TEMOIGNAGE. "Et là, on sait qu'on porte la mort" : Virginie, 34 ans, raconte son terrible parcours d’interruption médicale de grossesse et son deuil périnatal

Pour la journée mondiale du deuil périnatal, Virginie a accepté de partager le douloureux récit de sa deuxième grossesse, et de la naissance sans vie de son petit Hugo, en 2022.

Ce devait être l'un des plus beaux jours de leur vie, ce fut l'un des plus tragiques. Chaque année en France, environ 8 naissances pour 1.000 se font dans le silence. Un peu plus de 6.000 enfants naissent sans vie. Et 1.400 décèdent dans leur première semaine de vie. Un drame pour les familles, qu'elles ne cesseront jamais de porter.

Chaque 15 octobre, la journée mondiale du deuil périnatal cherche à briser le tabou sociétal qui pèse encore sur la perte d'un nourrisson. En 2022, Virginie et son compagnon ont perdu leur petit Hugo, après 6 mois de grossesse, et le difficile choix d'une IMG (Interruption médicale de Grossesse). Elle partage leur histoire.

"Il me dit 'je vois quelque chose qui n'est pas normal' "

Pour Virginie et son conjoint, tout commence au printemps. "Je suis tombée enceinte en mai 2022" se souvient cette aide-soignante de 34 ans. "On l'apprend, on est tellement contents qu'on le dit rapidement aux enfants". Virginie a déjà une fille de 7 ans, son conjoint un petit garçon de 4 ans. "Ma fille, c'était son rêve d'être grande sœur".

Le premier trimestre se déroule normalement. Pour la première échographie, la "T1", les enfants accompagnent Virginie et Émilien au centre hospitalier de Beaune (Côte-d'Or). "Dans la salle d'attente, mon conjoint me demande si ça va, et je dis 'je ne sais pas' " se rappelle Virginie. "Quelque chose me travaillait, je n'étais pas sereine"

Pendant l'examen, tout commence bien. "On entend les bruits du cœur, on voit un bébé bien dessiné à l'écran, on est contents" se rappelle-t-elle. Sa fille peut même, à sa demande, écouter une seconde fois le cœur. "Et là, le gynéco me dit 'est-ce que vos enfants peuvent rester seuls dans la salle d'à côté?' ".

J'ai tout de suite compris que cet enfant, il allait avoir des gros problèmes

Virginie, victime d'un deuil périnatal

Une fois les enfants sortis, pour le couple, c'est le début d'un long cauchemar. "Il me dit, 'je ne vous cache pas, je vois quelque chose qui n'est pas normal' " rapporte Virginie. La vessie du bébé est très grosse. "Par sécurité", le gynécologue prescrit des examens complémentaires. Virginie pleure. "Mon compagnon garde espoir'.

L'incertitude et l'angoisse

Il faut changer d'hôpital, monter au CHU de Dijon, pour une biopsie du trophoblaste, le futur placenta. "On m'anesthésie pour faire la biopsie, et le bébé bouge, il pose son cordon là où on doit piquer" raconte Virginie.

Impossible de réaliser l'examen, il faut attendre, et revenir deux semaines plus tard pour une amniocentèse, une analyse du liquide amniotique. "C'est stressant". Une échographie guide les gestes des soignants : "on me dit, qu'effectivement, la vessie a encore augmenté de taille".

Ensuite, il faut, une nouvelle fois, attendre, plusieurs semaines, les résultats. "On me dit qu'il n'y a pas de malformation génétique, mais que sa vessie est beaucoup trop grosse, et qu'en fait, il n'urine pas" raconte Virginie. "On nous dit, 'on fait quoi ?' ". Le couple est interloqué la question du médecin. "On fait quoi… Ben, on ne sait pas ? Nous, on ne sait pas" rapporte Virginie. Le silence se prolonge, elle comprend : "Je suis aide-soignante, il y a des termes que je connais".

