Durant 6 mois, de janvier à juillet 2023, l'atelier de la Grande Oye, à Lods dans le Doubs, s'est vu confier la construction de 12 pièces de charpente, qui doivent être prochainement assemblées sur la cathédrale, à Paris. Un savoir-faire millénaire, qu'il a fallu adapter à un cahier des charges très précis, et une immense fierté.
Elle est sise sur les rives de la haute Loue, à Lods. L’entreprise de charpente pré-industrielle de Paul Zahnd est spécialisée dans la construction de charpentes dites de technique ancienne.
Travail à la main, outils ancestraux, l’Atelier de la Grande Oye maîtrise un savoir-faire séculaire qui lui permet d’intervenir aussi bien sur des constructions neuves que sur des monuments historiques. C’est justement ce savoir-faire reconnu qui a permis à Paul Zahnd, Julien Hentzy et Mirza Hodzic d’être choisis pour participer à la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en partie effondrée à la suite d’un incendie survenu en 2019.
12 fermes reconstruites à l’identique
Durant 6 mois, de janvier à juillet 2023, ils ont été missionnés pour fabriquer douze des fermes secondaires de la future nef de la cathédrale. Ces assemblages de poutres de chêne, simples mais impressionnants par leur précision, devaient être reconstruits à l’identique, donc à la main, comme le souhaite l’établissement public chargé de la reconstruction de Notre-Dame.
« C’est une structure triangulée qui va supporter le toit de Notre-Dame, décrit Paul Zahnd, fondateur et co-gérant de l’entreprise. À l’époque des charpentes médiévales, on avait des charpentes à fermes chevron, c’est-à-dire qu’on avait une ferme de ce type-là tous les 80 cm ou tous les mètres, c’était très serré, c’est pour ça qu’on appelle ça "la forêt", parce qu’il y avait une densité de bois très importante »
On n’improvise pas, on suit les directives de la maîtrise d’œuvre
Paul Zahnd, charpentier
Pour accomplir leur mission, les charpentiers de Lods ont dû se plier à des directives précises, notamment concernant les outils utilisés. « Nous, on travaille plutôt d’habitude avec des haches 18-19e, et là, on a dû faire refaire des haches 13e siècle », précise le Pontissalien d’origine.
Un savoir-faire millénaire qu’il a fallu réapprendre
Ces connaissances, ces compétences en charpente ancienne sont rares en France, elles ne sont l’apanage que de quelques entreprises renommées. Les ateliers Perrault, dans le Maine-et-Loire, ont ainsi été chargés de reconstruire les fermes du chœur, et les ateliers Desmonts, dans l’Eure, se sont vus confier la nef. « Ils ont été choisis, car ils travaillent à la main, explique Paul Zahnd, mais ils avaient besoin d’aide »
C’est ainsi que les charpentiers du Doubs ont été contactés pour fabriquer douze des fermes, une centaine, qui doivent permettre à Notre-Dame de retrouver sa charpente d’origine. Un accomplissement pour Paul Zahnd : « C’est une très belle parenthèse dans notre vie de charpentiers. C’est un honneur d’avoir participé à ça, on a fait du mieux qu’on pouvait. »
On ne s’est jamais imaginé qu’on ferait un morceau de la cathédrale de Notre-Dame, c’était absolument improbable.
Avant cela, ils avaient eu l'honneur d'aller sélectionner eux-mêmes les chênes sur le terrain, dont certains sont issus de forêts haut-saônoises. Des arbres qui se retrouvent aujourd'hui de nouveau en « forêt », dans l'immense enchevêtrement qui constitue la nouvelle charpente de la cathédrale.
Le montage a ainsi débuté en juillet à Paris et devrait se poursuivre tout l’automne. Les différentes fermes, pré-assemblées en atelier, sont livrées par barge sur la Seine puis grutées sur le toit de l’édifice.
Obtenir une résistance mécanique majeure
Début juillet 2023, notre équipe s’est rendue sur le site de l’atelier de Lods, lors des derniers jours de la confection des fermes. L’occasion de comprendre l’importance de cette mission pour les jeunes charpentiers, et d’entendre la douce mélodie du bois, qui tinte au son des lames.
« Le chant de la doloire, c’est un chant très intéressant, qui berce, c’est méditatif », décrit Paul Zahnd au micro d’Emmanuel Rivallain, alors que résonnent autour les coups donnés au bois par cette hache artisanale, dont seul un côté tranche. Doloire, du latin dolare, rendre plat. C’est à l’œuvre de cette lame que la rondeur des grumes est affinée, équarrie, jusqu’à obtenir des poutres parfaites.
En effet, l’outil, respectueux du fil, de la fibre du chêne, lui confère, manié avec la finesse des charpentiers, une résistance mécanique majeure, supérieure à celle obtenue par sciage. Un prérequis pour Notre-Dame, inscrit dans le cahier des charges.
Ces secrets, ces gestes précis, ces traditions, et ce « chant méditatif », ce sont le cœur du métier de Paul Zahnd. « La machine, elle va stresser l’être humain alors que l’outil à main, il va consoler, il y a quelque chose qui est apaisant »
Ainsi, chaque matin, l’entame du travail prenait la forme d’une prière rituelle, teinte d’humilité face à la tâche à accomplir. « On a à cœur l’aspect spirituel, confie le charpentier. Pour Notre-Dame, ça nous a beaucoup marqués qu’on rebâtisse un monument de cette ampleur »
Se spécialiser dans la réfection de monuments historiques
L’avenir du petit atelier semble suivre le bon fil, et le carnet de commande, lui, se remplit. « On a beaucoup de demandes, beaucoup de mouvements, on étudie tous les projets, » assure Paul Zahnd.
Enrichis de leur expérience acquise, ils espèrent accéder à d’autres chantiers, tout aussi prestigieux.
« En termes de reconnaissance, et en termes techniques, il y a un monopole et c’est très dur de rentrer dans le cercle. » « Le chantier de Notre-Dame, ça nous ouvre l’autorisation de faire les monuments historiques publics, on a envie de se développer dans cette direction. »
Les trois charpentiers et leurs équipes sont en contact avec les architectes des bâtiments historiques en Franche-Comté, leur travail pourrait donc prochainement être mis à l’honneur sur d’illustres bâtisses comtoises, et bien sûr, d’ailleurs.