Le tribunal correctionnel d'Epinal a condamné, mardi 16 août, en condamnant pour "travail dissimulé" l'association catholique Famille Missionnaire Donum Dei (FMDD) qui a fait travailler pendant des années des dizaines de femmes venues d'Afrique ou d'Asie. La FMDD, dont le centre de formation international est en Franche-Comté, doit payer une amende de 200.000 euros pour avoir recruté, entre janvier 2013 et décembre 2016, des Travailleuses missionnaires de l'Immaculée (TMI) dans les restaurants de sanctuaires de plusieurs villes de France.
Outre l'amende de 200 000 euros, le tribunal d'Epinal a également ordonné la confiscation "avec exécution provisoire" des plus de 940.000 euros déjà saisis par la justice durant la procédure sur les comptes de la FMDD, qui était également poursuivie pour "emploi d'étranger non muni d'une autorisation de travail".
Cette somme correspond aux arriérés estimés de rémunérations et de cotisations sociales non acquittés par la FMDD, une association reconnue par le Saint-Siège et rattachée à l'ordre des grands carmes.
Soumises au droit du travail ou dévouées à une vie religieuse hors salariat ? C'est toute la question de ce procès dont certains des faits sont prescrits.
Les Travailleuses missionnaires ne sont pas des religieuses. Ce sont des femmes laïques, souvent des jeunes venues d'Afrique ou d'Asie, qui font partie de l'association catholique Famille Missionnaire Donum Dei (FMDD) dont le siège est à Rome. Depuis l'enquête de la justice française et une enquête du Vatican, celles qui résident en France sont désormais sous la responsabilité de l'évêque de Marseille.
Dès 2014, les dérives sectaires de ce groupe sont dénoncées dans un livre noir rédigé par l'AVREF, L'association Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux et à leurs familles . Un processus d’emprise sur ces travailleuses missionnaires est décrit, explique nos confrères de France 3 Normandie.
En 2015, une plainte est déposée par une membre de la communauté de Lisieux pour exploitation d’une personne réduite en esclavage.
La FMDD était depuis des années dans le collimateur de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Sur le site L'envers du décor, dédié aux préventions des dérives sectaires dans l'Eglise catholique, on peut lire des témoignages de ces jeunes femmes. Arrivées d'Afrique ou d'Asie, ces femmes ont choisi de vivre leur foi chrétienne aussi d'une communauté, elles travaillent dans les restaurants de L'Eau Vive installés près des sanctuaires comme à Lisieux; Lourdes ou Domrémy. En fait, elles travaillent sans respect du code du travail et, d'après les témoignages, ont peu de formation spirituelle.
Je suis allée parler avec le prêtre qui s’occupait de nous et il m’a dit que les TM ne sont pas des religieuses mais des commerçantes, de ne surtout pas aller là-bas. Des sœurs qui tiennent des restaurants, c’est du jamais vu !!. Il me dit : « tu veux aller laver des casseroles ! C’est pour vous exploiter ! "
Emilienne SakougriL'envers du décor
Fondé par un Franc-Comtois, les Travailleuses Missionnaires sont formées en Franche-Comté
En Franche-Comté, des Travailleuses Missionnaires ont servi à l'ancien séminaire du Val de Consolation. Elles ont aussi vécu un temps au Foyer Saint-François Xavier de Besançon ou séjourné à Liesle dans le Doubs. Aujourd'hui, quelques-unes vivent encore aux Fins, village d'origine de l'abbé Roussel, fondateur en 1950 des Travailleuses Missionnaires. Très rapidement, des dérives sectaires sont signalées et le Vatican instruit un procès. Aujourd'hui, en 2022, les Travailleuses Missionnaires du monde entier, sont formées dans l'ancien monastère des Cisterciennes de la Grâce-Dieu, vendu en 2009 aux Travailleuses Missionnaires.
Dérives sectaires
"Cette condamnation est une excellente nouvelle, nous sommes très satisfaits", a réagi Me Julie Gonidec, avocate de deux anciennes Missionnaires, parties civiles au procès le 5 juillet à Epinal.
