Cauchemars, difficulté à se projeter dans le futur, angoisses, etc. Les émotions négatives liées aux problèmes écologiques présents ou futurs touchent de nombreuses personnes. En Bourgogne-Franche-Comté, certaines nous livrent leur témoignage.
Ils ont entre 16 et 28 ans, militants Jeunes écologistes ou Extinction Rebellion. Lycéens, étudiants pour la plupart, avocats ou ingénieurs pour d’autres. Ils ont un point commun : l’état de notre planète est ou a été une source d’anxiété. Le terme générique pour les décrire est celui d'éco-anxieux, mais comme le résume Aimé*, étudiant ingénieur agronome à Dijon : "Le problème ne vient pas de la personne, mais de l'environnement".
L’anxiété n’est que le symptôme d’un système crasseux avec lequel on va droit dans le mur.
Alexandre*, avocat en droit de l’environnement, activiste Extinction Rebellion à Dijon
Éco-anxiété, quésaco ?
“Je pense qu’on devrait dire “je ressens de l’éco-anxiété” plutôt que “je suis éco-anxieux”, qui donne une consonance médicale au terme”, rectifie Aimé*, également militant du mouvement social écologiste de désobéissance civile Extinction Rebellion. L'éco-anxiété n'est pas reconnue comme une maladie (elle ne figure pas dans le "Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux" de l'Association Américaine de Psychiatrie), contrairement au trouble anxieux.
Pour Thierry Brugvin, enseignant-chercheur en psycho-sociologie au sein du laboratoire Logique de l’agir à l’Université de Franche-Comté, l’éco-anxiété est une “anxiété générée par les problèmes écologiques présents ou futurs”. “On peut aussi être éco-dépressif ou ressentir de la solastalgie, c’est-à-dire une profonde tristesse liée à la dégradation de l’environnement”, poursuit l’enseignant-chercheur, également psychopraticien à Besançon.
Une menace “grave et grandissante”
Selon ce dernier, le phénomène d'éco-anxiété s’est accentué “quand Pablo Servigne a publié son livre “Comment tout peut s’effondrer” (Seuil, 2015), dans lequel il a inventé le terme de collapsologie. Ainsi, les pays du Nord ont pris conscience que les problèmes d’alimentation et d’approvisionnement en eau liés au réchauffement climatique allaient aussi les toucher violemment”. Il ajoute : “Avant, il y avait le mouvement de la décroissance, selon lequel on risquait une pénurie de matériaux ou d’énergie, maintenant, avec le réchauffement climatique, on risque la mort liée aux famines”.
[NDLR : La collapsologie est une approche pluridisciplinaire qui s'intéresse à l'effondrement possible de notre civilisation.]
“Le changement climatique fait peser une menace grave et grandissante sur notre bien-être et la santé de la planète” avertissent en effet les experts du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) dans leur dernier rapport du printemps 2022.
60 % des 16 à 25 ans « très » ou « extrêmement » préoccupés par le changement climatique
La menace climatique inquiète particulièrement les jeunes. D’après une étude, menée en 2021 par la revue « The Lancet Planetary Health » auprès de 10 000 jeunes, (âgés de 16 à 25 ans et dans dix pays du monde, du Nord comme du Sud), près de 60 % ont déclaré qu'ils se sentaient "« très » ou « extrêmement » préoccupés par le changement climatique".
45 % d’entre eux affirmaient que l’éco-anxiété affectait négativement leur vie quotidienne.
Pour Marie-lou, en terminale au lycée Pasteur à Besançon et membre du bureau exécutif des Jeunes écologistes de Franche-Comté, cette angoisse se matérialise par des cauchemars récurrents de catastrophes naturelles, “des tsunamis, des incendies, des inondations". “Quand l’Amazonie brûlait, j’en faisais des crises d’angoisse”, se rappelle-t-elle.
Selon la même étude de « The Lancet Planetary Health », en France, 73,8 % des sondés affirmaient “l'avenir est effrayant”. La difficulté à envisager, à se projeter dans le futur à long, et même court terme prévaut donc. “Pour être honnête, je n'arrive pas à me projeter collectivement”, soupire Nolwenn*, 19 ans et militante Extinction Rebellion à Dijon. “Je suis paralysée, angoissée par l’avenir” raconte Marie-lou. “C’est difficile de penser à sa retraite ou à accumuler de l’argent quand on se dit que dans 10 ans, cet argent aura peut-être une tout autre valeur”, conçoit Aimé*.
Anxiété, dépression, culpabilité et déni : les 4 émotions négatives identifiées comme liées aux problèmes écologiques
Pour Andréa, Jurassienne en études de céramique à Longchamp (21), l’anxiété liée à l’écologie a surgi durant son année de terminale sous une forme qui se rapproche de la dépression : insomnies, perte d'intérêt, sentiment de culpabilité, etc. "Je n’avais plus envie de faire grand-chose. J'avais arrêté l'athlétisme à cause de ça et je regrette aujourd'hui… Je ne voyais plus l'intérêt d'aller en cours, je m'y sentais complètement inutile alors que le problème était, et est encore, super urgent“, se rappelle-t-elle. “Ça a duré 7 mois au plus fort”.
