Les preuves du grand réchauffement climatique sont sous nos yeux. L'été 2022 a été marqué par une nouvelle sécheresse et des incendies en nombre. Ce phénomène va-t-il se répéter, s'aggraver ? Quelles clés pour agir tant au niveau des citoyens, que des politiques ? Décryptage avec Daniel Gilbert, professeur en Écologie à l'Université de Franche-Comté et directeur de la Zone Atelier Arc Jurassien.
Une France en feu. Les incendies ont ravagé cet été de nombreuses forêts de la Gironde en passant par la Bretagne. A la fin août, plus de 62.000 hectares ont brûlé sur l'ensemble de l'hexagone. Près de 1000 hectares dans le verdoyant massif du Jura.
Incendies dans le Jura : un scénario qui va se répéter
Daniel Gilbert n’a pas été surpris par les incendies qui ont ravagé plusieurs communes du Jura cet été 2022 à Cernon, ou Menouille... Début juillet, sur le terrain, il échangeait sur le réchauffement climatique avec des élus du Doubs : “Je leur ai dit que dans peu de temps, le Jura sera en feu” se remémore le scientifique. “Ces incendies, ce n’est que le début."
La grande différence entre aujourd’hui et avant, c’est que le sol s’assèche en profondeur.
Daniel Gilbert, professeur en écologie à l'Université de Franche-Comté
L’eau fait aujourd’hui défaut à plusieurs niveaux
Daniel Gilbert nous explique la différence entre l’eau bleu, celle qui tombe du ciel, ruisselle dans les lacs et rivières et l’eau verte, celle qui se fixe dans les sols et les végétaux. “Cette eau verte, c’est elle qui est impactée par la sécheresse. Il faut trouver des systèmes pour que l’eau reste dans les sols. Ce n’est pas en stockant de l’eau bleu dans des bassins qu’on gagne de l’eau verte” résume Daniel Gilbert.
Préserver ce qu’il reste de zones humides
Les sécheresses à répétition ne surprennent évidemment pas ce spécialiste des tourbières. “On a détruit les tourbières. On n’a pas vu qu’en les asséchant, on appauvrissait le système en eau. On lui enlève sa capacité à résister à la sécheresse” explique le professeur en écologie. “La souffrance qu’on voit sur les cours d'eau est une souffrance qui est d’abord liée aux zones humides” précise Daniel Gilbert. Les tourbières présentes sur le massif du Jura ont été drainées pour en faire des prairies, certaines sont encore là, mais elles sont en mauvais état. Elles ne jouent plus leur rôle d’absorption de l’eau de pluie. “Une tourbière qui se dessèche libère aussi du CO2 et accélère le réchauffement climatique” conclut le scientifique. Un cercle vicieux.
Des tourbières qui se réchauffent à grande vitesse
La tourbière de Frasne dans le Haut-Doubs près de Pontarlier par exemple, est à elle seule l’un des points bien concrets de l’observation du réchauffement climatique. “En 15 ans, de 2009 à aujourd’hui, la température de la tourbière a augmenté d'un degré. J’ai cru que je m’étais trompé quand j’ai fait les calculs” lance l’universitaire comtois.
Atteindre la neutralité carbone, un objectif tenable sur le papier
L’Europe souhaite être le premier continent à atteindre en 2050 la neutralité climatique. Lancé en 2019, le pacte vert pour l'Europe engage les États vers la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. L'objectif est de les réduire de 55% en 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Pour Daniel Gilbert, “oui, on peut tenir cet objectif de neutralité carbone. Toute action actuelle aura des effets dans longtemps. Les 20 prochaines années ne vont pas beaucoup varier, quoi qu’on fasse” prévient le scientifique.
On doit se battre pour les années 2040-2050. Et c’est crucial, chaque dixième de degré est extrêmement important.
Daniel Gilbert, professeur en écologie à l'Université de Franche-Comté
Tenable... mais politiquement difficile
Pour le professeur en écologie, les marges de manœuvre se situent dans nos modes de consommation. Il va nous falloir la diminuer dans tous les domaines pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Mieux isoler les logements, changer les modes de transport pour des véhicules moins polluants, revoir les modes de transport, consommer moins de viande, élever moins de vaches, transformer le monde agricole… consommer moins tout court, de vêtements, d’objets inutiles…
“On connaît les solutions. Ce sont des révolutions, on le sait” alerte le scientifique. L’accord sur le climat signé à Paris en 2015, veut contenir d’ici 2100 le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré industriels, et poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5°C.
Tous les objectifs sont tenables, mais je pense que ce sera politiquement impossible ou alors il faudra avoir un Charles de Gaulle, un Churchill qui soit capable de dire, voilà la vérité !
Daniel Gilbert, professeur en écologie
Daniel Gilbert en est convaincu, la lutte contre le réchauffement climatique va se faire par marches, par escaliers. “Le covid-19 est une marche, l’Ukraine est une marche” dit-il. Il faudra selon lui des changements profonds pour que les 400 à 500 millions de tonnes de rejets annuels de CO2 émis par la France soient réduits à 100 millions en 2050.
Pour le scientifique, d’autres événements majeurs comme les guerres, les famines, les épidémies vont peut-être contribuer à accélérer la lutte contre le réchauffement climatique. “Il est assez probable qu’on ait des effondrements régionaux de population d’ici 2030-2040” dit-il. Impossible de s’en réjouir, “avec le réchauffement climatique, on se rapproche partout des limites, des tensions” conclut Daniel Gilbert. Bref, l’urgence à agir est là et selon le spécialiste, tous les élus décideurs n’en ont pas pleinement pris conscience.