L'une d'elle, originaire du Burkina Faso, avait raconté à la barre ses longues journées de travail, affirmant avoir vu ses papiers confisqués à son arrivée, selon le compte-rendu du quotidien Vosges Matin.
Le ministère public avait requis une amende de 120.000 euros ainsi que la confiscation de la somme déjà saisie.
Selon les termes de la prévention, il était reproché à la FMDD de s'être "soustraite intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales (...) d'une moyenne de cinquante Travailleuses missionnaires de l'immaculée, réparties sur les sites de Marseille, La Grâce-Dieu, Domrémy-la-Pucelle, Lisieux, Menton, Ars-sur-Formans, Lourdes, Toulon et Besançon pour exercer notamment une activité de restauration et d'accueil".
Les restaurants étaient gérés par les Travailleuses missionnaires, membres de la FMDD et "vierges chrétiennes", recrutées jeunes au Burkina Faso, au Cameroun, au Vietnam, aux Philippines ou encore au Pérou pour œuvrer le plus souvent dans des restaurants de la chaîne L'Eau vive.
L'affaire avait démarré en octobre 2015, avec l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet d'Épinal après un signalement de l'inspection du travail visant l'établissement de Domrémy-la-Pucelle (Vosges). Les autres parquets concernés s'étaient par la suite dessaisis au profit d'Epinal. La FMDD avait été mise en examen en novembre 2017, puis renvoyée devant le tribunal correctionnel en septembre 2021.
A Besançon, malgré les différentes alertes sur les dérives sectaires de l'association des Travailleuses Missionnaires, l'archevêque Mgr Jean-Luc Bouilleret se souvient que le diocèse avait signé une convention avec les Travailleuses Missionnaires pour que deux femmes puissent venir travailler à l'archevêché.
Je n'ai pas eu l'impression que les deux femmes qui travaillaient à l'Archevêché avaient le sentiment d'être exploitées. Nous avons été vigilants sur les horaires de travail et le versement des cotisations sociales.
Mgr Jean-Luc Bouilleret, archevêque de Besançon
L'archevêque précise qu'une enquête du Vatican a fait évoluer la situation des Travailleuses Missionnaires. Désormais membres d'une Société de vie apostolique, les Travailleuses Missionnaires suivent des formations validées par l'Université Catholique de Strasbourg. Des prêtres francs-comtois participent également à l'approfondissement de leur foi. "On a beaucoup progressé sur la formation". Effectivement, les jeunes femmes travaillaient tellement qu'elles n'avaient pas le temps de se former.
"Exploitation transnationale"
Dans ses conclusions, Me Julie Gonidec avait pointé "un système rôdé d'exploitation transnationale", en lien notamment avec le Burkina Faso, destiné à "faire travailler dans des conditions contraires à la dignité humaine" des jeunes femmes, souvent issues de milieux modeste.
"Il n'y a eu aucune infraction sur les personnes. Pas d'esclavage, pas de traite des personnes, pas de dérive sectaire", a soutenu au contraire Me Chardin.
"On reste sur un problème technique : quel est le régime auquel doit répondre" la FMDD, a-t-elle poursuivi. "Ce qu'on lui reproche, c'est de ne pas avoir cotisé à l'Urssaf" alors qu'elle a cotisé "pendant des années à la Cavimac", une caisse réservée aux cultes, a-t-elle affirmé.
Toujours selon l'avocate, "l'administration, notamment à Marseille, avait validé le mode de fonctionnement" de la FMDD, une "congrégation religieuse" dont les Travailleuses missionnaires bénéficient de "l'exception religieuse". Elles ne sont légalement pas soumises au droit du travail ou au salariat, a encore soutenu Me Chardin, qui avait plaidé à l'audience avec Me Jean-Pierre Boivin la relaxe. Me Hélène Chardin, a dénoncé auprès de l'AFP un jugement "inique" et annoncé que l'association avait "d'ores et déjà interjeté appel".
Contactées par téléphone, les Travailleuses Missionnaires de la Grâce-Dieu, à Chaux-les-Passavant, n'ont pas souhaiter répondre à nos questions.