D’autres sont plus fatalistes face à la situation, sans pour autant rester attentistes ou baisser les bras. “Ça ne me met pas dans un état de stress. C’est nihiliste comme vision, mais pour moi il n’y a pas d’avenir”, admet Alexandre*. “Je suis un peu punk sur les bords, plaisante-t-il, à penser qu'on n'a pas de futur. Heureusement qu’il y a un peu d’espoir qui prend le dessus”.
Guillaume, 24 ans, ingénieur dans le domaine ferroviaire, militant Extinction Rebellion et animateur de la Fresque du Climat à Dijon, explique être passé par une phase durant laquelle le moindre acte de consommation le faisait culpabiliser. “Tu te dis “ce n'est pas bien, ça pollue”, tu te remets constamment en question”. Il ajoute, “quand je prenais la voiture, ça me révulsait. Aujourd’hui, j’ai compris que si tu faisais de ton mieux, ce n'était pas grave si tu n’étais pas parfait”.
Tu te dis que c’est foutu. Mais c’est hyper pessimiste et ça plombe le moral. Il ne faut pas oublier de vivre.
Guillaume, ingénieur dans le domaine ferroviaire, militant Extinction Rebellion et animateur Fresque du Climat à Dijon.
“Les actions individuelles [NDLR : faire attention à sa consommation d’eau, de déchets, à son mode de transport, etc.] peuvent soulager l’anxiété, même s’il ne faut pas culpabiliser les personnes si elles achètent une paire de chaussures neuves ou si elles prennent une fois l’avion” ajoute Marie-Lou, complétée par Thierry Brugvin : “on a développé le “fly shame” (honte de prendre l’avion), mais c'est plus complexe que cela”.
“Une personne riche qui prenait auparavant l’avion régulièrement et qui va arrêter dépensera son argent ailleurs et donc ça ne change que très peu le problème”. On appelle cela l'effet rebond. L'enseignant-chercheur rappelle la corrélation entre niveaux de richesse et impact environnemental. "La solution serait de travailler moins pour gagner moins et donc dépenser moins. Faire de la vraie décroissance, et non pas seulement de la croissance sobre".
“Apporter sa pierre à l’édifice”
Pour Thierry Brugvin, lui-même militant Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne) et Extinction Rebellion, cette anxiété peut-être apaisée “en étant actif, en s’engageant dans des associations environnementales et sociales”. “Cela permet de se sentir utile, de faire sa part et de se déculpabiliser” complète-t-il. « Sa part », c’est celle que préconise le mouvement Colibris créé par Pierre Rabhi. Thierry Brugvin conseille également l'écopsychologie.
Si le monde s’écroule, je me sentirai moins coupable en ayant agi.
Thierry Brugvin, enseignant-chercheur en psycho-sociologie du laboratoire Logique de l’agir à l’Université de Franche-Comté
“Faire sa part” à une signification différente pour chacun. Alexandre*, avocat en droit de l'environnement, a "le luxe d'agir dans son activité professionnelle" ; Guillaume est devenu fresqueur ; Nolwenn*, étudiante en maïeutique, a choisi une filière d’études “qui a du sens et qui sera utile quoi qu'il arrive” et Thierry Brugvin écrit des articles sur sa recherche d’alternatives sociétales.
“C’est ça qui m’a sauvé, s'exclame Marie-Lou, "de me mobiliser, de rencontrer des gens qui vivaient la même chose, d’intellectualiser le phénomène et d’imaginer des solutions. Je ne vois plus l’avenir comme une fatalité”.
“Avoir l'impression d'agir, même un peu, cela soulage beaucoup, ajoute Andréa, notamment au niveau du sentiment de culpabilité qui peut parfois se faire sentir”.
Mes angoisses reviennent par périodes : quand l’Amazonie brûle, durant la Coupe du Monde au Qatar, de savoir que la COP 28 se tiendra à Dubaï, etc. Le GIEC nous a dit qu’on avait 3 ans pour agir et je me dis “là, c’est foutu".
Marie-Lou, 16 ans, lycéenne à Besançon et membre du bureau exécutif des Jeunes écologistes de Franche-Comté
“Il faut aussi prendre soin de soi et se réserver des temps pour d’autres sujets”, estime Nolwenn*, “pour souffler”.
"S’impliquer dans des causes qui font sens"
“Il y en a plein qui réussissent à surpasser leur anxiété” rassure Thierry Brugvin, dans un petit sourire. “Au début, tu es éco-anxieux, et puis tu te renseignes sur les leviers que tu peux actionner, et cela évolue, tu deviens lucide ou “éco-furieux””, raconte Guillaume. “C’est tellement viscéral, qu'on agit parce qu’on n'en peut plus” poursuit Alexandre*.
Thierry Brugvin confirme que “s’impliquer dans des causes qui font sens, se sentir utile et prendre du temps pour cela, pour de la convivialité, sont ainsi des techniques d’écologie sociale aux effets positifs.”
“Je n'ai pas totalement surmonté mon éco anxiété, mais le confinement m'a permis d'énormément jardiner. Ça m'a beaucoup soulagé de faire quelque chose de concret et utile et de voir que j'étais capable de cultiver” ajoute Andréa.
Évaluer son empreinte carbone ou participer à une Fresque du Climat peuvent être une bonne façon de prendre conscience de son propre impact sur le réchauffement de la planète et des axes de progression possibles, de comprendre le fonctionnement du changement climatique et de commencer à agir efficacement à son échelle.
* Le prénom a été modifié à la demande de la personne afin de préserver son anonymat.