Un juge fédéral américain a estimé début janvier que le terme gruyère est devenu "générique" aux Etats-Unis, ce qui empêche, selon lui, de l'inscrire au registre des marques pour le réserver aux produits en provenance de Suisse et de France.
Les filières officielles de production suisses et françaises du gruyère viennent de se heurter à la réticence américaine. Toutes deux avaient formulé une demande pour protéger l'appellation "gruyère" au delà des frontières européennes, et notamment aux Etats-Unis. Mais un juge américain vient de leur adresser une fin de non recevoir.
Le terme « gruyère » est devenu générique aux Etats-Unis et cela empêche l’inscription du fromage au registre des marques pour le réserver aux produits originaires de Suisse ou de France.
T.S Ellis, juge américain
Le juge souligne également que les producteurs américains fabriquent du gruyère dans l'Etat du Wisconsin depuis les années 1980, et que plus de la moitié du gruyère importé aux Etats-Unis entre 2010 et 2020 était produite en Allemagne et aux Pays-Bas. "Des décennies d'importation, de production, et de ventes de fromages appelés gruyère mais produits en dehors de la région de la Gruyère en France et en Suisse ont érodé le sens du terme et l'ont rendu générique", écrit-il.
La décision américaine ne menace pas la production française
Le syndicat Interprofessionnel du gruyère de France, basé à Vesoul en Haute-Saône, et l'interprofession du Gruyère, qui représente les acteurs du secteur en Suisse, son pendant suisse, vont se concerter dans les prochains jours pour voir quelles suites donner à cette décision. Mais pas de panique, la filière qui produit 2600 tonnes de gruyère par an n'est pas menacée par le gruyère américain.
La quasi totalité de nos ventes est réalisée en France et en Europe, il n'y aura donc pas d'impact sur la filière. Mais ce qui nous choque, c'est le mépris des Etats-Unis face à notre IGP européenne et sa charte de qualité.
Nathalie Coronel, animatrice du syndicat interprofessionnel du gruyère de France
Contactée par téléphone, Nathalie Coronel ajoute que cette décision américaine est choquante car elle ne prend pas en compte les indications du cahier des charges présenté par la France et s'en remet à l'Europe pour prendre le relais de ce dossier.
Pour les deux filières, suisse et française, le gruyère, qui bénéficie d'appellations d'origine protégées dans les deux pays, "est fabriqué avec soin à partir d'ingrédients locaux et naturels, en utilisant des méthodes traditionnelles qui assurent le lien entre la région d'origine et la qualité du produit final".
Un gruyère valorisé de façon locale comme en Haute-Saône
Aurélien Drouhard est l’un des agriculteurs du Gaec Saint-Léger à Mailleroncourt-Charrette en Haute-Saône. Avec ses deux collaborateurs il gère un cheptel de 90 vaches montbéliardes qui produisent depuis 2017 du lait pour la fabrication du gruyère. Du lait mieux rémunéré que du simple lait pour la consommation. Il le vend 44 centimes le litre, contre 35 centimes le litre pour du lait conventionnel. Un avantage qu’il ne craint pas de perdre avec la concurrence américaine.
En tant que producteur, cela n'aura aucune répercussion. Notre gruyère est valorisé en local, et les clients continueront à acheter local. Le problème c'est d'avoir sur le marché mondial un produit du même nom, et dont on ne sait même pas comment il est fabriqué.
Aurélien Drouhard, agriculteur, producteur de lait à gruyère
En Haute-Saône, trois fromageries produisent du gruyère, dont celle de Port-Sur-Saône créée il y a deux ans. Elle récupère le lait d’une cinquantaine de producteurs et confectionne près de 130 meules de gruyère chaque jour. Et cela représente beaucoup de lait, puisqu’il faut 440 litres pour produire une seule meule de gruyère.
Le gruyère, une appellation historiquement protégée
En France, le gruyère est fabriqué dans quatre départements, la Savoie, la Haute-Savoie et en Franche-Comté dans le Doubs et la Haute-Saône. Sur le territoire national, on produit environ 52 000 meules par an, ce qui représente environ 1 700 tonnes commercialisées.
Historiquement, la fabrication du gruyère est soit française, soit suisse. En 1951, la convention internationale de Stresa (convention sur l'emploi des appellations d'origine et dénominations de fromages) a reconnu l'appellation « gruyère » comme étant une propriété franco-suisse. Elle a décrété que les deux pays en possèdent le droit d’utilisation. En 2007 l’appellation d’origine contrôlée est obtenue pour la France. Mais le pays n’obtient pas l’AOP européenne. Il doit se contenter d’une indication géographique protégée européenne en 2013.
Côté Suisse, l’appellation gruyère est préservée par une AOP reconnue depuis 2011 par la Communauté européenne. Avec quelques différences entre le fromage français et le fromage suisse, notamment celle des trous. La pâte française doit avoir des trous, tandis que le lait doit provenir de vaches locales, de race montbéliarde, abondance, Simmental, française, vosgienne et tarentaise. Leur alimentation est définie dans le cahier des charges. Elle est constituée de céréales, de foin et d’herbe pâturée. Les OGM et aliments fermentés sont interdits.