Témoignages. "En Suisse, on est valorisés" : pourquoi ces soignants choisissent de ne pas travailler en France

Publié le Écrit par Flavien Gagnepain

D'après une étude publiée le 2 novembre 2023, un soignant sur six vivant dans l'arc jurassien français travaille en Suisse. Si une meilleure rémunération attire ces personnes, pour la plupart des infirmiers et infirmières, elles y trouvent surtout de meilleures conditions de travail.

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D'après l'Office statistique transfrontalier de l'Arc jurassien (OSTAJ), 58.000 soignants vivaient en 2020 dans l'Arc jurassien, la zone frontalière entre la Franche-Comté et les cantons suisses de Vaud, Neuchâtel et du Jura. Un chiffre en hausse sur la dernière décennie.

À eux seuls, ces 58.000 soignants représentent 4% de l'emploi total de l'Arc jurassien franco-suisse. Neuf soignants sur dix sont des femmes, qui travaillent essentiellement en tant qu'infirmières. Du côté français, un soignant sur six travaille de l'autre côté de la frontière. Ces frontaliers représentent 11% des soignants en Suisse, surtout dans le secteur hospitalier.

C'est le cas de Maeva*, 43 ans. Originaire du nord de la France, elle travaille depuis 2013 à la clinique de la Source, à Lausanne. "J'ai travaillé en Martinique, en région parisienne... Et en France, on m'a tout simplement dégoûtée de mon travail. Les conditions étaient impossibles à suivre. J'avais en général dix patients à charge le matin et seize l'après-midi."

Élire domicile au pied de la douane

Une dispute avec un médecin a poussé la mère de deux enfants à quitter pour de bon le pays. Professionnellement seulement, car Maeva vit à Jougne (Doubs), à 500 mètres de la frontière. "C'est à 47 kilomètres du travail. Quand ça roule bien, j'ai 35 minutes de route. Mais c'est souvent plus long", reconnaît-elle.

Estelle* est de nationalité suisse. Depuis 2018, elle a traversé la frontière pour habiter à La Cluse-et-Mijoux, là encore au pied de la douane. "En tant que soignants, mon conjoint et moi gagnions juste assez pour vivre normalement en Suisse. On voulait devenir propriétaires, avoir une meilleure qualité de vie. Quand je suis en congés, j'ai envie de profiter de ma jolie maison."

Profiter de son chez-soi n'est en effet pas facile à faire tous les jours. "Les horaires sont quand même difficiles à assumer. Je travaille parfois de nuit, parfois les week-ends, pendant douze heures...", énumère Estelle, assistante en soin et santé communautaire à l'hôpital universitaire de Lausanne. "Ce métier n'existe pas en France. Je travaille en binôme avec une infirmière. Disons que je suis son bras droit."

J'ai pu trouver un poste où on respecte mes valeurs.

Maeva

Toutes les deux font état de conditions de travail bien meilleures chez nos voisins. "En Suisse, on est valorisés. Là, j'ai pu trouver un poste où on respecte mes valeurs", lance Maeva. "Ce n'est pas qu'une question de salaire. Les augmenter en France ne va pas faire rester tout le monde. Il faut surtout plus de moyens."

"Je n'ai jamais travaillé en France et je n'en ai pas envie ! Ça ne me tente pas du tout, quand j'entends dans quelles conditions les soignants travaillent. Mon copain a fait des stages en France, il a bien vu ce que c'était", appuie Estelle. "À Lausanne, on a sept patients à gérer. Puis nous avons des aides soignantes avec nous. Les employeurs sont à l'écoute. Si on a un problème, ils s'organisent différemment."

Une charge de travail mieux répartie

"La charge des patients s'est durcie ces derniers temps, mais on sent qu'il y a des petites attentions au quotidien. Dans la clinique, on parle de 'collaborateur' et ça a un sens. L'organisation est moins hiérarchisée qu'en France", continue Maeva. "La direction fait en sorte que les binômes aient la même charge de travail. Ce n'est pas hyper sectorisé, à nous dire 'vous faites telle chambre, telle chambre, telle chambre'."

La vie sociale est compliquée oui, mais c'est la vie d'un soignant.

Estelle

Les deux mamans le reconnaissent : ce mode de vie amène avec lui son lot d'inconvénients. Le trajet entre le domicile et l'hôpital est long et en raison de l'amplitude horaire, il est difficile d'avoir une vie sociale. "On est beaucoup à avoir le même rythme de vie dans le coin, ce qui fait qu'on a peu d'interactions sociales. Résultat, c'est un village un peu dortoir, avec peu d'infrastructures", reconnaît Maeva.

"La vie sociale est compliquée oui, mais c'est la vie d'un soignant. Ma famille vit en Suisse et c'est difficile de la voir. Et quand ma fille est à la maison, j'ai parfois du mal à concilier la vie de famille et le travail", ajoute Estelle. Malgré tout, elle et Maeva comptent travailler en Suisse encore longtemps, bien qu'elles voient arriver certains dysfonctionnements. "Ils ont les mêmes problèmes que nous. Ils vont juste arriver plus tard", taquine Maeva.

Les prénoms ont été modifiés.

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