Réédition du livre “Némorin des loutres” : une ode à la liberté dans les gorges du Doubs franco-suisse

Les éditions Coxigrue viennent de rééditer la célèbre biographie de Némorin Caille, dit Némorin des loutres, écrite en 1978 par Edouard Michel. Le livre avait rencontré un tel succès qu'il était épuisé. Il raconte la vie d'un trappeur de la vallée du Doubs franco-suisse.

C’est une histoire comme on les voit au cinéma. Celle d’un homme solitaire, vivant au plus profond d’une forêt, à deux pas du Saut-du-Doubs. L’histoire d’un chasseur, d’un pêcheur, d’un “bricottier”, d’un contrebandier à ses heures, mais avant tout l’histoire d’un amoureux de la nature, épris de liberté. Cet homme, c’est Némorin Caille, dit Némorin des loutres.

Son récit est conté pour la première fois en 1978 par Edouard Michel dans un livre éponyme. Le livre est aujourd'hui épuisé. Trouver un exemplaire était si difficile que Philippe Koeberlé, créateur de la maison d'édition bisontine Coxigrue, a voulu le rééditer.

Les éditions Coxigrue sont spécialisées dans le “nature writing”, genre littéraire qui met à l’honneur la nature, parfois sauvage et souvent menacée. L’éditeur donne un second souffle à la biographie dans une réédition parue en 2021. Elle comprend le texte intégral d’Edouard Michel précédé et suivi d’ajouts de Philippe Koeberlé, par ailleurs écrivain, et agrémenté de photographies.

Into the Wild à la franc-comtoise

On croirait lire le récit de Christopher McCandless dit Alexander Supertramp, cet américain qui a tout sacrifié pour aller vivre au cœur des forêts de l’Alaska et dont le bus mythique fascine toujours autant. Un peu à l’image de cet homme qui a inspiré Into the Wild de Jon Krakauer ; Némorin “c’est un trappeur dans le sens où on l’entend, comme les trappeurs du grand nord canadien ou de l’ouest américain, c’est un homme qui a vécu cette vie là” raconte Philippe Koeberlé. “Il faisait partie de la sauvagerie, du “wildness” comme disent les américains”. Mais loin des forêts de l’Alaska, c’est au fond des gorges du Doubs, rivière sauvage entaillant les plateaux du Haut-Doubs et séparant la France et la Suisse que notre personnage a vécu.

Le “dernier des trappeurs”

Né au Pissoux (Doubs) en 1850, Némorin doit son surnom à une de ses activités : chasseur de loutres. “Némorin [...] parle de sa vie et de ses captures, 48 loutres tuées dans sa carrière de chasseur et de pêcheur ; nombre de martres, de blaireaux, de renards. Certaines loutres pesaient jusqu’à 15 livres.” peut-on lire dans un article datant de 1932 du journal suisse Le Rameau de sapin.

A partir de 1889, en Suisse, une loi fédérale encourage l’extermination des loutres, considérées comme nuisibles en raison de leur appétit prononcé pour les poissons. Les Suisses donnaient des primes généreuses contre chaque peau de loutres car ils trouvaient qu’elles mangeaient trop de poissons et qu'elles allaient piller les piscicultures précise Philippe Koeberlé. Les mustélidés disparaîtront de la Suisse en 1989.

Le “vieux tueur de loutres”, vivait en autarcie, tirant sa subsistance, parfois difficilement, de la nature qui l’entourait. Il vendait ses truites, il avait besoin d’un petit peu d’argent mais cet argent ne lui servait qu’à réparer son filet, acheter des hameçons et manger aussi. Mais tout provenait directement de la nature, il n’y avait pas d’intermédiaire entre l'animal sauvage et Némorin explique Philippe Koeberlé.

Un beau jour au Chatelôt, Nemorin s’est assis, à côté du fourneau, à la table du patron. Son regard s’attarde sur une page de la feuille d’avis. Le communiqué est signé par la confédération. En caractères gras, au beau milieu du journal : proscription de la loutre. Le titre est assassin. Une mise à mort écrite par les lois fédérales. Le bourreau inconscient s’appellera Némorin

Sang d'Ancre

Chanson “Némorin des loutres”

Un prénom devenu lieu-dit, connu des randonneurs du GR5

“Némorin habitait à quelques kilomètres du célèbre saut du Doubs, une maison de cinq pièces, construite sur un rocher à l'aplomb du précipice: rez-de-chaussée en dur, étage en bois, toit de bardeaux, remise et grange jouxtant la construction du côté nord et lui donnaient cette apparence de cabaneindique Edouard Michel dans son livre.

Aujourd’hui, la maison est toujours là, mais n’appartient plus à la famille de Némorin. Pour préserver l’authenticité d’une vie grandeur nature, les propriétaires n’ont pas installé l’électricité et puisent leur eau de la source toute proche. Sur sa façade, un portrait de Némorin, et une plaque : “Chez Némorin”. L’endroit est devenu un lieu-dit indiqué sur les cartes et un bel havre de paix sur le passage du GR5.

Des admirateurs venus des deux côtés de la frontière

La vie du chasseur de loutres n’a pas inspiré qu’un récit. En 1985, un oratorio populaire pour chœur mixte, baryton solo, groupes de danse et orchestre lui a été consacré. La première a lieu au Temple du Locle. L’Impartial publiait “De mémoire d'hommes, on n'avait jamais vu cela, des auditeurs venus des deux côtés de la frontière, pour la création de «Némorin des Loutres» textes de Philippe Moser, musique Jean-Claude Guermann.

