Femme victime de violence. Elle est l’une d’entre elles. A visage découvert, cette sexagénaire témoigne aujourd’hui. Forte. Pour elle, pour les autres. Dans le Doubs, Annie a vécu pendant 30 ans avec un conjoint violent et leurs enfants.
Elle nous confie son histoire à Ornans, la cité du peintre Gustave Courbet. Sur un banc, c’est une vie qui défile. Une relation ponctuée de coups, de violences psychologiques. Un témoignage recueilli par nos journalistes Stéphanie Bourgeot et Fabienne Le Moing.
“Les coups sont arrivés assez rapidement. C’était pour tout. Un repas mal fait, pas fait à l’heure, les enfants qui n’étaient pas rentrés à l’heure. Parce que je m’absentais et que ça n'allait pas pour lui”. Avec son conjoint, Annie a eu trois enfants, en plus des trois d’une première union. L’emprise s’est resserrée comme un étau autour d'elle. “Au début, je me disais, c’est parce qu'il n'était pas bien. Je suis restée parce que j’avais des enfants. Je me suis retrouvée à les protéger. Ils étaient trop petits pour que j’en m’en aille, je n’avais pas de travail”.
La violence physique est aussi verbale.
Il me rabaissait sans arrêt et à force de l’entendre, j’ai pensé que j’étais vraiment une personne sans ambition… Il me répétait souvent que j'avais de la chance de l’avoir. Il m’a dit : ``qui voudrait de toi ?.
Annie, femme victime de violence
Durant des années, Annie va subir. Sans trouver la force de réagir. Par peur aussi. “Pour avoir la paix, on essaie d’être insignifiante, on ne prend plus soin de soi. J’ai laissé les kilos m’envahir pour que les hommes ne me regardent pas, pour avoir la paix dans mon mariage”.
Plusieurs passages aux urgences
Annie n’a jamais osé porter plainte. “ Je me suis retrouvée plusieurs fois aux urgences. Ils connaissaient mon nom, me disaient : " vous n’avez pas encore porté plainte ?!" Non. J’avais mes enfants, je ne pouvais pas mettre en prison leur père” se souvient-elle. Elle appelle parfois la police, les voisins alertent. Les coups continuent.
"J'avais 58 ans, je me suis dit, ce n'est pas un âge pour se faire frapper"
En 2018, un 25 novembre, journée de lutte contre les violences faites aux femmes, Annie prend conscience du calvaire qu’elle a subi. “J’étais sortie de chez moi pour ne pas me faire frapper. Je marchais le temps qu’il se calme, qu’il s’endorme car il buvait. Et j’ai vu de la lumière à la salle des fêtes. C’était l'association Toutes des déesses. J’ai vu alors des personnes bienveillantes. Des femmes m’ont dit si c’est ton choix de partir, il y a plein d’aides, surtout en France. Tu peux être aidée avec les enfants, retrouver un appartement. Juste, il faut que ce soit toi qui décides et que ce soit le bon moment”.
Le bon moment arrive un jour. Elle ose dire à son conjoint qu’il faut qu’il parte. Un mois de répit. L’homme revient, et la discussion s’anime. “La dernière fois qu’il m’a frappé, j’ai vu tellement de haine… Il ne voulait pas me laisser refaire ma vie. Il m’a dit, si je ne t’ai pas, personne ne t’aura”. Annie trouve la force de se dresser face à son conjoint. “Je me sentais forte, j’ai appelé les gendarmes, ils sont venus en 5 minutes". Elle dépose plainte. Son conjoint est jugé en comparution immédiate. Il est condamné à un an de prison.
Le pardon pour se reconstruire
Face au père de ses enfants devenu violent, Annie choisit finalement aujourd’hui le pardon. “La relation, je n’en souffre plus, je lui ai pardonné, car je me suis dit que si je ne lui pardonnais pas, je ne pourrais pas continuer à avancer” confie la sexagénaire. “ Ce qui est paradoxal, c’est que c’est une personne qui, quand elle n’était pas alcoolisée, était une crème. Il avait une double face, il n’y a que moi et les enfants qui la connaissions”.
Entourée par l'association Toutes des déesses qui épaule dans le Doubs en milieu rural les femmes victimes de violences, Annie a cheminé vers une nouvelle vie. Oser se refaire belle. Oser s’asseoir à une terrasse. Oser regarder les hommes. Oser vivre. Travailler. Savoir enfin dire non.
Je me sens bien. Je voudrais dire aux femmes que malgré tout ce qu’on a pu vivre, des brimades, des coups. On peut s’en sortir si on le veut. Je sais que c’est compliqué. Quand on met le maltraitant dehors, on ne sait pas où est le danger… Après, on peut vivre tellement de belles choses !
Annie, femme victime de violences
Annie revit. Elle revoit son ex-conjoint dans le cadre des relations avec ses enfants. En France, en 2021, 143 femmes sont mortes de violences au sein du couple, contre 125 l’année précédente.
Femmes victimes de violence, les numéros utiles
3919 - Numéro d’écoute national pour les femmes victimes de violences
Ligne ouverte du lundi au samedi de 9h à 19h
En cas d'urgence composez le 17 ou un SMS au 114
Association Toutes des déesses (dans le Doubs) toutesdesdeesses.eirene@gmail.com