"Je dis 'vous me dites qu'il va falloir que je subisse une IMG ?', se souvient-elle, on me répond : 'Je ne vous dis pas de le faire, mais effectivement, si la demande est faite, elle sera acceptée'." Interruption médicale de grossesse, le terme est lâché, Virginie s'effondre. "Mon monde s'est écroulé".

Je savais qu'il n'y avait pas d'espoir, mais là, c'était sûr, c'était dit

Virginie, victime d'un deuil périnatal

Incapables de se décider là, en quelques minutes, ils demandent un délai. Le couple a une semaine pour choisir, avant le rendez-vous suivant. "C'était trop douloureux" souffle Virginie.

La décision de mon cœur, c'était de le garder, mais je me disais que ça allait être difficile pour lui

Virginie, victime d'un deuil périnatal

Sur internet, elle découvre qu'une opération est possible. Au rendez-vous, elle demande "Pourquoi on ne m'en a pas parlé ? On m'a répondu 'ça ne sera pas chez nous, ça sera à Necker'." Agrippés à cette lueur d'espoir, fin août, Virginie et Émilien montent à Paris.

"Une vie de souffrance"

"Là-bas, on a vu un médecin très gentil, très explicite" décrit Virginie. Le couple en apprend enfin plus sur la pathologie qui touche leur enfant. "Il nous a dit que notre bébé allait arriver à terme sans problème, parce que dans le ventre ça allait, mais qu'à la naissance, ça serait compliqué" explique-t-elle.

Non-sollicités, les reins du petit ne se sont pas développés, ils ne fonctionneront jamais. "Il aurait fallu le greffer, mais pour ça il faut attendre qu'il fasse un certain poids, et les greffes de reins, c'est tous les 10 ans" énumère-t-elle. Se dessine une vie d'opérations, de dialyses, et de greffes. Nouveau choc pour le couple. "On se rend compte qu'on rentre dans un processus très, très compliqué" confie Virginie.

On réfléchit, on réfléchit… un jour, on garde, un jour, on arrête. En fait, on ne sait pas vraiment, et on voit le temps passer

Virginie, victime d'un deuil périnatal

Après des semaines d'un dilemme écrasant, les deux parents se décident : "une vie de souffrance, ça n'est pas possible". Ils demandent au personnel soignant une IMG. "Je me revois signer, en me disant, 'tu signes l'arrêt de mort de ton enfant', se souvient Virginie. Mais je sais que si je l'ai fait, c'était pas amour. Je l'ai libéré de tout ça. Il aurait souffert énormément."

J'ai préféré endosser cette souffrance-là plutôt que de la lui laisser et, moi, avoir mon bonheur

Virginie

 "On porte la mort"

Le rendez-vous est pris. "C'était le 28 octobre". Virginie est enceinte de six mois. "Je suis arrivée sur le parking, je pleurais, parce que je savais qu'on arrivait à trois mais qu'on repartirait à deux". "On rentre quand même, on n'a pas le choix" raconte-t-elle.

Commence une longue attente. "On me donne des médicaments, on ne m'explique pas forcément". Virginie est dans un état second. Un médecin arrive, il doit administrer les produits qui arrêteront le cœur du bébé. Elle ne voit pas la manipulation, qui se fait derrière un champ chirurgical. "On nous dit, 'ça y est, c'est fait'. Et là, on sait qu'on porte la mort" lâche Virginie.

Son accouchement est déclenché. Là encore, le sort s'acharne. Sa péridurale se débranche, on lui donne de la morphine contre la douleur. "J'étais complètement droguée, je n'étais plus connectée" décrit-elle. "On m'a volé mon accouchement, je ne me souviens plus de rien". Après la naissance, Hugo est emmené, pour "faire des radios".

"J'étais tellement heureuse de le voir, et tellement triste de le voir sans vie" 

À cette journée, déjà traumatisante, va s'ajouter un souvenir particulièrement choquant. Après quelques minutes, "la porte s'est ouverte, le bébé est arrivé, on l'a posé dans un berceau" explique Virginie. "J'ai ouvert les yeux, et mon conjoint a dit 'il est vivant ?!" ". L'espace d'une seconde, estomaqué, le papa d'Hugo s'est demandé s'il ne l'avait pas vu bouger. "Mais non".