Une biographie, un oratorio mais également un titre du groupe régional de musique Sang d’Ancre. Ces musiciens, attachés à leurs racines franco-suisses, lui consacrent en 2016 un chant entraînant.

Sous le chapeau notre homme, le regard vif, les traits tirés. Il vit seul loin de tout, à l'écart des citadins. Pourtant son nom est connu de tous, son nom c’est Némorin. Il ne braconne pas pour le plaisir mais par seule nécessité. Il taquine le gibier, le troque contre quelques sous. [...] La chasse et la pêche ont fait sa réputation.

Sang d'Ancre

Chanson "Némorin des loutres"

Des paroles à retrouver sur les plateformes de streaming.

 

La nature : sauvage, prodigue et généreuse

La biographie de l’homme des bois nous plonge au cœur d’une époque révolue, époque de forte activité aux bords du Doubs, source d’énergie. Le barrage du Chatelôt n'existait pas donc le débit du Doubs était beaucoup plus important. C’était beaucoup plus habité car il y avait des moulins, des verreries, des taillanderies, des gens qui venaient travailler, qui rentraient chez eux le soir, des chariots qui amenaient le blé au moulin et qui repartaient avec de la farine. C’était un petit monde industriel qui n’avait rien à voir avec aujourd’hui.” semble regretter Philippe Koeberlé.

Némorin n’était pas reclus. "Parfois il revient à la civilisation, contourne les rapides et remonte le chemin, s'arrête à l'hôtel pour vendre son butin. écrit Sang d’Ancre. Il retrouvait régulièrement les habitants de la vallée au café des Taillard, au restaurant du Chatelôt ou celui des Graviers. Les arrière-grands-parents de René Favet tenaient le restaurant au Gravier. Il relate d’après les souvenirs de sa grand-mère : C’était un grand gaillard, jovial, assez sympa. Quand il arrivait au restaurant, il disait toujours “Salut les belles !. Il lui arrivait même de chanter. Mais il n’a jamais fait de scandale, ce n’était pas l’alcoolique que l’on décrivait, même si cela lui arrivait de dormir dans le talus. plaisante René Favet.

Une fois réchauffé, notre personnage de roman reprenait le chemin de sa maison isolée. Une odeur particulière et agréable règne dans l’allée. D’année en année, le tapis de feuilles mortes s’épaissit et sa composition dégage un parfum complexe et sensuel. Alors que le bruit du torrent n’est encore qu’un murmure, Némorin relève la tête et sort de ses rêves, il se sent déjà chez lui. Activant sa marche, il se retrouve bientôt devant la cascade du ruisseau dont la musique claire, à percussions multiples, couvre, le temps de son passage, le chant grave du torrent. écrit Edouard Michel dans son livre tout juste réédité chez Coxigrue. Un environnement magnifique mais difficile et sauvage selon Philippe Koeberlé.

“Les colonies de loutres ont toutes été décimées”

Presque un siècle plus tard, les conifères ont envahi le paysage. De la fenêtre où vivait Némorin, on n’aperçoit plus le Doubs en contrebas. Ce n’est plus la nature dans laquelle il a vécu, ce n’est plus une nature dans laquelle on peut vivre regrette l’éditeur, d'ailleurs membre du collectif de défense de l’environnement SOS Loue et Rivières Comtoises.

“De Némorin il ne reste plus que des histoires et un lieu-dit, un repère de pêcheurs, une rivière coupée de son lit. Les lieux ont bien changé. Un mur de béton a poussé pour permettre à l’humain de créer son électricité. Les colonies de loutres ont toutes été décimées. chantent gravement les musiciens du groupe Sang d’Ancre. Dans les années cinquante, le barrage du Chatelôt est construit pour produire de l'électricité.

“Le barrage ça a foutu en l’air la rivière s’indigne René Favet, les rivières sont trop empoisonnées". Les truites n’abondent plus la rivière et les loutres ont toutes disparu dans le Doubs. Selon Philippe Koeberlé “les loutres ont disparu à cause des barrages, des pesticides, de la pollution industrielle au PCB. Quand Némorin est mort, il restait encore des loutres, et il y a eu des loutres jusque dans les années 50. Il n’y a plus de loutres dans le Doubs maintenant.”.

C’était un prédateur au même titre qu’un lynx ou qu’un loup, mais il n'abimait pas la nature, il ne mettait aucune espèce en péril.

Philippe Koeberlé

Nostalgie d’une nature préservée

Némorin meurt finalement en 1933 à Flangebouche. “Il n’a vécu que de la nature, toute sa vie, jusqu'à 83 ans” s’émerveille Philippe Koeberlé, nostalgique. Il ajoute : la vie de Némorin est un témoignage de ce qu’était la nature avant qu’on l’agresse, avant le XXème siècle. C’était une vie difficile, dangereuse, où il fallait survivre mais la nature donnait tout.

Le vieux tueur de loutres laisse derrière lui une belle histoire, celle d’un monde perdu, d’une faune et d’une flore préservées. Écrivains, musiciens, enfants du pays, randonneurs et amoureux de la nature : tous ont été séduits par le personnage.

La réédition de 2021 de “Némorin des loutres” est déjà presque épuisée. Un nouveau tirage est prévu pour la fin d’année. Pour moi c’est le dernier trappeur français estime Philippe Koeberlé. Et René Favet de conclure : C’était une vie dure mais une vie beaucoup plus libre et proche de la nature. Je pense que Némorin n’aurait pas échangé sa vie avec la nôtre.”

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