Un an après le lancement d’une campagne nationale de sensibilisation au syndrome du bébé secoué (SBS), le Dr Anne Laurent-Vannier, neurologue spécialisée dans la détection et le traitement des blessures liées à cet acte de maltraitance très violent, a répondu à nos questions.
Sur le comptoir de la cuisine, entre les biberons qui sèchent et l’évier où s’accumule la vaisselle sale, un babyphone. Des pleurs de bébé s’échappent du haut-parleur. Et la voix d’un homme, excédé. “J’en ai marre ! Tu me pourris la vie !”. Les hurlements continuent quelques secondes, et puis, subitement, le silence s’installe. La vidéo se poursuit par un encadré : “Chaque jour en France, 1 bébé est victime du syndrome du bébé secoué”.
Voilà un an que la diffusion de ce clip de sensibilisation au syndrome du bébé secoué (SBS), financé par le ministère de la Santé, a débuté. A l’occasion de cet anniversaire, le docteur Anne Laurent-Vannier, neurologue spécialisée dans le diagnostic et le soin du SBS, fait le point sur l’avancée des connaissances.
Est-ce que vous avez constaté des avancées sur le sujet, depuis le début de cette campagne de communication de l’Etat, il y a un an ?
On ne peut pas conclure à des avancées flagrantes. On ne dispose pas de chiffres fiables, et il n’y a pas de structuration de la prévention du bébé secoué. La prévention repose encore trop sur des initiatives locales et liées à des personnes. En revanche, ces dernières années, la médecine a été d’un apport considérable.
Le secouement d’un bébé peut être à l’origine de symptômes très variés, dont certains peuvent être dissimulés, et il faut savoir évoquer les secouements devant ces symptômes qui peuvent aller d’un enfant simplement irritable, mangeant et dormant moins, jusqu’à la mort d’emblée.
En 2011, des recommandations ont été émises, et actualisées en 2017, par la Haute Autorité de Santé (HAS). Les professionnels étaient très en difficulté pour les diagnostics, pour dire si ce bébé a été ou non secoué. Ces recommandations sont déterminantes parce qu’elles donnent des méthodes de diagnostic et des critères objectifs à partir des lésions de l’enfant.
Quels sont les symptômes du SBS ?
C’est difficile à dire… Ce qui est sûr, c’est que quand un bébé est secoué, c’est un mécanisme d’une extrême violence. Dans les lésions caractéristiques, il y a l’hématome sous-dural multifocal. Ça veut dire qu’il y a du sang entre l’hémisphère droit et le gauche, entre la partie supérieure et inférieure du cerveau… Enfin il y en a partout. Il y a aussi la rupture des veines ponts. Ce sont des petites veines qui drainent le sang du cerveau et qui se jettent dans un collecteur en haut du crâne.
Or, ces lésions là, très caractéristiques, en dehors du SBS, on ne les retrouve que lors d’accidents de la voie publique très violents, ou sur certaines chutes de plusieurs étages. Ça montre que l’enfant a été victime d’une extrême violence.
Est-ce qu’il y a une sorte de tabou dans la société, quelque chose de mal accepté ?
On a du mal à imaginer qu’un adulte puisse infliger quelque chose comme ça à un enfant. Et je pense qu’il faut bien faire la différence entre avoir envie de secouer et le passage à l’acte. Je dis même que c’est presque anormal de ne pas avoir eu à un moment envie de passer un enfant par la fenêtre. Quand on est fatigué, qu’on arrive pas à calmer l’enfant, on peut avoir des pulsions.
Mais là, il faut vraiment que tout le monde connaisse l’énorme différence entre cette pulsion et le passage à l’acte qui est d’une extrême violence.
Il y a un mécanisme, quelque chose qui se produit, au-delà de la pulsion ?
Dans le SBS, il y a différents arguments scientifiques qui montrent qu’immédiatement, il se passe quelque chose. ça peut aller d’un simple “étourdissement”, l’enfant s’est “calmé”, il arrête de pleurer, on le met dans son lit et quelques heures après, dans les cas les moins sévères, quand on le reprend, en apparence, ça va bien.
Chaque année, il y a plusieurs centaines de cas de SBS diagnostiqués. Mais, vraisemblablement, et c’est une notion que l’on avait pas avant, il y a de nombreux cas qui ne le sont pas. Quand les enfants sont hospitalisés, qu’il y a un SBS diagnostiqué, dans les cas où il y a des aveux qui sont faits, et bien il apparaît que l’enfant a pu être secoué une fois, dix fois, parfois trente fois avant l’épisode qui a provoqué l’hospitalisation et permis le diagnostic. Si ces enfants n’avaient pas été hospitalisés, il n’y aurait jamais eu de diagnostic.
Or, sur ces lésions-là, le sang se résorbe dans les jours et semaines qui suivent. On ne pourra jamais faire le diagnostic. Et donc, ce sont des enfants qui pourront plus tard présenter des troubles de l’attention, de l’épilepsie, des troubles du comportement, sans qu’on puisse jamais rattaché ce handicap à un épisode de secouement.
En France, on estime qu'entre 400 et 500 bébés sont victimes chaque année du SBS. Selon Santé Publique France, ces données sont difficiles à mesurer. Environ 10% des victimes en mourraient.
Des supports de prévention sont disponibles sur ce site internet.