Pollution de la Loue : trop de nitrates et phosphates, des scientifiques fixent les seuils à atteindre pour sauver la rivière

Alors que les poissons se meurent dans la Haute-Loue, un pas vient d’être franchi dans la lutte contre la pollution de la Loue. Les seuils de concentration de nitrates et phosphates à ne pas dépasser pour que la rivière retrouve une bonne santé, viennent d’être validés par le bureau de la Commission Locale de l’Eau de ce secteur du Doubs.

Les printemps se suivent et se ressemblent dans la vallée de la Loue. En ce début mai, c’est la période de fraie pour les ombres, ces poissons devenus au fil des années si rares dans la Loue. Pour se reproduire, les ombres se frottent sur les fonds de rivières et se blessent. Une fragilité qui les rend vulnérables à la saprolegnia, une infection qui décime les salmonidés des rivières comtoises depuis une dizaine d’années.

La Loue est la « rivière de cœur » de Cédric Nolin, garde de la société de pêche « La truite de Mouthier ». Sur sa page facebook, il partage son désarroi voir sa colère.

Autre témoignage sur les réseaux sociaux, celui Stéphane Marx. Sur sa vidéo publiée sur Youtube, pas un mot mais des images éloquentes prises entre mars et avril 2022 au bord de la Loue.

Depuis dix ans, rien n’est fait. Comment voulez-vous que cela s’arrange ?

Cédric Nolin, garde de la société de pêche La truite de Mouthier

Rien ne serait donc fait pour sauver la Loue et les autres rivières de Franche-Comté, elles aussi victimes d’une trop forte concentration de nitrates ou de phosphates dans leurs eaux ? Ce trop-plein de nutriments s’explique par des dysfonctionnements dans les réseaux d’eaux usées et les stations de traitement des eaux usées ainsi que par des pratiques agricoles non adaptées au sol karstique (calcaire) de cette partie de la Franche-Comté.

Un accord sur les « concentrations admissibles »

Depuis 10 ans, date d’apparition de ces mortalités massives des poissons, des actions ont été entreprises, des mises aux normes ont été réalisées aussi bien sur les exploitations agricoles que sur les stations d’épuration, mais les résultats ne sont pas encore visibles.

Le 8 mars 2022, les membres du bureau de la Commission Locale de l’Eau, la CLE, sorte de parlement de l’eau à l’échelle d’un bassin-versant, ont fait un pas important pour la restauration des milieux aquatiques. Représentants des élus, des usagers, de l’Etat ont validé les « concentrations maximales admissibles dans le bassin-versant du Haut-Doubs et de la Loue » proposées par les scientifiques du laboratoire Chrono-Environnement de l’université de Franche-Comté.

C’est l’équipe de ce laboratoire qui a publié en 2020 une vaste étude pour déterminer l’origine des problèmes des rivières comtoises. Deux ans plus tard, il s’agissait de faire valider ces « concentrations admissibles » par la CLE, cette assemblée qui a le pouvoir, via le SAGE, le Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau, de rendre un règlement obligatoire.

À partir d’études sur d’autres rivières karstiques publiées dans le monde entier, les scientifiques ont d’abord déterminé les concentrations de nitrates et phosphates que la Loue aurait pu avoir si elle était dans un bassin-versant quasiment sans activités humaines.

Puis, les scientifiques ont surtout déterminé le seuil à ne pas dépasser pour éviter le début d’eutrophisation, c’est-à-dire lorsque la rivière dysfonctionne en raison d’un excès d’éléments nutritifs. Ensuite, ils l'ont comparé aux concentrations réelles mesurées dans différents sous-bassins de la Loue.

Les résultats sont imparables. Prenons juste ceux des concentrations en nitrates de la Haute-Loue et d’un de ses affluents, le Lison. Autour de Mouthier-Haute-Pierre, le secteur de la rivière évoqué par le garde-pêche Cédric Nolin dans sa vidéo publiée sur facebook. 

L’important est que ces chiffres ne sont plus discutables. On sait exactement ce qui permettra de sauver les rivières karstiques de Franche-Comté, mais rien n’est encore décidé pour que l’on y parvienne. Tout va se jouer dans les deux années à venir.

De combien réduire les apports ?


