Elles touchent 250.000 personnes en France mais leur acronyme reste encore méconnu : les MICI, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), dont c’est la journée mondiale vendredi 19 mai. Pour l’occasion, des personnes concernées par Crohn et la RCH ont témoigné de leur quotidien, avec la volonté de briser les tabous autour de ces maladies invisibles.
“On a presque bonne mine parce qu’on a pris de la cortisone, alors qu’en réalité, on vient de passer des heures à être plié en deux et à vomir”, décrit sans langue de bois Chloé Lalarme, 25 ans, lorsqu’elle évoque sa pathologie. “C’est une souffrance invisible, mais qui détruit”, assène cette jeune femme de Besançon (Doubs) atteinte depuis ses 7 ans de la maladie de Crohn. Urgences pour aller aux toilettes, sang dans les selles, alternances de transit, douleurs au ventre, vomissements, articulations douloureuses et grande fatigue… Des symptômes bien loin du “petit mal de ventre” ou de la “petite gastro” souvent évoqués, soit par méconnaissance, soit par gêne, selon qui les prononce.
“Les Français n’en parlent pas spontanément parce qu’il s’agit de l’intestin, ça touche à l’intimité et à la pudeur”, concède Lucine Vuitton, gastro-entérologue au CHU de Besançon, à propos des MICI, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, qui regroupent la maladie de Crohn (MC) et la rectocolite hémorragique (RCH). Plus de 250.000 personnes sont pourtant concernées en France et entre 1.000 et 1.500 patients sont suivis régulièrement au CHU de Besançon, d’après la soignante, également responsable de l’activité clinique et de recherche des MICI. 55% des personnes touchées sont des femmes.
Crohn et RCH à l’honneur
La journée mondiale des MICI, vendredi 19 mars, a donc vocation à les visibiliser pour briser le tabou qui les entoure. D’autant que sur ces vingt dernières années, leur incidence a augmenté d’1% par an. Leur cause étant multifactorielles, plusieurs pistes, selon Lucine Vuitton, peuvent expliquer l’augmentation des cas : la modification de notre alimentation avec des aliments ultra-transformés, le fait d’être exposé aux antibiotiques dans la petite enfance ou la pollution.
Le diagnostic, parfois après plusieurs mois ou années d’errance médicale, se fait souvent entre 15 et 30 ans. Comme pour Olivia Boutterin Chevalier, 31 ans, qui a découvert il y a deux ans qu’elle souffrait de RCH depuis son premier enfant, il y a dix ans, avec des phases de poussées de la maladie après les accouchements. “Chez moi, ils font revenir la maladie, mais entre les deux, ça allait mieux”, commente-t-elle depuis Gray, en Haute-Saône, où elle habite.
Cette alternance de périodes de crises et de rémission, qui peuvent durer jusqu’à plusieurs années, sont typiques des MICI, qui sont des maladies chroniques. Toutes deux se caractérisent par une inflammation de la paroi d’une partie du tube digestif, dont on ne guérit pas, sans pour autant diminuer significativement l’espérance de vie, souligne Lucine Vuitton.
Des soins lourds et réguliers
Reste que la maladie s’insinue dans tous les pans de vie des patients. En août 2021, Olivia Boutterin Chevalier en vient même à douter de la tenue de son mariage : elle est en période de crise depuis trois mois et peine à obtenir un traitement. Elle commence ensuite à prendre 18 cachets par jour, qui lui font prendre 20 kilogrammes, avant de passer à des piqûres toutes les six semaines, et même davantage pour soigner un psoriasis.
“Actuellement je suis en crise, mais grâce à ça je ne vais plus aller aux toilettes vingt fois par jour et je m’empêche moins de sortir."
Olivia Boutterin Chevalier, atteinte d'une RCH
“Actuellement, je suis en crise, mais grâce à ça, je ne vais plus aller aux toilettes vingt fois par jour et je m’empêche moins de sortir”, indique-t-elle en précisant que lorsqu’elle a une grippe, elle ne peut pas suivre son traitement à cause de sa défense immunitaire fragilisée. La RCH implique également de réaliser des coloscopies tous les deux ans. Cette année, Olivia en est déjà à sa quatrième, ce qui est source de pertes de mémoires dues à l’anesthésie générale.
De son côté, Chloé Lalarme doit aussi suivre des soins lourds pour espérer diminuer les douleurs, mais surtout pour vivre. En 2017, avec un intestin grêle attaqué, un tube digestif perforé et des occlusions tous les deux jours, il restait une seule option pour sortir de cet “enfer” : l’opération pour la pose d’une poche de stomie, collée à l’abdomen, qui recueille les selles. Malheureusement, sans côlon, l’absorption des aliments par son corps est tombée à 30%. “Il faudrait que je mange dix fois plus que quelqu’un de normal pour être correctement alimentée”, illustre-t-elle.
Le mois dernier, la jeune femme pesait 35 kilogrammes pour 1 mètre 70. Tout juste sortie d’une hospitalisation d’un mois, elle doit désormais être branchée 14 heures par jour, de la soirée au matin, avec un cathéter directement relié au cœur qui nécessite un protocole très strict. C’est ainsi qu’elle est nourrie et hydratée pour éviter la dénutrition. “J’ai plus d’heures de soins que de sortie. Quand l’infirmière me dit ‘je te débranche, tu peux sortir une heure’, j’ai l’impression d’être en prison. On est prisonniers de la maladie”, déplore Chloé, sans toutefois perdre de sa gaîté.
