Elle est née en 1921 à Morteau, la limonade "La Mortuacienne" a tout juste 100 ans et la maison qui l'a crée est toujours dirigée par la même famille. Pourtant, dans les années 80, elle a bien failli disparaître.
Naissance d'un produit culte
En 1921, Marcel-Alcide Rieme et Adrien Bouheret ont tout juste 20 ans et ils se lancent dans la limonade. A cette époque, chaque village ou presque a son limonadier et le produit est consommé à grande échelle, notamment pour faire des "rouge-limé", autrement dit une boisson qui mélange vin rouge et limonade. C'est d'ailleurs pour ne pas rendre le breuvage écoeurant que le taux de sucre de la limonade Rième-Bouheret est moins concentrée en sucre que les autres, 72 grammes par litre. Un soda en contient souvent plus de 100 !
Trés vite, des sirops voient également le jour et le site historique s'agrandit pour développer la gamme et la quantité de produits. La production ne cessera de croître et se poursuivra même pendant la deuxième guerre mondiale. C'est d'ailleurs la seule période où le sucre sera remplacé par de la saccharine pour cause de pénurie.
La maison parvient à continuer de livrer, puisqu'un l'un de ses camions a pu échapper à la réquisition par les FFI, il était accidenté au moment où les véhicules ont été pris.
La maison dirigée d'une main de fer
La suite de l'hitoire, c'est le fils de Marcel-Alcide qui l'écrit. Jean reprend l'affaire en 1961 et la fait fructifier. "Quand il vous disait, j'ai toujours raison" dit aujourd'hui son fils Didier, cela ne souffrait pas la contestation. Les sirops se développent et le commerce des eaux minérales occupe largement la maison. A cette époque, des trains entiers arrivent en gare de Morteau chargés de bouteilles d'eaux minérales en provenance des Vosges, et c'est la société Rième qui les distribue aux restaurants du secteur. La vente des boissons se fait alors "à la chine", ce qui signifie que le vendeur arrive avec son camion, passe commande et livre dans la foulée. Jean-Claude Boissenin, commercial chez Rième depuis près de quarante ans se souvient encore de cette époque. Et certains de ses clients existent toujours à l'image du "Coeur des Faims" aux Fins tenu aujourd'hui par Stéphane Taillard. "La Berthe, c'était quelque chose" dit Jean-Claude, elle dirigeait alors l'auberge et en avait fait une table réputée grâce à son plat fétiche : la croûte aux morilles. Aujourd'hui, Berthe a 99 ans et se souvient de cette époque où elle appelait Jean-Claude "Mr Limonade". Elle a depuis passé la main à son petit-fils qui continue de cuisiner la croûte aux morilles, et de vendre les limonades et sirops de ses voisins mortuaciens.
La limonade en péril
Dans les années 80, la limonade est en perte de vitesse et les limonadiers ferment boutique les uns après les autres. C'est à cette période que Didier prend la tête de la maison. Pas facile pour cette troisième génération qui se lance un défi : "Je ne serai pas celui qui coule la boîte" dit aujourd'hui Didier. La situation est d'autant plus compliquée que les locaux historiques ne sont plus très adaptés et que la qualité de l'eau à Morteau laisse à désirer. Il prend alors la décision de transférer la fabrication à Beure aux portes de Besançon en 1986, puis dix ans plus tard à Besançon même où il investit dans un outil de production flambant neuf. "Mon père a eu raison et ses choix se sont avérés payants" dit aujourd'hui Benoît, l'actuel dirigeant et fils de Didier. Sa force réside aussi dans son choix de maintenir le produit dans sa version originale même s'il se résoud à le distribuer aussi en grandes surfaces. Ainsi, il ne cède pas à la mode des bouteilles en plastique et des bouchons à vis, et maintient le niveau de sucre à 72 grammes par litre alors qu'on lui réclame un produit plus sucré. Ce sont ces choix qui ont sauvé l'entreprise et lui donne sa réputation aujourd'hui.
La mortuacienne traverse l'Atlantique
En 2011, Didier cède l'entreprise à l'un de ses quatre enfants, Benoît. Et pour ne pas risquer un conflit de génération (comme ce fut la cas avec son père), il lui laisse le champ libre pour développer la société. A cette époque, limonades et sirops comptent plus de quarante parfums mais ne se vendent que dans l'hexagone.
Benoît va donc se lancer dans la production de limonades aromatisées plus au goût de certains pays et notamment du Canada et des Etats-Unis. Il augmente donc la taux de sucre pour ces formules export...impossible sinon de vendre la Mortuacienne Outre-Atlantique!
Aujourd'hui, la limonade artisanale du Haut-Doubs s'exporte dans une vingtaine de pays, emploie un peu plus de vingt personnes et fête sans complexe ses cent ans.