Prochaine étape, déterminer les « flux admissibles », c’est-à-dire calculer à partir des « concentrations admissibles » les quantités de nitrates et phosphates qui s’écoulent dans la rivière pour un temps donné. Un appel d’offres national a été lancé pour choisir le cabinet d’études capable de déterminer ses « flux admissibles » pour les sous-bassins suivants :

  • Affluents de la Haute-Loue, principalement la Brême
  • Haut-Doubs
  • Haute-Loue et Lison
  • Basse Loue
  • Affluents Basse Loue (Furieuse et Cuisance)

L’objectif est de cibler le plus précisément possible de combien il faut réduire les apports. C’est assez complexe, car en milieu karstique, l’eau (chargée des nutriments qui nourrissent trop la rivière) prend des chemins qui ne sont pas toujours bien identifiés. Les récentes études du BRGM, Bureau de Recherches Géologiques et Minières, devraient pouvoir permettre au bureau d’études retenu de déterminer la « quantité d’apports admissibles » sur les terres agricoles et les dysfonctionnements des réseaux d’assainissement.
Les résultats de cette étude devraient être connus en septembre 2024.

« Une volonté politique forte »

« On n’attendra pas le dernier moment pour discuter » assure Cyril Thevenet, le directeur de l’EPAGE, l’établissement public chargé de l’aménagement et de la gestion de l’eau pour les parties amont des bassins-versants du Doubs et de la Loue, reliées entre elles par des circulations souterraines.
Si les « concentrations admissibles » ont été validées lors de la réunion du bureau de la CLE, Commission Locale de l’Eau, du 8 mars 2022, le chemin est encore loin pour la mise en place de nouvelles actions. Preuve en est à la lecture du compte-rendu de cette réunion, prochainement mise en ligne sur le site de l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue.
Stéphane Sauce, représentant de la chambre d’agriculture du Doubs et du Territoire-de-Belfort, souligne que « les concentrations admissibles sont faibles et, à mon sens, difficilement atteignables sur le bassin ».

Je m’inquiète de l’inscription formelle dès à présent de ces valeurs comme objectif à atteindre ce qui en l’état semble difficilement compatible avec l’agriculture existante sur le bassin

Stéphane Sauce, chambre d’agriculture du Doubs et du Territoire-de-Belfort


Pour Stéphane Sauce, « le temps politique n’est pas le temps du bassin, les chiffres présentés génèrent des craintes, car si on est à 7 mg/L après 20 ans de mise aux normes des STEP et des installations agricoles, si l’objectif est de 2,5 et 3,5 mg/L, l’atteindre sera difficile ». Le représentant du monde agricole souhaite toutefois avoir une « position de travail et avoir des objectifs qui soient ambitieux et réalisables. »

Philippe Alpy, président de la CLE et vice-président du département du Doubs, tout en étant agriculteur dans une exploitation du Haut-Doubs, s’est fixé un objectif clair. « Il faut une volonté politique forte, affirme-t-il devant le bureau de la CLE. Il faut quand même se regarder en face, à savoir que laisse-t-on aux générations futures, et c’est la mission de la CLE. »

Agir avant qu’il ne soit trop tard


Un des représentants des usagers, Gérard Mamet, par ailleurs membre de SOS Loue et rivières comtoises, souligne « l’urgence à mettre en place des actions, et qu’on puisse mesurer des effets. »

Ne voyant aucune amélioration du côté de la santé des poissons et de la qualité de l’eau des cours d’eau, le collectif de défense des milieux aquatiques s’impatiente. Gérard Mamet rappelle que le département a déjà arrêté les aides financières pour les exploitations agricoles qui ne choisiraient que le lisier comme système d’épandage (un choix moins favorable aux milieux naturels que celui du fumier) mais, pour lui, il faut rapidement « voir ce qui pourrait être fait pour améliorer le fonctionnement des STEP et des pratiques agricoles. »


Philippe Alpy l’admet, sauver les milieux aquatiques prend du temps. Non seulement pour réaliser des études, mais aussi pour prendre des décisions.

On sait que la marge de progrès à franchir pour les différents acteurs va être importante, avec une remise en cause de nos pratiques et de nos usages.

Philippe Alpy, président de la CLE, Commission Locale de l’Eau

Au cours de ce bureau de la CLE, le lancement d’une autre étude a été validée, celle sur la « prospective du changement climatique ». Il a été aussi question du Plan de Gestion de la Ressource en Eau. Comme souvent, tout est lié. Ces trois dossiers, flux admissibles, changement climatique et préservation de la ressource en eau s’imbriquent les uns dans les autres.

Etre ambitieux aujourd’hui n’est pas un mot fort, puisque si on conjugue le changement climatique, la rareté de l’eau et les activités humaines qui ne font que se densifier, peut-être qu’il faut anticiper avant d’être dans le mur.

Philippe Alpy, président de la CLE, Commission Locale de l’Eau


Jean Verneaux, le célèbre hydrobiologiste originaire de Franche-Comté, l’avait prédit, rappelle Pierre-Marie Badot, un des auteurs de l’étude du laboratoire Chrono-environnement. Dans les années 70, il était « le seul à le dire » . Pour garder une population de poissons normale dans la Loue, il y a des valeurs à ne pas dépasser, c’est désormais admis par tous.

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