Une interview dans la langue de Gazo. C'est le rappeur français que cette étudiante aime écouter, pour parfaire une langue qui est désormais la sienne depuis qu'avec sa maman, elles ont fui l'Ukraine pour la Franche-Comté. Bien parler français, c'est pour Nadiia la première des politesses envers un pays où elle se sent presque comme chez elle.
C’est une petite histoire dans la grande histoire. Un exemple parmi des millions qui, le 24 février 2022, aura vu sa vie prendre, avec le début de l’offensive de la Russie en Ukraine, un nouveau départ.
Elle s’appelle Nadiia. Elle a 22 ans. Elle parle Français comme vous et moi. Alors qu’il y a deux ans, bientôt trois, les seuls mots qu’elle connaissait de notre langue, sans même les comprendre, étaient ceux des chansons de Joe Dassin, que sa grand-mère Valentina adore.
Il y a deux ans, bientôt trois, Nadiia Verbytska était une étudiante en 3e année de licence de Sciences Sociales à l'Université de Kiev. Elle voulait travailler dans les projets sociaux. Avec sa mère, Natalia, sa grand-mère et son oncle, Nadiia vivait à Hlevakha, une petite ville rurale à proximité de l’aéroport, à une vingtaine de kilomètres de la capitale ukrainienne. Ils ne parlaient pas de la guerre. Parce qu’ils n’imaginaient pas cela possible.
Le 24 février 2022, la sonnerie du réveil du téléphone résonne à 05h du matin. La jeune femme a un examen médical à passer en ville nécessitant de se lever tôt. Elle ne le passera pas. Les notifications envahissent son portable, l’application Telegram ne montre que des images de chars, de troupes et de tirs de missiles. La Russie attaque l’Ukraine. Les premiers bombardements se font entendre, la Russie vise l’aéroport voisin.
Quand tu as une fille à la maison et que tu imagines ce qu'il pourrait se passer si les soldats russes arrivent dans ton village ou dans ta ville et bien, à mon avis, tu n'as pas trop le choix.
Nadiia Verbytska, réfugiée ukrainienne
Alors deux ans, bientôt trois, plus tard, quand Nadiia et sa maman Natalia entendent un avion survoler le ciel, elles ne peuvent s’empêcher d’avoir peur. De pleurer parfois, de s’appeler souvent. Même sous le ciel de Besançon. Même loin de l’Ukraine. Le bruit du tonnerre inquiète aussi Natalia. Il est plus fort qu'en Ukraine. C'est lié aux conditions climatiques plus humides en Franche-Comté et ça rappelle de trop mauvais souvenirs à une maman de 45 ans qui a fui son pays pour protéger sa fille de la possible arrivée de soldats russes dans leur village.
Dans le joli petit appartement que les deux femmes louent à Pelousey, dans la banlieue proche de Besançon, il y a le drapeau de l'Ukraine accroché à un bouquet de fleurs. Il y a aussi une grande toile qui représente la Tour Eiffel. Mais pas de télévision. Elles n'ont pas encore assez d'économies pour se l'offrir et puis il y a les téléphones et l'ordinateur de Nadiia, le seul objet qu'elle a embarqué le 8 mars 2022 quand, après deux semaines d'hésitation, les filles sont parties dans la nuit, direction la frontière polonaise, où les convois solidaires venus de Franche-Comté stationnaient après avoir livré des denrées aux Ukrainniens. Dans ces convois, il y avait Daria, l'amie d'enfance de Natalia qui les attendaient et qui l'avait convaincue de fuir.
L'image que j'ai toujours en tête, c'est celle de ma mère, dans la voiture. Elle regardait toujours sa montre connectée qui lui indiquait qu'elle était en train de faire des activités physiques alors qu'elle était juste assise. Elle s'inquiétait tellement que son coeur battait très fort.
Nadiia Verbytska, réfugiée ukrainienne
Natalia était juriste en propriété intellectuelle. Désormais, elle travaille dans une manufacture de maroquinerie. Un emploi trouvé grâce à l'association bisontine UKRaide, qui a accompagné les deux femmes ainsi que d'autres familles réfugiées. Elles sont bien ici. La mamie est restée à Hlevakha avec l'oncle, qui est potentiellement réquisitionnable pour l'armée ukrainienne. Elles ont énormément de gratitude envers tous les Français qui les ont accompagnées depuis le début.
La jeune femme a fini sa licence de droit à Kiev. Elle est même retournée l'été dernier au pays récupérer son diplôme et embrasser sa mamie ainsi que toute sa famille. Et puis elle est revenue en Franche-Comté pour commencer une nouvelle licence de droit constitutionnel sur le campus de la Bouloie, à Besançon. Dans dix ans, Nadiia s'imagine ici, en France, à travailler comme avocate. Elle se dit surtout que la guerre sera terminée.
Nadiia, tout au long de son interview, nous aura impressionné par la qualité de son français appris grâce à des professeures à la retraite et aux séries Netflix. Sa maîtrise du français et sa détermination à faire de ce départ forcé le commencement d'une nouvelle vie. Elle se fera ici. Avec sa chère Ukraine au poignet et dans son coeur.
Un témoignage recueilli par Clément Jeannin avec la complicité de Jean-Michel Bohé, Romuald Piniac, Pierre Mayayo, Bertrand Poirier et Gaëtan Jeanson.