Acquérir une qualité de vie
Un sentiment que le CHU de Besançon veut limiter autant que possible. Pour cela, depuis septembre 2021, un poste d’infirmière coordinatrice MICI a été créé. Son rôle est de gérer l’ensemble du parcours de soin d’un patient, de l’annonce du diagnostic à la mise en place du traitement et à sa réalisation. Selon Victorine Jacot, l'infirmière en question, le mot d’ordre est de “favoriser la qualité de vie des patients”, jugée centrale. Outre le suivi de A à Z avec des psychologues ou diététiciens, l’objectif est aussi d’être une oreille bienveillante avec des consultations sur demande.
Et ce pour répondre aux enjeux d’un quotidien avec une maladie chronique. “On essaie d’apaiser les symptômes handicapants et on leur apprend à vivre avec, par exemple pour les étudiants grâce à des exercices de respiration avant un examen”, détaille Victorine, également infirmière en éducation thérapeutique au CHU. De plus, sur demande des patients et depuis 2023, la prise en charge en ambulatoire a pour but de limiter le temps passé à l'hôpital.
“J’essaie de gratter des heures de vie en négociant avec l’hôpital, et ils jouent le jeu, se réjouit-elle. C’est un équilibre à trouver. J’ai tellement galéré que le peu de temps où je suis dehors, j’ai une sorte d’urgence de vivre.”
Chloé Lalarme, atteinte de la maladie de Crohn
S’il est difficile, avec cette maladie fluctuante, de se projeter dans des loisirs, un week-end de voyage ou des vacances, ce n’est toutefois pas impossible. Chloé Lalarme, désormais suivie au CHU de Lyon au vu de la gravité de sa maladie à la forme “atypique”, a notamment pu en organiser de temps à autre. “J’essaie de gratter des heures de vie en négociant avec l’hôpital, et ils jouent le jeu, se réjouit-elle. C’est un équilibre à trouver. J’ai tellement galéré que le peu de temps où je suis dehors, j’ai une sorte d’urgence de vivre.”
De petites victoires du quotidien qu’elle raconte justement sur son compte Instagram Le_combat_de_popeye, inspiré de son surnom, elle qui répétait vouloir être “forte comme Popeye”. “Même si c’est ironique au vu de ma corpulence”, plaisante-t-elle sur le même ton humoristique que ses contenus. Des recettes de gâteaux compatibles avec les MICI, des photos d’elle en quad ou des conseils, voilà ce que ses plus de 5.500 followers peuvent lire en ligne. “C’est un témoignage permanent pour montrer qu’il y a la maladie, mais aussi des solutions pour passer outre”, explique celle qui poste régulièrement depuis une longue hospitalisation en 2017, année de sa première opération.
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Dédramatiser pour tenir le coup
Nombre de ses posts abordent notamment la stomie, qui cristallise beaucoup d’appréhensions et de doutes. “On a peur que la poche craque ou qu’elle s’ouvre, il y a un temps d’adaptation, mais c’est possible de vivre normalement, de faire du jetski, d’aller à la piscine ou d’avoir des enfants”, témoigne Florence Chatelet, malade de Crohn âgée de 30 ans. Elle en sait quelque chose puisqu’elle est tombée enceinte un an et demi après la pose de sa stomie. La peur, le doute et l’appréhension l’envahissent alors, avant d’apprendre qu’elle peut garder son bébé.
“On a peur que la poche craque ou qu’elle s’ouvre, il y a un temps d’adaptation, mais c’est possible de vivre normalement, de faire du jetski, d’aller à la piscine ou d’avoir des enfants."
Florence Chatelet, malade de Crohn
Partager son expérience, aider, sensibiliser, expliquer, montrer l’envers du décor… Voilà qui revêt une grande importance pour la connaissance des MICI dans la société. C’est le combat porté avec entrain par Chloé Lalarme lorsqu’elle raconte son quotidien entre les soins et les hôpitaux. “Ça m'a aidé à l’assumer et ne plus avoir peur du regard des autres”, analyse-t-elle, heureuse des nombreux commentaires ou messages privés qu’elle reçoit : du soutien ou des personnes en quête de conseils, de partout en France, voire en Belgique ou au Canada. Grâce à son compte Instagram, elle a pu s’entourer d’autres concernés, “des frères de galère”, dont plus d’une dizaine avec qui elle a créé des liens et qui sont aujourd’hui devenus “une famille”, selon ses mots.
Un accompagnement et une solidarité salvatrice pour les malades, qui ont poussé Célia et Alice à créer, en 2019, l’association franc-comtoise HelloMICI. Le credo ? Pouvoir parler, entre malades ou entre aidants, de problématiques quotidiennes : “La gestion de la douleur, la fatigue, avoir des enfants, comment gérer l’administratif et quels appuis on peut avoir”, énumère Alice Fostel, la vice-présidente, envieuse à travers cette liberté de parole de “voir le positif dans la maladie et d’en faire une force plutôt qu’un handicap”.