Bertrand Gimonet et sa femme ont perdu leur fils de trois mois et demi en 2014, à la suite de violences exercées par une assistante maternelle en Franche-Comté. Depuis, le père de famille a décidé de sensibiliser les jeunes parents au syndrome du bébé secoué.
Vivre avec l’absence, et tenter d’y donner un sens. Depuis sept ans, Bertrand Gimonet consacre tout son temps libre à la prévention du syndrome du bébé secoué (SBS), maltraitance infantile qui cause un traumatisme crânien, et peut entraîner la mort.
Parfois à Paris auprès des décideurs, d’autres fois au sein de l’association Enfance et Partage. Après la mort de son fils, Bertrand a écrit quelques livres jeunesse pour sensibiliser sur ces violences sur les nourrissons. Le premier raconte le quotidien d'un enfant de six ans qui a subi des secouements à l'âge de quatre mois, l'autre concerne le deuil d'une famille après la perte d'un enfant. Des récits inspirés par son histoire personnelle. Il raconte : « Je ne me dis pas : notre fils a été tué. Juste qu’il est décédé, c’est tout ». En octobre 2014, sa compagne et lui décident de débrancher Tom, âgé de trois mois et demi.
« Quelque chose n’allait pas »
Juillet 2014. Tom naît à Belfort lors d’une journée estivale. Un enfant lumineux, le deuxième de Bertrand et de sa compagne. Les deux parents travaillent, et cherchent une assistante maternelle pour garder leurs fils. « Sur une liste de personnes agréées, nous avons choisi Béatrice après de nombreux entretiens », se remémore-t-il. Le contrat est signé un mois avant l'arrivée de Tom. La famille habite à Seloncourt (Doubs), et la nourrice n'est qu'à cinq minutes en voiture.
La période d’adaptation s’effectue sans encombre. Les deux enfants sont gardés par cette assistante maternelle pour une, deux, puis plusieurs heures par semaine. « Au départ, rien de particulier. Tout se passe bien », se souvient Bertrand . Les premiers signes s’amorcent le 19 septembre 2014. « C’était un vendredi. J’étais venu le soir, vers 18 heures 30. Il faisait beau, et les garçons étaient dehors. Puis j’ai croisé ‘mon Tom’, et quelque chose n’allait pas, explique-t-il. Son visage tout blanc, livide. Dans sa poussette, il n’avait qu’un torchon de cuisine pour le couvrir. Il ne réagissait pas. » Le soir, l’enfant vomit, par jets. Sans fièvre, sans diarrhée. La gorge irritée. Le médecin conclut à une simple rhinopharyngite. « On lui donne du Doliprane, de l’Advil ». Le père accepte le diagnostic, sans être pleinement convaincu.
Dans son témoignage, Bertrand Gimonet se rattache aux dates, aux heures, tentant de rester le plus factuel possible. « Ma femme m’appelle, le mercredi suivant. J’étais à Paris pour le travail. » Il s’agit du 24 septembre 2014. L’état de Tom s’est aggravé. Les parents de sa compagne viennent chercher l’enfant, qui passe sa nuit à l’hôpital de Belfort. « J’arrive le lendemain, je n’ai pas dormi. » En observation jusqu’au samedi, l’enfant sort. Il est conclu qu’il a fait une allergie à la protéine de lait de vache. Bertrand se souvient : « Je retrouve mon fils, il va un peu mieux. »
« Mon cerveau s’est déconnecté »
Lundi 29 décembre 2014. Trois jours plus tard. Tout s’accélère. « Mon fils fait un arrêt cardiaque », lâche-t-il. Bertrand prend sa voiture, fonce chez la nourrice de son fils. Il croise le SAMU. « Ils allaient dans la même direction que moi. », se dit-il alors. Une fois arrivé, il observe les pompiers qui entourent son fils, le torse dévêtu, avec seulement une couche. Ils opèrent un massage cardiaque. Bertrand reprend son souffle : « Mon cerveau s’est déconnecté. J’étais sous le choc. »
Tom est transporté en urgence au CHU de Besançon. Au service de réanimation, le bébé plonge dans un coma profond. Les électrodes parcourent son corps. Le lendemain, mardi soir, une neuropédiatre prend les parents à part. « À ce moment-là, on se doute de rien », lance-t-il. Le médecin leur dévoile son diagnostic : l’enfant aurait subi des actes de maltraitance, au moins trois. « Viennent alors les questions pour comprendre ce qui s’est passé, énonce-t-il . Un entretien de deux heures. Le lendemain, on porte plainte contre X. »
« Tom est mort dans mes bras »
Pendant une dizaine de jours, l'évolution de la santé de Tom préoccupe. « J’inspecte le dossier médical en détail. Son cerveau est atteint. Son cerveau est mort. Il n’y a plus d’activité. Sur les IRM, son cerveau porte des marques, des lésions, détaille-t-il. Nous prenons la décision de débrancher Tom. Un dimanche. Le 12 octobre à 14 heures. Pour que les proches puissent faire leurs adieux à notre fils. Il est mort dans mes bras. »
2018. « Mon deuil a commencé avant le procès, mon corps a lâché », confie-t-il. Quatre ans après la mort de son fils, l'assistante maternelle est finalement condamnée à sept ans de prison, et une interdiction d'exercer toute activité en contact avec des enfants pendant cinq ans après sa libération. « Seulement sept ans de sa vie, quand l'absence de notre fils se fera ressentir jusqu'à la fin de nos jours », lâche Bertrand. Quelques instants de silence emplissent notre conversation. Le père de famille partage son histoire pour que ces drames ne se reproduisent plus. « C'est toujours difficile, mais le temps a fait son oeuvre, et la vie ne s'est pas arrêtée ». Depuis, Bertrand et sa compagne ont eu deux autres enfants.
Quels symptômes ?
Le syndrome du bébé secoué (SBS) est une forme de maltraitance. Il désigne un traumatisme crânien non accidentel, entraînant des lésions du cerveau. Le plus souvent causé par des secouements violents et répétés, il touche généralement les enfants de moins d’un an.
Des troubles neurologiques surviennent à la suite de mouvements brutaux. Les symptômes sont précis : une somnolence, une rigidité du corps ou alors une perte de tonus, des mouvements anormaux ou des convulsions, des difficultés respiratoires.
Quelques signes, plus communs, peuvent alerter : des vomissements et une diminution de l’appétit, mais aussi des pleurs inhabituels. L’enfant ne sourit plus et peut avoir des troubles oculaires.
Au moins 500 enfants touchés en France
Le syndrome du bébé secoué touche au moins 500 enfants en France. Ce chiffre pourrait être plus grand car il ne s'agit là que des cas déclarés. Il est en effet difficile de diagnostiquer les cas, et les signalements de bébés secoués sont rares. Un bébé sur dix décède à la suite des violences. 75% d'entre eux gardent des séquelles toute leur vie.
« Jouer n’est pas secouer. Secouer n’est pas jouer. » Derrière cet adage, une idée simple : le syndrome du bébé secoué est une vraie violence. Sur le site de prévention contre le SBS, deux vidéos au ralenti ont été réalisées pour montrer les dégâts que peuvent avoir de tels secouements sur un enfant.
- « Jouer n’est pas secouer »
- « Secouer n’est pas jouer »
Une campagne nationale a été lancée lundi 17 janvier pour sensibiliser au syndrome du bébé secoué. Elle est organisée par le ministère de la Santé et des Solidarités, et plus spécifiquement le secrétaire d'Etat chargé de l'enfance et des familles Adrien Taquet.