Salon de l’agriculture : pourquoi les nouvelles règles de la filière Comté ne sont-elles toujours pas adoptées ?

Pendant que les visiteurs du salon international de Paris dégustent et achètent du Comté sur le stand de la première AOP de France, les discussions se poursuivent pour valider les nouvelles règles de la filière Comté. Déposées il y a deux ans à l’INAO, les modifications du cahier des charges ne sont toujours pas validées. Explications.

Dans les allées du salon de l’agriculture, les univers se mêlent à travers les allées et les halls. Les familles attendent leur tour pour acheter un morceau de terroir. La Fruitière de Franche-Comté propose à la vente du Comté, Morbier, Bleu de Gex, Mont d’Or, du Gruyère IGP et de l’Emmental grand cru. La star de ces AOP (appellations d’origine protégées), c’est le Comté. “Une filière organisée et solidaire", précise le site internet de la première appellation de France. “Ici, les agriculteurs viennent nous féliciter de ce qu’on a construit alors que chez nous on est décrié", constate Alain Mathieu, président du CIGC  , le comité interprofessionnel de gestion du Comté.  

Dans un autre hall, un aéropage d’hommes en costume-cravate occupe l’espace du ministère de l’agriculture. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, est en train de participer à un débat. C’est là que la directrice de l’INAO, Carole Ly, nous a donné rendez-vous.  

L’INAO (Institut national de l'origine et de la qualité) dépend du ministère. Cet institut a pour mission de garantir la qualité des AOP. C’est à l’INAO de valider les modifications du cahier des charges demandées par la filière Comté. Une validation qui se traduira par un arrêté ministériel. Selon l’INAO, il n’y aura pas forcément besoin d’un feu vert de l’Europe, les modifications demandées ne concernant pas la zone géographique ou le nom de l’AOP. Cette validation tant attendue de la filière Comté repose donc sur le vote de la quarantaine des membres du comité national, essentiellement des producteurs de fromages.  

Un dossier de 300 pages 

En 2020, la filière a déposé le fruit de son travail sur le bureau de l’INAO. Deux années de discussions de l’ensemble des acteurs de la filière Comté. 1054 participants au total ont donné leur avis pour faire évoluer les règles de leur filière. Depuis sa création il y a 65 ans, c’est la dixième fois qu’il y a des modifications.  

Ce cahier des charges, c’est une garantie pour le consommateur que le produit tienne ses promesses de qualité. La filière Comté veut aller plus loin en introduisant les principes du développement durable : des mesures concernent la fabrication du Comté mais aussi la structure économique des exploitations agricoles.  

Résultat : un dossier de 300 pages pour définir dans le détail l’évolution des conditions de fabrication du Comté. De la qualité de la prairie à l’étiquetage du Comté. “D’ordinaire", précise Carole Ly, "un cahier des charges, c’est 30 à 40 pages”. D’où cette instruction de dossier particulièrement longue. 

Pour "débroussailler” ces propositions, les membres de l’INAO qui sont eux aussi des producteurs, ont même créé un groupe de travail spécifique, baptisée “commission innovation”.  

Selon le dernier rapport d’étape de novembre 2022, la moitié des mesures proposées devraient être acceptées, 30% demandent une expertise approfondie car il s’agit d’évolutions techniques en particulier en ce qui concerne l’environnement. Reste 20% des mesures qui, pour l’instant, ne sont pas acceptées par l’INAO.  

Le statut du producteur en débat 

Le volet économique du nouveau cahier des charges du Comté est au cœur du débat qui oppose la filière et l’INAO. Avec en particulier, cette proposition :  

“Un producteur de lait à Comté est une personne physique, agriculteur professionnel, physiquement présente sur son exploitation et qui exerce une activité agricole significative sur le plan économique.” 

Proposition du nouveau cahier des charges

Autrement dit, la filière veut protéger le statut du producteur de lait à Comté. Alain Mathieu, le président du CIGC : "On défend un modèle familial, qui repose sur des exploitations agricoles dont les producteurs sont détenteurs de la majorité de leurs moyens de production.” 

Pour Carole Ly, la directrice de l’INAO, “l’objectif est noble” mais “un cahier des charges, c’est un simple arrêté, ce n’est pas la loi. Or le Comté met dans son cahier des charges des choses qui vont beaucoup plus loin que le produit".

C’est un peu une philosophie qui est mise dans le cahier des charges ; la façon dont ils voient l’exploitation agricole en Franche-Comté. Ils veulent utiliser le cahier des charges pour organiser la gestion de l’exploitation, ce n’est pas du niveau du cahier des charges. Les restrictions qu’ils veulent mettre dans le cahier des charges peuvent même porter atteinte à la liberté d’entreprendre et cela est du domaine de la loi.

Carole Ly, directrice de l'INAO  

La liberté d’entreprendre en question 

Ce n’est pas la première fois que la filière Comté adopte une attitude de frondeur. Lors des précédentes révisions du cahier des charges, certaines propositions n’étaient pas acquises d’avance. “L’obligation de la collecte de lait dans un cercle de 25 km a d’abord été refusée avant d’être adoptée dans les années 80”, rappelle Alain Mathieu. 

"Est-ce que le concept d’AOP doit s’élargir ? Aller au-delà de la promesse gustative, de la garantie de l’origine et des savoir-faire. Pour nous, à l’heure où l’agriculture se pose des questions, où la société se questionne sur la pérennité et la transmission des modèles agricoles ; le fait que les exploitants puissent être détenteurs de leurs moyens de production c’est essentiel pour nous."

Alain Mathieu, président du CIGC

En France, des domaines viticoles, des hectares de grandes cultures n’appartiennent plus à des agriculteurs mais à des investisseurs. Les producteurs de Comté ne veulent pas perdre la maîtrise de leur production. A l’heure de la fin des quotas laitiers en 2015, ils étaient parvenus à maintenir la limitation de la productivité à l’hectare dans la précédente modification du cahier des charges.  

Les discussions entre l’INAO et la filière devraient encore durer plus d’un an. L’INAO s’est fixé l’horizon 2024 pour rendre sa décision.  

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