Ce jeudi 5 janvier, les médecins généralistes du collectif « Médecins pour demain » se sont donné rendez-vous à Paris pour manifester et faire entendre leurs revendications, dont l'augmentation du tarif de la consultation à 50 euros. Une « grève de riches » pour Serge Alliod, médecin de Besançon, qui souhaite exprimer son désaccord.
C’est une grève à laquelle il ne participera pas, une grève qu’il a du mal à accepter. Serge Alliod, médecin généraliste depuis quinze ans, souhaite exprimer publiquement son désaccord face au mouvement « Médecins pour demain ».
« J’ai décidé de parler à force d'entendre dans les médias des médecins se plaindre de leurs conditions d'exercice », commence-t-il. Ses déclarations, il les fait en son nom, sans porter la parole d’autres confrères, mais en souhaitant les « faire réagir ». Il a transmis une lettre, dont il prend l’entière responsabilité, que nous avons jointe à la fin de cet article.
« Regardez nos revenus ! »
Dans son texte, le médecin dénonce une « grève de riches ». « Regardez nos revenus ! », s’exclame-t-il. Ce médecin de 46 ans indique gagner 15 euros sur les 25 euros, toutes charges déduites. D’après les chiffres de la Caisse de retraite des médecins libéraux (Carmf), publiés en décembre, le revenu moyen des médecins libéraux s’élève à 80 844 euros en 2021 - les salaires diffèrent en fonction de l’âge et du genre.
Les généralistes du mouvement « Médecins pour demain » dénoncent des conditions de travail dégradées et demandent une augmentation de la consultation à 50 euros, soit le double du tarif actuel. Cette mesure pourrait, d’après ce collectif, améliorer la prise en charge des patients et se libérer de la charge administrative, avec l’embauche d’un secrétariat. En outre, ce changement tarifaire rendrait la profession plus attractive : la médecine générale étant mal-aimée par les étudiants de la filière.
« L’argent serait bien plus utile ailleurs »
C'est cette demande en particulier qui crispe le médecin bisontin. « 50 euros n'est qu'un chiffre, mais c'est surtout 100% d'augmentation demandée ! Avez-vous déjà vu une profession oser demander une telle augmentation ? s’interroge-t-il. Et je vous rappelle que nous parlons là de professionnels libéraux, censés se débrouiller le moins possible avec l'aide de l’Etat ! »
L’époque semble d’autant mal choisie pour de telles demandes, d’après Serge Alliod. « Les médecins, jeunes ou moins jeunes, n'ont pas choisi une période de prospérité de notre pays pour revendiquer leurs augmentations. La France n'a pas ces moyens-là, tance-t-il. Faire payer à la société 50 euros pour tout acte médical, non. L’argent serait bien plus utile ailleurs, et pas que pour la santé. »
D'autres mesures possibles ?
D’aucuns brandissent que le métier est plus difficile à exercer aujourd’hui qu’hier. Des justifications qui ne semblent pas convaincre Serge Alliod. « Les conditions de travail sont les mêmes qu'à mes débuts », note-t-il. Avant de concéder : « mais nous voyons de plus en plus de patients, le numerus clausus est difficile à manœuvrer. »
Près d’un quart du temps de travail d’un médecin libéral est dédié à la charge administrative. Si le médecin généraliste bisontin considère que « ces tâches font partie du boulot et que rares sont les médecins à ne pas avoir de secrétariat », il présente quelques solutions : « Pour ceux qui auraient des difficultés, pourquoi ne pas envisager des aides financières pour un secrétariat ? » De même pour un changement de tarif pour une meilleure prise en charge médicale : « Un tarif majoré pour une consultation longue pourrait être une réponse aux revendications médicales »
« Faisons notre boulot sans demander plus »
Serge Allirod confie avoir choisi la médecine parce qu’ « il aime son prochain ». Et particulièrement la spécialité générale « parce qu'on soigne les patients dans leur globalité, le bien-être physique, mental et social ». Et de reprendre : « c’est sur cet aspect social que s'appuie essentiellement ma colère : le bien-être social nécessite un peu plus de justice et d'égalité entre les français, quel que soit leur profession. Alors à mes amis médecins, avocats, architectes, directeurs de toutes sortes, faisons notre boulot sans demander plus. Laissons l'argent à ceux qui en ont vraiment besoin. »
« Grève de riches » : la lettre transmise par Serge Alliod
« Fier d’être médecin généraliste à Besançon depuis plus de 15 ans, au service de ma population, au service de vrais femmes, hommes, enfants. Je soigne, j’écoute, je rassure les patients qui me font confiance. Beaucoup d’entre eux ont aussi des difficultés financières à l’origine de leurs maux.
Je ne connais par contre, aucun médecin ayant des difficultés financières. Les médecins peuvent se loger, se soigner, manger à leur faim, payer des études à leurs enfants, se divertir, et plus encore, car leur revenu moyen en France est d’environ 100 000 euros par an. Oui diront-ils, mais nous avons fait de longues études… grâce au milieu dont nous sommes sortis, oui ; à la faculté de médecine il y a 20 ans, 2/3 avaient des parents médecins, 1/3 des parents professeurs, et il ne restait plus grand-chose pour les autres. Nous sommes privilégiés depuis notre naissance !
Alors aujourd’hui je suis Indigné par cette grève de mes collègues libéraux généralistes. Non satisfaits de leur statut privilégié, ils se répandent en plaintes injustifiées sur la toile et dans la rue, de plus au moment ou les malades ont le plus besoin d’eux, en pleine épidémie. J’ai honte de ma profession, quand elle privilégie son portefeuille à ses patients.
Le médecin généraliste libéral gagne 4 fois ce que gagne la moyenne des Français, 3 fois le revenu d’un professeur !!! Nous faisons partie de cette caste des 1% les plus riches !!! A quoi sert-il de dévaliser les caisses de l’état déjà vides, quand il y a tant à faire pour réduire les inégalités !
La France vit déjà à crédit depuis de nombreuses décennies, et ces dernières années accentuent cette crise (inflation, Ukraine, changement climatique, crise des démocraties, de la dette …). Je demande aux riches, dont je fais partie et vous aussi, mes collègues médecins, un peu d’humilité, comme Hippocrate nous l’a soufflé il y a quelques siècles. L’argent n’est pas le but de notre engagement professionnel. Nous avons tous une maison (ou plus), une voiture (ou plus), et de quoi assurer notre quotidien, celui de nos enfants, et celui de nos vieux jours.
Je conseille à mes collègues d’arrêter de lorgner sur les revenus de leurs collègues allemands, anglais, ou américains, et de plutôt se demander s’ils ne sont pas déjà les plus aisés de leur quartier ! Et à ceux qui n’entendent pas ces phrases, de se demander si leur vocation a disparue sous leurs divers investissements. Nous devons être replacés aux côtés de ceux que nous soignons, pour une société plus juste et égalitaire. »