Mets d’exception, la grenouille rousse fait chaque année le bonheur des gourmets de Franche-Comté de la mi-février jusqu’à Pâques. Si son élevage est très réglementé, il n’en est pas de même pour la grenouille verte, importée massivement de l’étranger.
Il faut ouvrir grand les yeux pour l’apercevoir. La grenouille rousse, discrète habitante des étangs du Doubs est en ce moment le produit phare de la Franche-Comté. Seulement quelques producteurs comtois ont la possibilité de l’élever et de la commercialiser.
“La grenouille rousse de Franche-Comté vient sur les étangs se reproduire à cette saison”, indique Lionel Bouchet, ranaculteur, autre nom des producteurs d'amphibiens, au micro de notre journaliste Sarah Francesconi. Les éleveurs pêchent les grenouilles avant la reproduction : “On installe des bacs de ponte, on recrée son milieu naturel, on récolte et on élève les œufs dans les meilleures conditions à l'abri de la prédation”.
Avant d’être récoltées, les grenouilles sont élevées pendant trois mois et relâchées dans la nature durant trois ans. Après, elles reviennent où elles sont nées. “Ça reste une espèce sauvage, mais on crée un dynamisme au démarrage”, résume Lionel Bouchet.
La grenouille verte "une forme d'ennemie"
Sur le marché, ce savoir-faire ancestral est bousculé par l’importation massive de grenouilles vertes venues d’Asie, congelées, prêtes à être cuisinées. Ses concurrentes sont décriées par les ranaculteurs : “Pour nous, c’est une forme d’ennemie. On a une superposition de deux espèces qui n’a pas lieu d’être. Il y a autant de différence entre un chien et une souris”, s’indigne Philippe Feuvrier, ranaculteur et chef de cuisine.
Dans leur milieu, les grenouilles vertes sont des prédateurs. Elles vivent dans l’eau toute l’année et mangent du poisson alors que les grenouilles rousses ne vivent pas dans l’eau toute l’année et se nourrissent d’insectes et de larves de libellules. Pour Lionel Bouchet, la grenouille rousse reste une viande. Elle ne s’apparente pas à du poisson, comme les grenouilles vertes.
Selon Philippe Feuvrier, la grenouille verte envahit le marché français parce que les gens n’ont pas d’autres possibilités. “La grenouille est traditionnellement un produit de gastronomie”, précise-t-il. Selon le chef, nul besoin de multiplier les condiments pour cuisiner la grenouille rousse. Un seul ingrédient est de mise : le beurre. Il décrit le goût de cet amphibien “onctueux” et “délicat”. “C’est un bisou qui vous arrive à la bouche”, résume-t-il.
Lutter contre l'importation massive des grenouilles d'Asie
Depuis quelques années, le syndicat interprofessionnel de la grenouille rousse se bat pour obtenir une appellation d’origine protégée (AOP). Cette appellation permettrait de préserver davantage l’espèce et de lutter contre l’importation massive de grenouilles vertes.
Le 6 mars 2024, dans une lettre commune, 557 chercheurs et experts de la conservation de la nature et de la médecine vétérinaire ont appelé le président français Emmanuel Macron à mettre fin à la surexploitation des grenouilles en Asie et en Europe du Sud-Est. Selon eux, la France, en tant que premier pays consommateur, se doit d’initier une protection internationale des espèces de grenouilles les plus commercialisées.
Les importations annuelles de l'Union européenne représentent entre 80-200 millions de grenouilles et la grande majorité provient de population sauvage. Plusieurs espèces et certaines parmi les plus communes, comme la grenouille mangeuse de crabe, ont ainsi connu un déclin massif.
Les grenouilles jouent un rôle essentiel dans l'équilibre de nos écosystèmes. Ces prélèvements continus perturbent leur fonction.