jour où “j’ai craqué” raconte-t-elle. 

Un mariage d'amour

“Notre relation a commencé en juillet 2017”. Elle découvre alors le quotidien de son petit-ami, et ses galères. “J’ai été plongée dans le monde des clandestins, confie-t-elle, et j’étais loin d’imaginer ce que c’était. La misère, et les gens qui profitent de la situation”. Sans visa ou droit de séjour, en France, les étrangers n’ont pas le droit d’avoir un emploi. Alors, pour gagner sa vie, Ahmed doit travailler au noir. “Avec des gars qui travaillent beaucoup avec des clandestins”, précise-t-elle,  “Il a fait tout un tas de boulots : du déménagement, du bâtiment, des mariages…”. Des petits boulots souvent mal payés, quand ceux qui l’ont fait travailler ne profitent pas de sa situation pour essayer de ne pas le payer. “Il gagnait 100 balles par mois, des fois il fallait courir après l’argent”. En octobre, il doit quitter le logement qu’il sous-loue. Il envisage de s’installer quelque temps chez une parente. Elle lui propose de venir chez elle,  avec ses deux grands enfants. “Finalement, on ne s’est plus jamais quittés".

Le 11 janvier 2020, Florence épouse Ahmed à la mairie de Besançon. Un mariage d’amour, “une passion amoureuse sans nulle mesure” comme elle l’écrit. Mais sans papiers, ils ne peuvent pas vivre “normalement”.  Impossible par exemple de travailler ou d’acheter un nouveau logement ensemble. Florence est enceinte, cette existence en marge de l’administration devient intenable. Alors, ils déposent une demande de régularisation à la préfecture du Doubs, le 17 mars 2020. Et commence une longue attente. Le temps de traitement des dossiers de régularisation est toujours long, il se compte toujours en mois. Mais pendant le confinement, Ahmed ne peut plus prendre le risque de sortir travailler, et d’être contrôlé par les forces de l’ordre, qui patrouillent et vérifient les attestations de sortie des passants. Alors, il reste enfermé, et prend son mal en patience. Florence fait une fausse couche, il faut faire le deuil de cet enfant qui ne naîtra jamais. L’attente continue. Le couple s’étonne de ne recevoir aucun coup de fil, aucun courrier de la préfecture, pour vérifier que leur dossier dit bien la vérité, qu’ils vivent ensemble, qu’ils s’aiment. Ahmed appelle plusieurs fois, cherche le bon bureau. On lui dit de patienter. “Il attendait tellement sa carte, raconte Florence, il était persuadé qu’on allait lui donner, il se disait ‘ça y est, je vais commencer ma vie, je vais travailler’ ”

Pas de titre de séjour, et une obligation de quitter le territoire

En janvier 2021, le courrier de la préfecture brise leurs espoirs : la demande d’Ahmed est rejetée. Le papier précise s’appuyer sur l’article L211-2-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Qui dispose qu'un "visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public.” L’arrivée irrégulière, sans papiers, d’Ahmed le disqualifie de la régularisation. Le courrier stipule également qu’il “ne justifie pas de liens personnels et familiaux en France suffisamment intenses, anciens et stables".

Quatre mois plus tard, Florence ne comprend toujours pas. “Le mariage, ils ne le prennent pas en compte, le fait que j’étais enceinte non plus, la promesse d’embauche d’une grande entreprise qu’il avait non plus” énumère-t-elle, consternée. L’employeur qui voulait l’embaucher avait pourtant écrit à deux reprises, expliquant que son secteur était considéré en tension. C’est la déception. Pire, la lettre de rejet est accompagnée d'une OQTF (obligation de quitter le territoire français). “Il est tombé de très haut, avoue Florence, il est limite en dépression, il vit dans un stress permanent”. Avec une OQTF en cours, Ahmed est certain d’être renvoyé au Maroc s’il se fait contrôler. 

Dernière solution : repartir au Maroc et demander un visa

Le couple a déposé un recours devant le tribunal administratif de Besançon, “sans grand espoir” reconnaît Florence. “D’ailleurs, notre avocate ne nous en donne pas beaucoup”. Mais en attendant leur audience, prévue le 25 mai, “au moins”, l’OQTF est suspendue.

Ils ne sont pas les premiers dont l’arrivée sans papier du conjoint étranger a bloqué la régularisation. Dans les faits, à moins de justifier de très nombreuses années de présence sur le territoire, d’un mariage long, et d’enfants, il est extrêmement difficile d’obtenir un titre de séjour dans ces conditions. Seule alternative : rentrer au Maroc, pour y déposer une demande de visa pour la France. Une démarche longue, particulièrement en temps de pandémie, et dont l’issue est loin d’être certaine. “Pour avoir un visa, il faut entre un et trois mois, explique Florence, si on ne lui dit pas non”. En cas de refus, il pourra contester cette nouvelle réponse, mais la procédure pourrait prendre 18 mois, au cours desquels il devra rester au Maroc. “On m’a demandé pourquoi je n’allais pas là-bas, dit-elle, mais je ne peux pas tout laisser tomber”, ni les enfants, ni l’emploi dans l’industrie automobile. D’autant que rien ne dit que ces démarches aboutiront sur un visa, et “s’il a un visa, mais que les frontières ferment, combien de temps il va rester bloqué?” 

Une perspective bien sombre pour le couple, qui s’y résigne pourtant, peu à peu. “Après l’audience du 25 mai, on pourrait faire appel, mais on sait pertinemment que ça n’aboutira pas, et financièrement ça a un coût. En attendant, on n’avance pas dans la vie, on ne peut rien faire. Tout ce que l’on demande, c’est de pouvoir travailler et vivre normalement”, répète Florence. “Je suis citoyenne, et je n’ai jamais eu de problème. J’ai toujours rempli mes devoirs, payé mes impôts”, se désespère-t-elle, mais “nous ne sommes rien”.

 

 

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