Alors que la Loue est toujours victime de pollutions, la ville d’Ornans dans le Doubs a décidé de faire de 2023, une année dédiée à la sensibilisation et la prise de conscience du mauvais état de la rivière. Les résultats inédits d’études et le lancement d’actions doivent également faire de 2023, une année charnière/clé pour tenter de sauver, en plein réchauffement climatique, cette rivière emblématique de Franche-Comté.
“Protéger notre rivière pour protéger la vie”, c’est l’un des objectifs que s’est fixée l’équipe municipale d’Ornans pour cette nouvelle année. Les élus veulent “sensibiliser et faire prendre conscience de la situation de la Loue, travailler à la sauvegarde et protection de notre patrimoine naturel”.
Avec de nombreux partenaires, eux aussi soucieux de la qualité des cours d’eau, la municipalité a prévu de lancer cette “Année de la Loue” le 22 mars 2023. Une date symbolique puisqu’il s’agit de la journée internationale de l’eau. Randonnée, spectacles, expositions, conférence, animations... Autant d’actions pour que le plus grand nombre d’habitants prennent conscience de l’importance de la sauvegarde de la Loue.
La restauration des zones humides, une “priorité absolue”
En guise de prémices, l’université ouverte et la municipalité d’Ornans ont demandé au professeur du laboratoire Chrono-environnement de l’Université de Franche-Comté, Daniel Gilbert, de venir à Ornans expliquer “l’écologie des rivières” lors d’une conférence donnée le 11 janvier.
D’emblée, le scientifique a été clair et cash. “La restauration des zones humides est une priorité absolue”. En une heure chrono, la démonstration est implacable. D'abord, le constat : La Franche-Comté est une des régions les plus touchées par le réchauffement climatique.
Non seulement la température s’est réchauffée en moyenne de 1,5° entre 1979 et 2019 mais la météo s’affole de plus en plus avec des épisodes de grêle ou de canicule.
Les huit dernières années sont les plus chaudes jamais enregistrées, confirme l'ONU selon une information publiée par l’Agence France Presse et "les huit prochaines années seront encore plus chaudes" prévient Daniel Gilbert.
“Les incendies de cet été dans le Jura, ce n’est que le début de ce qui nous attend” alerte le professeur en écologie. “Nous sommes en train de nous rapprocher de la zone méditerranéenne où rien ne pousse", constate Daniel Gilbert.
On ne va plus pouvoir élever de vaches, l’agriculture va muter de gré ou de force. Nous allons vers une transformation radicale de l’agriculture.
Daniel Gilbert, professeur en écologie à l’université de Franche-Comté.
Troisième pilier de la démonstration du scientifique : les solutions. Elles existent, elles sont en partie déployées mais il faudrait qu’elles le soient encore plus rapidement pour être encore plus efficaces.
Si l’écologue rappelle le fonctionnement d’une rivière, c’est pour montrer qu’il faut raisonner à l’échelle d’un bassin versant. Pour la Loue, par exemple, il s’agit d’un vaste territoire qui comprend aussi une partie du Doubs puisque les rivières sont reliées entre elles. Un bassin de 126 000 habitants, 195 communes qui s’étend de Valdahon à Mouthe et jusque dans le Jura.
Pour que l’eau reste dans le sol, il faut, explique l’écologue ainsi que l’ensemble de la communauté scientifique, restaurer les zones humides. C’est ce qui est fait pour les tourbières et lacs du massif du Jura, dont l’intérêt est reconnu à l’international grâce au label Ramsar.
D’autres actions comme le rétablissement des haies, le reméandrement des cours d’eau sont en cours sur tout le bassin versant.
38 millions d’euros pour 69 actions pour la Loue et une partie du Doubs
Depuis 2019, les acteurs des milieux aquatiques du Haut-Doubs et de la vallée de la Loue se sont réunis au sein d’un même établissement, un EPAGE conçu à l’échelle des bassins versant du Doubs et de la Loue. Deux ans plus tard, un autre EPAGE a vu le jour, là aussi le territoire administratif s’est adapté aux sous-bassins versants du Dessoubre, du Cusancin, du Doubs franco-suisse, d’une partie du Doubs. Ce sont ces structures qui pilotent les actions pour que les rivières de Franche-Comté retrouvent un bon état écologique. Des actions reprises dans le plan “Rivières karstiques 2027”, synthèse de l’Etat et du département du Doubs qui reprend les actions en cours.
