Dans le cadre du 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, nous donnons la parole à Eva Bronnenkant, co-présidente de l’association Solidarité Femmes 25. Victime de violences sexuelles étant enfant, elle a bénéficié de l’aide de l’association avant de s'engager pour aider d'autres femmes.
Cette militante pour les droits des femmes victimes de violences a un parcours remarquable. Non pas uniquement parce qu’elle oeuvre depuis plusieurs années au sein de l’association Solidarité Femmes Doubs, mais bien parce que son engagement est intrinsèquement lié à son histoire personnelle. “Il y a bien sûr l’envie de rendre ce que l’association m’a permis d’avoir. Ces associations sont là pour offrir un cadre bienveillant et sécurisant. C’est une nécessité pour que les femmes, ou les personnes victimes de violences, puissent poser des mots en pleine confiance. Si on n’assure pas ça, on ne peut pas parler, on ne peut pas faire sortir les choses”, nous explique Eva Bronnenkant.
Chaque année, environ 300 femmes entrent en contact avec Solidarité Femmes Doubs pour la première fois, orientée par le 39-19, le numéro d’écoute géré par la Fédération nationale de Solidarité Femmes, par d’autres structures ou spontanément. Eva Bronnenkant est depuis deux ans la co-présidente de l’association qui propose une aide complète aux femmes victimes de violences qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques. Elle accepte de fouiller dans des souvenirs douloureux, pour nous expliquer en quoi Solidarité Femmes a joué un rôle majeur dans sa vie.
“La prise de conscience a été violente”
Entre 8 et 14 ans, Eva Bronnenkant subit des viols et des attouchements sexuels de la part d’un ami de ses parents. “J’ai attendu d’avoir 20 ans pour porter plainte. J’ai pris conscience de ce que j’avais vécu dans mon adolescence. A cette époque, dans les années 90, on en parlait très peu. J’ai dû voir des films, ensuite un documentaire. La prise de conscience a été violente, se rappelle-t-elle. Il y a un moment où je me suis dit que porter plainte était nécessaire, et j’avais besoin qu’on entende ce que j’avais vécu. C’était une façon de prendre les choses en main. Je l’ai fait pour moi.”
Huit ans plus tard, au début des années 2000, son agresseur, déjà en prison pour des faits similaires, est condamné une seconde fois par la cour d’Assises. Au total, il écope de 10 ans de prison.
Après le procès, Eva Bronnenkant découvre qu’un groupe de parole pour femmes ayant subi des viols s’est constitué au sein de l’association Solidarité Femmes 25. “L’association m’a vraiment apporté un cadre sécurisant et bienveillant, pas jugeant. J’ai pu déposer plein de choses que je n'avais jamais pu déposer avant, sans me sentir jugée. C’est pas conscient, on vit avec. On ne met pas forcément de mot. On est dans la survie. Forcément la violence qu’on a vécue elle est intégrée en nous”, témoigne-t-elle. Le fait de partager avec d’autres femmes et d’entendre des mots qui résonnent en elle lui fait prendre conscience qu’elle n’est pas seule et que ses souffrances, ses difficultés sont totalement légitimes. “Ce n’était pas moi qui dysfonctionnais, c’est que ce que j’ai traversé avait un impact. J’avais le droit d’avoir ces difficultés-là”.
Je me dis que je le dois à la petite fille que j’étais. Il y a une blessure qui restera de toute façon, je le sais. Je suis pétrie de ça, mais je ne veux pas me résumer à ça.
Eva Bronnekant, co-présidente de Solidarités Femmes 25
“Rétrospectivement, en entendant d’autres femmes parler de leur parcours, je me rends compte que j’ai vraiment eu de la chance”, lance Eva Bronnenkant. Ce mot chance revient plusieurs fois au cours de notre échange. Elle parle de “chance” car elle a croisé sur son chemin des professionnels sensibles et à l’écoute. “Quand je suis allée porter plainte, je n’ai jamais ressenti qu’on remettait en cause ma parole. Je suis tombée sur un brigadier qui m’a vraiment écouté. Je suis tombée aussi sur une cour d’assises humaine”, se souvient-elle, jusqu’à la main de la présidente posée dans son dos, et cette phrase prononcée : “Merci d’avoir eu le courage de faire la démarche”.
“Je dis que c’est de la chance mais ça ne devrait pas être de la chance, ça devrait être normal pour toutes les femmes de pouvoir bénéficier de l’accompagnement que j’ai eu”, analyse-t-elle.
Comprendre et accompagner les femmes ayant subi des violences sonne comme une évidence pour la Franc-Comtoise. “Je le sens au fond de moi, parce que je suis passée par là”. Être membre active de l’association Solidarité Femmes, en plus de son travail d’enseignante, lui permet de se sentir utile. "Ça donne du sens. C’est aussi une façon d ‘accepter ce que j’ai traversé. C’est ma vie, voilà.”
“Les associations portent la souffrance”
Elle salue la force de toutes les femmes qui poussent la porte d’associations pour obtenir de l’aide. “Ces structures associatives sont essentielles. Si elles n’existaient pas, ce serait dramatique”, ajoute-t-elle. Eva Bronnenkant voit les choses évoluer dans le bon sens concernant la prise en charge des victimes de violences, même si le chemin reste long. “Il faut donner les moyens aux associations parce qu'elles portent la souffrance, ce sont des boules de souffrance et ce n’est pas rien…”
Elle milite également pour des tribunaux dédiés aux violences conjugales et une formation efficace des différents acteurs engagés sur cette question comme la police, la justice ou encore les personnels de santé. “D’entendre encore que des femmes vont porter plainte et ne sont pas reçues, ne sont pas écoutées, c’est violent”, rappelle-t-elle. La bénévole souligne aussi l’importance de la sensibilisation des plus jeunes.
L’accès à l’art, la danse et le théâtre, l’ont également aidée à se défaire en partie de ses chaînes psychologiques. “Tout d’un coup quand on trouve ça et que ça commence à sortir, c’est une vraie bouffée d’air. Car sortir de la survie, c’est ça l’enjeu. C’est long… Mais voilà ça fait du bien de se dire qu’on sort la tête de l’eau et que la vie peut être belle, et qu’on peut faire de belles rencontres… Et j’en témoigne”, conclut-elle dans un sourire.