La vessie d'Hugo, qui ne s'est jamais vidée, a, au fil des semaines, déformée son torse. "Il était rempli d'eau… La couverture bougeait" souffle Virginie. Le couple est dévasté, sous le choc. "On ne nous a pas proposé de le porter, de l'amener en douceur… ", regrette la maman.

Victime d'une septicémie, Virginie reste plus longtemps que prévu à l'hôpital. Après quelques jours, une infirmière propose une nouvelle rencontre avec leur enfant, dont le corps n'est pas encore parti en autopsie. "À la fois, j'étais tellement heureuse de le voir, et tellement triste de le voir sans vie" explique-t-elle. "Mais quand j'étais avec lui, j'étais bien", le couple peut prendre quelques photos, faire ses adieux.

Hugo a été enterré quelques jours plus tard, "à côté de chez nous, au cimetière".

"Tout le monde a oublié, sauf nous"

Aujourd'hui, le premier anniversaire de la naissance d'Hugo approche. Virginie aimerait marquer cette date : "Je ne peux pas faire comme s'il n'était pas là". "Quand je me réveille, je pense forcément à mon fils" raconte Virginie. "Là, il aurait eu presque un an, il tiendrait surement debout aux barreaux de son parc…" ajoute-t-elle.

Dans leur maison, des photos d'Hugo, "de ses mains, de ses pieds", des peluches qui lui étaient destinées, entretiennent son souvenir.

"J'appréhende énormément les un an, parce que tout le monde a oublié, sauf nous" s'étrangle la mère endeuillée. "Les gens étaient là, au début, mais pour les parents, c'est un combat de tous les jours, je pense jusqu'à la fin de notre vie".

On parle de notre fille, de notre fils, des cousins, des compagnons, mais lui non jamais, jamais personne ne pense à lui

Virginie

Depuis un an, Virginie, son conjoint et leurs enfants vivent avec ce deuil. Toute la famille a reçu un suivi psychologique. "Les enfants ont repris leur vie, avec leur innocence", même si la disparition d'Hugo fera toujours partie de leur histoire. "Le petit de quatre ans, rapporte Virginie, tous les jours, il va nous dire 'bébé Hugo, c'est mon frère, mais il est enterré'. C'est dur".

Le jugement des autres

Après son congé maternité, Virginie n'a pas réussi à revenir durablement au travail : "je ne suis plus la même personne qu'avant" avoue l'aide-soignante. Elle dénonce "les jugements", contre ce choix d'IMG, et des réflexions violentes, face à l'ampleur de sa peine : "mais vous ne l'avez pas connu", "il vaut mieux à six mois de grossesse que quand il aurait eu deux mois", "maintenant, stop, tu arrêtes et tu reprends ta vie". "Laissez-moi vivre ma peine sans jugement" demande-t-elle.

Elle redoute maintenant ces instants de la vie courante, anodins pour beaucoup, où l'on risque de lui demander combien d'enfants elle a : "Je dis 'deux'. On me demande quel âge ils ont, je dis, 'Léa a 7 ans et Hugo est décédé" raconte-t-elle. "Et souvent, ils se braquent et arrêtent la conversation, ou alors, c'est là que sortent ces phrases".

Maman endeuillée, Virginie a tenu à partager son récit : "sensibiliser, c'est important, parce que ça arrive et que ça détruit des familles". "Si plus de personnes étaient sensibilisées, on aurait peut-être moins de réflexions déplacées", ajoute-t-elle. "On est très malheureux, mais si vous ne nous aidez pas, on ne pourra pas avancer".

Pour Virginie le chemin du deuil est encore long. Peut-être, un jour, passera-t-il par l'arrivée dans leur vie d'un nouvel enfant. C'est ce qu'elle espère, tout en sachant qu'Hugo ne la quittera jamais.

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