2023 est une année charnière pour la Loue à plus d’un titre. D’ici peu, un contrat de bassin Haut Doubs Loue sera signé officiellement. Pendant trois ans (2022-2024), des actions sont entreprises pour améliorer l’assainissement, la restauration des milieux aquatiques, la gestion de la ressource en eau dans le Haut-Doubs, la sensibilisation aux enjeux de l’eau auprès des enfants. Une étude d’envergure pour tenter de trouver comment s’adapter au changement climatique aura lieu tout au long de l’année 2023. Une fois les besoins et les ressources en eau définis, différents scénarios seront débattus pour ensuite déboucher sur des actions.
Autre événement clé de cette année 2023, les premières conclusions particulièrement attendues du programme Nutri-Kart, une vaste étude menée par des scientifiques du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et l’agronome de la chambre d’agriculture 25-90. L’étude a pris deux ans de retard et c’est en février que l’on connaîtra les premiers résultats de ce programme qui cherche à comprendre l’impact des pratiques agricoles sur le parcours des nutriments que l’on retrouve dans les rivières franc-comtoises. Il s’agit essentiellement des nitrates.
Ce programme Nutri-Karst s’étend sur trois départements, le Doubs, le Jura et l’Ain et couvre 25 bassins versants du massif jurassien.
Des pratiques agricoles à risque
Depuis les années 2000, les pratiques agricoles ont évolué et le taux de nitrates dans les cours d’eau est stable alors qu’il progressait des années 70 à 90. Mais le réchauffement climatique, là aussi, perturbe les acquis. L’un des premiers enseignements de ce programme est de montrer que les périodes de sécheresses ont une influence sur les quantités de nitrates que l’on retrouve dans les cours d’eau.
Il faut redoubler d’efforts car le réchauffement climatique amplifie la quantité de nitrates transportés.
Jean-Baptiste Charlier, chercheur en hydrogéologie BRGM
Selon l’analyse des premiers résultats de cette étude, les plantes poussent moins bien en période de sécheresse, les rendements sont plus faibles. Les plantes consomment donc moins d’azote (une autre forme des nitrates). A l’automne, les reliquats d’azote transportés dans les eaux sont donc plus importants.
Autre enseignement, les chercheurs ont réussi à “identifier le type d’agriculture plus à risque” qui facilite le transfert d’azote vers les cours d’eau. Il s’agit des prairies temporaires, des prairies labourées tous les cinq ans environ pour être ressemées. Les cultures d’hiver et de printemps ont les mêmes effets. Cela concerne peu de surfaces mais l’impact sur les cours d’eau est important.
Cette étude permet aussi d’établir que les nutriments que l’on retrouve dans les rivières représentent, en moyenne, 20 % des rejets issus des activités humaines (agriculture, assainissement, fromageries) sur les bassins versants du massif jurassien. Ce qui veut dire qu'en moyenne, 80% des rejets dus aux activités humaines sont assimilés essentiellement par la végétation ou stockés dans les sols et sous-sols. Mais les écarts sont importants d’un territoire à l’autre car on retrouve quelquefois jusqu’à 50% de rejets de nitrates dans les zones où la pression agricole et la population est plus importante comme le Doubs.
Les rivières, un atout pour l’agriculture
Des zones où les actions de sensibilisation entreprises par la ville d’Ornans ont tout leur sens. Dans la ville de Gustave Courbet, des maisons du centre-ville rejettent toujours leurs eaux usées dans la Loue et la station d’épuration date de 1981. 2023, sera là aussi une année importante pour la mairie d’Ornans qui prendra connaissance d’une étude complète sur l’assainissement. Mais il faudra encore attendre pour la réalisation des travaux.
Pour Daniel Gilbert, venu expliquer aux Ornanais le rôle important que peuvent jouer les rivières pour limiter l’impact désastreux du réchauffement climatique, les intérêts des uns et des autres peuvent justement converger.
Nous pouvons trouver des intérêts communs entre l’agriculture et les rivières. Il faut arriver à retrouver une agriculture en équilibre avec son milieu.
Daniel Gilbert, professeur en écologie à l’université de Franche-Comté.
Le seul effet positif du réchauffement climatique pourrait bien être notre sidération et, par effet de ricochet, le changement de nos habitudes néfastes pour les cours d’eau.